
Gros biceps, fesses galbées, aisselles et torses épilés, régime hyperprotéiné... Le diktat de l'ultra performance s'impose désormais aux hommes.
Dans une interview accordée au média Notre Temps, le philosophe français Bernard Andrieu, directeur de l’Institut des sciences du sport-santé, déclarait : « Le corps est la religion du XXIe siècle. Dans la société contemporaine, le corps est devenu un capital de beauté à faire fructifier. » Une tendance qui n'épargne pas les hommes. En témoigne la montée en puissance des « gym bros » , à grand renfort d'influenceurs (Tibo InShape pour ne pas le citer) répandant "l'Évangile" du développé couché sur les réseaux sociaux. Pour étaler son corps musclé à la vue de tous, 2023 a signé le retour du slip de bain sur les plages. ( « Et mes fesses ? Tu les aimes mes fesses ? » ) Et pour les plus flemmards, place à l'illusion et aux t-shirts conçus pour rendre celui qui les porte plus musclé.
La culture Wonderbra pour les hommes
En 2019, Roberto Olivardia, expert en image corporelle masculine, revenait dans The Guardian sur la manière dont les muscles étaient perçus en fonction des décennies : « Dans les années 1970, époque de la protestation contre la guerre du Vietnam où être musclé revient à se déclarer pro-militaire, des figures masculines très minces et androgynes, comme Mick Jagger et David Bowie, occupent le devant de la scène. À l’inverse, dans les années 1980, avec le belliciste Ronald Reagan, des personnalités comme Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone ont émergé. » Mais une autre grille de lecture est aussi possible. Dans The Male Gazed: On Hunks, Heartthrobs, and What Pop Culture Taught Me About (Desiring) Men publié en mai 2023, le journaliste culturel Manuel Betancourt associe, quant à lui, l'augmentation de la masse musculaire chez certains hommes dans les années 80 à une volonté de se revendiquer comme en bonne santé en opposition aux corps presque squelettiques associés dans l'imaginaire collectif à l'épidémie de SIDA.
Le culte du corps et du sport
Dans son ouvrage, Manuel Betancourt, aborde une question philosophique essentielle : « Le désir précède-t-il les images ou le désir est-il réellement le produit de l’exposition aux images ? » En d’autres termes, un homme souhaite-t-il avoir un physique musclé après avoir vu les films Marvel, ou les films Marvel répondent-ils déjà à cet idéal ? « Je pense que c'est un cercle vicieux », déclarait l'écrivain colombien dans EL PAÍS. « Dans le cas de Marvel, l’imagerie vient des comics, où les corps des super-héros sont extrêmement stylisés et exagérés et toujours en adéquation avec l'irréalité des histoires. Mais sur grand écran, les films ont dicté ce genre de corps, il y a un public qui pense qu'il devrait y aspirer, qui lit ensuite des interviews dans Men's Health dans lesquelles les acteurs parlent des régimes et des entraînements qu'ils suivent. C'est un devoir de faire de même et d'aller à la salle. » Et les chiffres parlent d'eux-mêmes : selon le baromètre 2022 de l’UCPA-Crédoc sur les loisirs sportifs, la musculation est devenue le sport favori des jeunes Français avec 43 % de pratiquants chez les 16-25 ans. Rien de surprenant selon Xavier Bigard, médecin du sport : « Au fil des années, nous constatons que les adolescents de sexe masculin sont – comme les filles – de moins en moins satisfaits de leur image corporelle ».
Un mec viril mais pas que
À l’origine de cette évolution, les réseaux. « La surexposition de l’identité qui s’est développée avec l'avènement des réseaux sociaux a conduit à un changement significatif du paradigme consistant à montrer son corps », indique Manuel Betancourt. Pratique jadis réservée selon lui aux hommes homosexuels. « Il suffit d'aller sur TikTok et de voir ces beaux hommes hétérosexuels danser en short de basket, s'exhiber et se laisser désirer d'une manière que je n'aurais pas imaginé il y a quelques décennies. Cette façon de s'offrir à la séduction est un peu nouvelle, car autrefois, le nu était perçu comme un signe de vulnérabilité. Comme si tu étais efféminé et que tu te laissais émasculer. »
Pour Bernard Andrieu, l'homme moderne « continue à prendre soin de son corps – et pas que de ses muscles – dans une démarche de bien-être et d’hygiène de vie » Une notion que complète André Rauch, historien de la virilité : « Le corps de l’homme est devenu un objet d’art et un instrument social ». Selon l'historien, les notions de féminité et de masculinité sont d’ailleurs bien plus imbriquées qu’il y paraît, puisque « c’est paradoxalement l’influence de la mode féminine puis homosexuelle et la généralisation des coupes près du corps, même pour les hétéros, qui a poussé les hommes à remuscler leur torse ». Le diktat de l'ultraperformance jusqu'ici assigné aux femmes (épouse et mère de famille épanouie qui assure au lit) a désormais son équivalent masculin.
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