Une voiture et des bras musclés

Voilà pourquoi les Tesla bros aiment rouler n'importe comment

© Taun Stewart et PngEgg

Un essai décortique la manière dont les conducteurs Tesla réinventent le rapport des hommes à la voiture par « une quête durable de la masculinité héroïque », à mi-chemin entre le héros Marvel et l'entrepreneur visionnaire.

D'après Dacher Keltner, professeur de psychologie, et Paul Piff, chercheur à l'université de Californie, les conducteurs de voitures de luxe seraient plus susceptibles de couper la route aux autres automobilistes et aux piétons, et ce, même après avoir établi un contact visuel avec eux. Pas très étonnant, puisque les études sociologiques indiquent que plus le revenu des individus augmente, moins ces derniers sont enclins à prendre des décisions qui favorisent la communauté. À ce titre, un essai américain a récemment voulu démontrer que les propriétaires de Tesla occuperaient une place bien à part au sein de cette catégorie de conducteurs, réinventant l'incivilité au volant au nom de la protection de l'environnement.

Qui sont les Tesla bros ou tesbros ?

En 2014, Markus Giesler, chercheur en étude du consommateur, expliquait comment Tesla avait profondément transformé l’industrie automobile, et ce, au-delà de la conception du produit. Selon lui, il était surtout question pour les conducteurs Tesla de participer à « une quête durable de la masculinité héroïque », à mi-chemin entre le héros Marvel et l'entrepreneur visionnaire. Le chercheur précise à l'époque que « comme Iron Man, l'Homme Tesla combine un individualisme robuste, un esprit entrepreneurial dynamique et une foi apparemment inébranlable dans les marchés et la technologie combinée à un souci sensible de la nature, de la planète et générations futures. » Ainsi seraient nés les Tesla bros.

Dans l’Urban Dictionary, on les retrouve en 2021 sous l'appellation de tesbros, où ils sont assimilés aux adeptes d'une secte menée par Elon Musk, ardemment défendus par les Tesla bros dès que l'occasion se présente. Dans leur version la plus extrême, les Tesla bros seraient donc des cousins éloignés des cryptobros, ces hommes fanas de bitcoins, de muscu et de NFT. Tout un programme. Mais comme le rappelle Mel et de nombreux internautes sur Twitter, les conducteurs de Tesla seraient surtout, aujourd'hui, des personnes faisant joyeusement n'importe quoi au volant.

Zéro émission, zéro compromis

Récemment, Anne-Mette Hermans, professeur en communication, et Matteo Vivi, doctorant en études des sciences et des technologies, se sont penchés sur la question. Dans leur essai acide Zero Emissions, Zero Compromises, les auteurs argumentent que la marque a réajusté la manière dont les hommes mettent en scène leur masculinité au travers de leur voiture. Les chercheurs américains notent que les deux avantages mis en avant par la marque du multimilliardaire Elon Musk – à savoir des véhicules entièrement électriques doublés de la fonction pilote automatique – seraient en contradiction avec l'auto-conception traditionnelle des conducteurs masculins, qui apprécient les puissants moteurs alimentés par des combustibles fossiles, et privilégient le sentiment d'autonomie au volant. (Pensez Mad Max qui rencontre Fast and Furious.) D'après les auteurs, renoncer à l'essence au nom de la préservation de l’environnement menacerait le statut des conducteurs Tesla, puisque ce type de décision est culturellement associé aux femmes. Comme le résume Mel, le pilote automatique constituerait quant à lui une menace de « démasculinisation » des conducteurs, convertis alors en passagers passifs soumis à la machine.

Pour réussir à refourguer ses voitures à des hommes fiers de leur achat, Tesla aurait conféré à son véhicule la même aura que celle de n'importe quelle voiture de sport : la promesse de « manifestations d'agressivité, de prise de risque et de conduite imprudente, qui fait écho aux idéaux d'un pouvoir masculin violent et envahissant. » Cette fois, cette aura se combine à la fétichisation de la technologie, technologie qui se fond dans une forme de liberté débridée et déculpabilisée (pas d'émissions émises), et s'érige en vecteur de l'individualisme le plus pur. Pour les auteurs, la protection de l'environnement serait donc utilisée comme prétexte pour s'emparer de la route par des hommes forts de leur position morale supérieure. Une position qui épouserait parfaitement la « reproduction non perturbée de l'hégémonie masculine blanche et privilégiée sur la route à l'heure du changement climatique. »

Tesla et la masculinité hégémonique

Selon les auteurs, loin de les déviriliser, le pilote automatique permettait au conducteur de Tesla de se percevoir comme des pionniers avant-gardistes tout en signalant leur succès matériel. Dans les cercles académiques, cette forme de domination genrée est baptisée « masculinité hégémonique », d'après le concept proposé par la sociologue australienne Raewyn Connell en 1995 dans l'ouvrage Masculinités. Dans Penser les masculinités, publié en 2013, Arthur Vuattoux explique au sujet de la masculinité hégémonique qu'elle est « l’expression même du pouvoir des hommes sur les femmes et sur d’autres hommes, considéré(e)s comme inférieur(e)s du point de vue de leurs attributs de genre. Elle est généralement adossée à d’autres formes de pouvoir (économique, culturel, symbolique, etc.). »

La thèse défendue par les auteurs de l'essai résonne avec les récentes et multiples arrestations d'un conducteur américain impénitent, arrestations causées par ses nombreux trajets réalisés sur la banquette arrière de son véhicule, en violation complète de la loi Californienne. Une expérience décrite comme « magique » par cet homme de 25 ans. Les chercheurs américains y verraient sans doute plutôt la parfaite illustration dont certains conducteurs de Tesla retirent un plaisir particulier du « techno érotisme et de la maîtrise de la technologie ».

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
commentaires

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  1. Avatar Toto dit :

    J'aime beaucoup cette page parodique digne du Gorafi. Merci pour ce fou rire.
    Sinon je vois plus de femmes en Tesla que d'hommes. Est-ce que cette étude pourrait être refaite sur la psychologie de ces femmes ? Certainement des bourgeoises blanches de plus de 50 ans et conservatrices vu vos positions idéologiques totalement lolesques 🙂
    Ha la sociologie et la psychologie qui est de plus en plus au service de l'idéologie, comme c'est beauà voir.

  2. Avatar Anonyme dit :

    C’est bizarre, j’aurais plus tendance à dire que les personnes au volant de voitures pourries sont ceux qui prennent le plus de risques (jeunes en général, coûts de réparation et du véhicule moindre, etc…)

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