Des initiatives de sensibilisation au réchauffement climatique et aux luttes sociales fleurissent sur Instagram. Leurs meilleures armes ? Les mèmes et l’humour que de jeunes internautes utilisent pour dédramatiser un futur résolument obscur.
« Le changement climatique existe », « nous sommes littéralement en train de mourir », « il faut faire quelque chose » … Habituellement relégué aux esthétiques léchées et aux contenus légers, Instagram devient le terrain de prédilection de jeunes activistes. Habillant leurs bios de slogans alarmistes, ils et elles font pourtant le choix de l’humour pour sensibiliser leurs pairs aux enjeux sociaux et environnementaux actuels. Leur arme favorite ? Les mèmes, dont le cynisme et la tonalité absurde rendent les rapports du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) moins déprimants... et le futur un peu moins aigre.
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L’humour pour relativiser
En France comme aux États-Unis, il faut dire que nos activistes de l’ombre ont de quoi s’inquiéter. Entre la présidentielle américaine qui pourrait avoir raison du sort de la planète, la polarisation de l’opinion, la crainte d’une guerre civile outre-Atlantique ou encore la sourde oreille du gouvernement français face aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, la jeunesse n’a jamais eu aussi peu de certitudes quant à son avenir. Ajoutez à cela une pandémie mondiale, secouez le tout et vous obtiendrez une génération inquiète, pessimiste, mais non dénuée d’esprit.
« Je me suis dit qu’utiliser des mèmes pour parler du réchauffement climatique serait une façon amusante de mieux le faire comprendre, explique l’anonyme à l’origine du compte @Stop_Troubling_Earth lancé cette année. C’est vrai qu’en général, c’est un sujet complexe et ennuyeux. » À 17 ans, la jeune fille originaire de New York explique avoir commencé à créer des mèmes sur le climat suite à des divergences d’opinions avec sa famille. « Mon père est climato-sceptique. Du coup, les gens sont trop bizarres avec nous quand ils nous croisent. En lançant ce compte, je me suis dit que ça leur permettrait de savoir hum… que sa fille n'est pas aussi idiote » et de ponctuer plus loin, s’excusant presque : « Oh mon Dieu, mon père est tellement stupide... ? ♀️ »
Cette détresse, beaucoup d’internautes la ressentent, qu’ils soient activistes ou non. C’est peut-être ce qui explique le succès du compte @climemechange qui comptabilise près de 100 000 abonnés depuis son lancement en 2018. Créé juste avant que Greta Thunberg n’amorce son mouvement de grève de l’école, ses contenus incisifs sont aujourd’hui partagés par des ONG comme Greenpeace. « C'est [le climat] le plus gros enjeu de notre temps, mais parce qu'il est à la fois complexe et déprimant, de nombreuses personnes s’en détournent », se désole l’anonyme à l’origine du compte lors d'une interview avec Vice.
Son tout premier mème ? Le détournement d’une scène de la série Game of Thrones dans laquelle le personnage de Jon Snow s’interroge : « Comment puis-je convaincre les gens qui ne me connaissent pas qu'un ennemi auquel ils ne croient pas va tous venir les tuer ? » Ce à quoi le sage Tyrion Lannister répondra : « L'esprit des gens n'est pas fait pour faire face à des problèmes aussi importants. » De quoi ériger les mèmes en une métaphore puissante du plus gros enjeu de notre siècle.
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Vulgariser et inciter à agir
Depuis, des comptes similaires (majoritairement anglo-saxons) fleurissent sur la plateforme et tous ne sont pas aussi pessimistes. Certains s’inscrivent d’ailleurs au sein de projets plus concrets. Lancé en 2018 par des étudiants de l'université de Californie à Los Angeles (UCLA), le compte humoristique @climate_memes est la vitrine de l’organisme à but non lucratif Climatepedia. « Au départ, l'objectif des mèmes était de sensibiliser sur le changement climatique de manière simple et fiable, car les propos de scientifiques peuvent parfois prêter à confusion », explique sa directrice Gianna Lum. Fraîchement diplômée, la jeune femme de 23 ans vient d’obtenir une maîtrise « climat et société » à l'Université de Columbia. Elle pilote en ce moment un programme de 12 semaines sur la science, la justice et les solutions liées à la question du climat.
« On a commencé à faire des mèmes après la Marche pour la science de Los Angeles en 2017, poursuit Gianna. Des étudiants avaient fabriqué des panneaux de protestation avec des mèmes et les avaient amenés au centre-ville pour protester contre le report du financement de la recherche par l'administration Trump et son ignorance de la science. » Le but ? Populariser le mouvement et inciter le grand public à agir. La jeune femme explique avoir reçu de nombreux retours positifs de la part des abonnés et des journalistes, même si cela ne fait pas pour autant taire les commentaires « climato-sceptiques ». « C’est frustrant, mais on essaye de concentrer notre énergie sur les personnes que l’on peut inciter à agir plutôt que sur des trolls butés en ligne ! »
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En France, le phénomène a également fait des petits. « Je tenais une sorte de blog influenceur depuis 2018, mais je me suis lassé de la répétition et surtout du manque d’engagement des abonnés dès que la thématique devenait trop complexe », rapporte le créateur du compte français @memessansplastique. Alors en mars 2020, l’anonyme de 29 ans se lance dans la création de mèmes. Son but ? « Sensibiliser par l’humour » aux questions écologiques et à certaines « aberrations » induites ou non par le système. « Jeter son mégot par la fenêtre de sa voiture, jeter ses piles à la poubelles, détruire la biodiversité sans le savoir... Le réel but, c’est que la conscience écologique se popularise. » Ensuite, « c’est à chacun de faire ses recherches », estime-t-il.
Thérapie par les mèmes
Enfin, pour d’autres, créer des mèmes est surtout une question de santé mentale. Clarisse, lycéenne et activiste de 17 ans a lancé le compte @memes_de_youth_for_climatiens en octobre dernier. Une façon de « se détendre entre une garde à vue, deux manifs et les révisions du bac », ironise sa bio Instagram. Elle s’adresse en priorité aux militants du mouvement citoyen Youth for Climate et explique que créer des mèmes lui permet de faire face à son éco-anxiété.
« Rire avec d’autres jeunes engagés, ça m’aide vraiment à déstresser. Et puis je trouve qu'un message passe plus efficacement avec un mème. Tout le monde peut le partager, c'est une bonne forme d'activisme sur Internet, explique celle qui ne passe pas un seul jour sans penser à son avenir avec angoisse. J’ai une sorte de ''filtre écolo'' devant les yeux : je convertis tout en empreinte carbone. C'est bizarre à dire, mais je vais tiquer si je vois des gens avec des bouteilles en plastique, ou avec des emballages McDo ou qui prennent l'avion... Je vois véritablement l'impact de ces petites choses sur le climat, alors je développe de l'anxiété. »
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Pour se calmer, Clarisse se force alors à limiter les lectures sur l’urgence climatique. « J'agis beaucoup au quotidien pour soulager ma conscience et j’essaye de penser à autre chose. Ce n’est pas quelque chose de facile à vivre, surtout quand mes amis et ma famille ne sont pas du tout renseignés sur l'impact de leurs gestes. » Alors quand elle voit un masque en papier négligemment jeté au sol ou qu’elle a le sentiment de parler dans le vent, Clarisse crée un mème : ça la détend, et nous aussi en passant.
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