
Entre empowerment et réappropriation des stérétotypes, comment les jeunes artistes femmes questionnent le concept de genre et réiventent le féminisme ?
Buying myself back, le vibrant essai de l’icône hypersexualisée Emily Ratajkowski dans The Cut, expose en place publique le sexisme et l’instrumentalisation du genre dans notre société 3.0. Défini comme « un système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin) » par la sociologue Laure Bereni, le concept de « genre » est aujourd’hui critiqué, car il invisibilise des réalités. Un sujet au cœur du travail de nombreuses jeunes artistes internationales.
Après un « féminisme patriarcal » dans les années 1980, érigeant en icône la business woman en tailleur et talons hauts, le féminisme signe aujourd’hui un virage sexualisé, un empowerment du corps marginalisé : rondeurs, contouring outrancier, silicone et tenues sexy sont devenus les attributs d’une ré-appropriation de la féminité. Cette féminité extrême s’inspire des Drag Queens, construisant ainsi une identité féminine ouvertement stéréotypée, affirmant confiance en soi, audace et courage, sans excuses.
La culture populaire signe l’avènement de ces figures de l’empowerment féminin, à l’image des chanteuses comme Cardi B, qui brandit fièrement son passé de strip-teaseuse, se ré-appropriant ainsi les clichés sexistes qu’ont bâti ses prédécesseurs masculins dans le hip-hop. Loin d’être dans une tour d’ivoire, les jeunes artistes de la scène internationale s’emparent de ces questions et proposent des imaginaires et des esthétiques complexes, questionnant ce « féminisme radical » , cette « féminité extrême ».
Car la tendance est massive mais elle est loin d’être si évidente. Lorsque Dior s’empare de la tendance dans son défilé automne-hiver 2020/2021 via le t-shirt We should all be feminists, la souveraineté des femmes sur le corps s’entremêle avec la consommation de masse, issue d’un capitalisme qui est lui, bel et bien patriarcal. Aussi, ce féminisme est-il la seule voie possible d’une ré-appropriation du concept de féminin ? Une question posée par Lana del Rey dans un post polémique, appelant à rendre plus visible une féminité plus délicate, sous-entendant une instrumentalisation de cet apparent empowerment.
Comment les jeunes artistes nous posent-elles la question ?
AÏDA BRUYÈRE
Née à Dakar en 1995. Vit et travaille à Paris.
Aïda Bruyère a grandi entre le Sénégal, le Mali et la France, influencée par différentes sous-cultures créatives et inspirantes, comme le Dance Hall. Dans Nails, un recueil qui regroupe des centaines d’images de nail art tirées de YouTube, elle montre comment l’ongle, en tant qu’objet de féminité subtil et attirant, connaît toutes sortes de modifications, de la manucure classique aux longues griffes handicapantes, provoquant tantôt le désir sexuel, tantôt le dégoût. Dans le fanzine Mi Seh Bum Bum, la fesse devient un nouvel objet classique du désir, placardée dans l’ouvrage sous toutes ses formes. Poussée à son paroxysme, la féminité outrageuse devient un outil d’émancipation et les méthodes de son amplification affluent : maquillage, chirurgie esthétique, talons hauts, squat, le tout incarné par le clan Kardashian. Loin des diktats, ces attributs physiques deviennent des armes.

Aïda Bruyère, Mi Seh Bum Bum, 2019

Aïda Bruyère, Nails, 2017
MERCEDES DASSY
Née à Bruxelles en 1990. Vit et travaille à Bruxelles.
Cette féminité exacerbée comme moyen de se libérer est partagée par la danseuse et chorégraphe Mercedes Dassy. Dans son œuvre performative i-clit, elle s’illustre dans une prise de pouvoir par une danse sexuée, seins nus et jambes écartées. L’artiste croit en un féminisme pop, cette forme de féminisme encore avant-gardiste, qui se propage viralement à travers les réseaux sociaux, la musique ou la mode. Cependant, Mercedes Dassy garde un regard critique sur ce mouvement qui flirte entre lutte sociale et pinkwashing.

Mercedes Dassy, i-clit, 2018. Photo credit : Hichem Dahes

Mercedes Dassy, i-clit, 2018. Photo credit : Hichem Dahes
OPHELIE DEMURGER
Née à Lyon en 1994. Vit et travaille à Lyon.
L’artiste Ophélie Demurger interroge par un détournement du transformisme les stéréotypes féminins de la pop culture. Dans ses vidéos et performances, elle s’approprie le corps hypersexualisé de stars comme Rihanna (I shot riri & side B of stay), Nicki Minaj (OPHELIE x NICKI x CHUN LI) ou Miley Cyrus (Deviens Miley ! ), Ophélie Demurger oscille entre condamnation de standards de beauté féminine inaccessibles, créés par une industrie musicale majoritairement dirigée par des hommes, et une fascination pour cet empowerment où la femme affirme enfin toute sa puissance. L’artiste exhibe une fascination pour la transformation du corps et la création d’icônes stéréotypées.

Ophélie Demurger, I shot Riri & side B of stay, 2018

Ophélie Demurger, Deviens Miley !, 2015
MELISSA AIRAUDI
Née à Paris en 1991. Vit et travaille à Paris.
Melissa Airaudi évoque également les nouvelles représentations de la femme et les nouveaux rapports de séduction influencés par les réseaux sociaux. Dans sa pièce immersive Derniers Narcisses, jouée au Palais de Tokyo en 2019, une danseuse de pole dance ultra féminine se joue de son reflet dans un miroir, symbole de ce féminisme qui s’assume et qui ne renie pas la séduction.

Melissa Airaudi, Derniers Narcisses, 2019
ARIANA PAPADEMETROPOULOS
Née à Pasadena, en 1990. Vit et travaille à Los Angeles.
À l’opposé de la féminité hypersexualisée, Ariana Papademetropoulos a créé autour d’elle un univers charnel, érotique et délicat. Plus que la sexualisation trash du corps féminin l’artiste explore le mythe de l’érotisme. Elle met à nu les clichés pour mieux s’en affranchir à base de couleurs pastel et d'héroïnes fragiles tout droit sorties des années 1950. Car il y a une vraie nostalgie dans l’art d’Ariana Papademetropoulos, où des peintures imitent des photographies vieillissantes et où ses installations reproduisent des intérieurs fantasmés d’une autre époque : une utopie poétique du féminin à base de contes de fées, entre licornes, princesses et sirènes.

Ariana Papademetropoulos, Even the stars in the sky are a mess, 2019

Ariana Papademetropoulos, The man who saved a dog from an imaginary fire, 2017. Courtesy Wilding Cran Gallery
NNFCTN est une agence de stratégie qui identifie les esthétiques, les sujets, les dispositifs artistiques de l’époque afin de penser des modèles culturels innovants et de révéler les imaginaires sous jacents auxquels les marques peuvent s’identifier.
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