Deux visages deux femmes

Sucre, chemsex, shopping ou Instagram... Sommes-nous vraiment tous « addicts » ?

© Max Letek

Binge-watching et binge-shopping... La frénésie de consommation en ligne qui nous gagne est-elle une forme d’addiction ?

Dans son ouvrage Addicts (28 octobre, éditions Arkhê), le psychiatre Jean-Victor Blanc, auteur de Pop & Psy (2019, éditions Plon), propose à grand renfort de références pop un décryptage des nouvelles formes d'addictions. Du film Requiem for a Dream à la série Euphoria, la culture pop déborde de représentations, bien souvent faussées, des troubles mentaux et des addictions. Et plus ces représentations sont banalisées, plus il est facile de s’auto-diagnostiquer à la va-vite. Or, tous les comportements induisant anxiété ou mal-être ne tombent pas sous le joug de l’addiction. Alors, sommes-nous vraiment tous « addicts » ? Décryptage de Jean-Victor Blanc.

D’après vos observations, les addictions sont-elles en hausse dans notre société ? Ont-elles changé de visage ?

Jean-Victor Blanc : La consommation de substances psychoactives a toujours existé ! On en retrouve des traces dans l’Antiquité, et au sein de toutes civilisations. Néanmoins, si les addictions prennent aujourd’hui autant de place et de formes différentes, c’est bien l’indicateur d’un mal-être. Attention, on ne peut pourtant pas dire que de nouvelles formes de pathologies ont émergé : les addictions, celles aux substances notamment, se sont simplement déplacées d’une drogue à d’autres, plus « modernes. » Je pense à la nouvelle génération de produits bien plus puissants que les précédents, comme les cannabinoïdes et opioïdes (morphine, héroïne...) de synthèse ou la 3-MMC, qui ont envahi la France et s’utilisent surtout dans un cadre festif ou sexuel. Ce qui est intéressant avec le marché de ces nouvelles drogues, c'est le parallèle que l'on peut dresser avec la fast-fashion : dans les deux cas, il s’agit d’inonder les consommateurs de produits surpuissants et fabriqués à bas coût, de les renouveler régulièrement et d’inscrire la production et distribution dans une économie d’échelle… Évidemment, le confinement a joué un rôle clé sur la place des addictions dans nos vies, et dans son sillon les usages se sont modifiés : beaucoup de patients suivis ont expérimenté des rechutes tandis que de nombreux individus ont basculé d'un usage récréatif à une addiction.

Nombreuses sont les personnes à se déclarer accros aux écrans ou au shopping… Qu’en est-il ?

J.-V. B. : Derrière l’addiction aux écrans se cache des addictions à certains usages, à l'instar de l’addiction aux jeux ou aux jeux d'argent et de hasard qui se téléporte et s’exacerbe en ligne. Là, les joueurs pathologiques vont être plus endettés que ceux jouant en casino, et ce pour des raisons simples : les sites sont ouverts à toute heure du jour et de la nuit, et chacun peut jouer seul chez lui en se soustrayant au regard des autres, ce qui fait sauter les derniers garde-fous. Il est important de noter que les réseaux sociaux, le shopping en ligne ou encore les séries TV, auxquels certains se déclarent « accro », ne sont pas considérés aujourd’hui comme pouvant faire l’objet de réelles addictions. Il faudrait être bien plus mesuré dans la manière dont on parle des addictions, sous peine de les rendre triviales et de banaliser les souffrances qu’elles produisent chez les patients qui en sont réellement atteints.

Au regard de la psychiatrie, qu’est-ce qui constitue une véritable addiction ?

J.-V. B. : Avant toute chose, un comportement addictif est un comportement incontrôlable et répétitif, qui se poursuit malgré les conséquences négatives. Pour être reconnu en tant qu’addiction, un comportement doit répondre à certains critères bien précis. D’après le DSM (ndlr : pour Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ouvrage de référence en psychiatrie) qui répertorie l’ensemble des troubles psychiques, 11 éléments doivent être comptabilisés, dont le syndrome de sevrage, à savoir le fait d’avoir des comportements à rebond suite à l’arrêt de la substance ou de l’usage, ou encore la hausse de la tolérance. Dire que nous sommes « tous addicts » n’est pas juste, et utiliser cette appellation à tort et à travers est irrespectueux pour les patients. À l’inverse, ce n’est pas parce qu’un comportement ne tombe pas dans la catégorie des addictions qu’il ne peut causer de profondes souffrances et que la personne concernée ne doit pas être prise en charge : quelqu’un qui va passer son temps à consulter des contenus minceur sur Instagram peut évidemment se retrouver en grave détresse mentale, notamment les adolescentes. L’essentiel est de faire tomber les tabous qui entourent la santé mentale et de pouvoir consulter lorsque c’est nécessaire.

Pour aller plus loin :

Assister aux conférences Culture Pop & Psy au MK2 et du ciné-club mensuel au Brady. En convoquant Michel Gondry, Britney Spears et Amy Winehouse, Jean-Victor Blanc propose un éclairage ludique et scientifique sur la santé mentale. Il fait le pari qu’en faisant mieux connaître ces troubles fréquents, l’inclusion des personnes concernées et de leur entourage s’en verra améliorée.

Scroller le compte Instagram Pop & Psy de Jean-Victor Blanc.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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