Confinement : comment retrouver la liberté de bouger nos corps ?

Confinement : comment retrouver la liberté de bouger nos corps ?

© lechatnoir

Le confinement est l’expérience du corps entravé. Pour retrouver le sens du mouvement et de la liberté, il faut danser. Comme quand vous chantez sous la douche. Conseils de la danseuse et chorégraphe de danse contemporaine Mathilde Monnier.

Chaque semaine durant le confinement, L’ADN Le Shift vous propose de passer 30 minutes avec un.e invité.e pour penser, dépasser ou égayer ces moments suspendus. C’est « A la fenêtre », une émission pour décaler un moment les murs, saisir le présent et respirer une pensée.

Cela fait maintenant plus de 50 jours que nos mouvements, extérieurs et intérieurs, sont limités. Le rythme de nos vies, contracté. Notre espace de mouvement, restreint. La danseuse et chorégraphe française Mathilde Monnier est donc venue « A la fenêtre » pour nous réconcilier avec nos corps comprimés.


Jeudi 07 mai à 18h30, c’est la fête à la fenêtre ! Une boum de sortie, un moment de liberté pour que vous puissiez nous dire comment vous avez vécu cette période, ce que vous espérez ou craignez de la suite. Nous donnerons la parole à la philosophe Marie Robert, l’explorateur Christian Clot et la comédienne Camille Chamoux. Et aussi et surtout à vous.

Le 11 mai reste un pas vers l’inconnu. Nous ne prétendons toujours pas connaître le monde d’après. Mais nous voulons y entrer avec vous.

Alors sortez « A la fenêtre » une dernière fois !

Pour participer, il suffit de cliquer sur ce lien.


Qu’est-ce que le confinement a changé dans notre rapport au corps ?

Mathilde Monnier : Ce qui a changé, c'est la place du corps dans un espace fermé. Ce qui a disparu le plus vite, c'est l'énergie qui se communique par les autres, par l'espace, par la rencontre avec d'autres pensées, d'autres corps. Finalement, c'est ce qu'on a envie de retrouver en premier parce que pour le reste, il y a plein d’exercices. J'ai commencé à faire des capsules sur Instagram avec des exercices de respiration, de musculation, d'étirements. Ça a été aussi un très beau challenge d'être en lien avec des inconnus. Une chorégraphie est une affaire de corps, d'espaces, de rythme… tout ce dont nous sommes privés. On a vu pendant cette période beaucoup d'artistes se tourner vers des outils numériques.

Est-il possible d'envisager l'apport du numérique dans vos pratiques ?

M.M. : Techniquement, c’est possible. Je l’ai fait récemment pour une création en Suisse avec des danseurs. On a essayé de continuer à travailler mais ce n'est pas simple. Dans un studio, on est vraiment face à une personne, à ses sensations, à ses émotions. On est face à quelque chose d'extrêmement vivant qui change d'une seconde à l'autre. Parfois, la création, ce sont juste quelques secondes qu’il faut arriver à saisir. C'est très difficile avec les écrans. Même si je pense qu'il y a peut-être d'autres choses à découvrir et à perfectionner. Mais ça reste des outils, pas le projet en soi. Pour moi, la création sera toujours dans un espace avec des gens en face de moi, avec cette empathie des corps et le fait de se voir. Par ailleurs, la technologie est déjà présente dans la danse. Il y a des artistes qui travaillent avec des hologrammes et des robots. Trisha Brown, grande chorégraphe américaine, a fait intervenir un robot dans un spectacle il y a déjà quelques années. C'était beau. Il y a beaucoup de recherches en danse sur la 3D. C’est encore expérimental mais ça commence à donner des formes artistiques. Je pense que tout ça va rentrer dans notre champ. Mais il faut toujours que le projet artistique puisse être le tracé, la trajectoire de l'utilisation de tous ces nouveaux médias. Il ne faudrait pas que ça prenne la première place. Ce qui est intéressant, c'est au nom de quoi on danse avec un robot ou un hologramme.

Camille Chamoux nous disait que cette crise était désormais un référentiel commun et qu’elle fera donc partie de ses futures créations. Cette idée du corps confiné aura-t-elle aussi sa place dans l’art ?

M.M. : Cette expérience nous amène à mieux comprendre certains rapports qu'on a avec le temps, avec l'espace, avec les autres. Elle fait surgir la question du ralentissement, de l'ennui, nous rend plus contemplatifs aussi. Peut-être cela aura une incidence par la suite... Mais je ne sais pas encore comment je réagirai dans quelques mois. Aujourd'hui, je ne peux pas potentialiser, ni instrumentaliser cette période comme quelque chose dont je pourrais me servir. C'est trop tôt.

Certaines de vos créations explorent l'idée de l'enfermement. L'Atelier en pièces travaillait sur la notion d'enfermement physique et social des autistes. Peut-on mettre en mouvement le confinement et son immobilisme ?

M.M. : Je crois que je n'y arriverai pas parce que justement, c'est de l'immobilisme. Notre métier, c'est l'espace et le mouvement, c'est le déplacement. L'immobilisme, c'est complètement l'inverse. Le travail que j'ai fait avec des autistes est centré sur un enfermement psychique. Je sentais qu'il y avait une forme de compréhension et d'échange par le geste avec des gens qui n'ont pas accès à la parole. La plupart des autistes n'aiment pas le contact direct, ils restent toujours à distance. J'ai voulu explorer cette manière de pouvoir être en lien avec des personnes avec lesquelles vous n'avez aucun contact physique, par le regard ou le mimétisme.

Dans une autre de vos créations, Déroute, vous mettiez en scène des individus isolés qui se croisaient mais ne se rencontraient jamais physiquement. Selon vous, la distanciation physique est-elle un ballet sans contact ?

M.M. : Ça y ressemble. Il faut trouver d'autres manières d'être ensemble à distance. On est de toute façon « seuls ensemble », en tant qu'individu, dans la rue… Mais il peut se passer des frôlements, une rencontre où l'on perçoit les énergies des autres, où il y a quand même de l'autre. Cette conversation, elle peut se faire à distance. De toute façon, on n'aura pas le choix.

Dans ces spectacles où vous interrogez les notions de contact et de distance, qu’est-ce qui permet de créer un lien entre les participants ?

M.M. : Quand on est sur une scène, même éloignés, on est ensemble. On travaille collectivement par la musique, le rythme. On est liés par une énergie commune, par un état commun. L'espace entre les corps n'a pas tellement d'importance. L'air et l'espace sont aussi des vecteurs de sensations. Le corps ne s'arrête pas qu'à notre corps présent. Il a aussi une incidence dans l'espace. Il y a donc plein d'autres manières d'être ensemble que de se toucher. Au Japon, la société s'organise dans des circulations, dans des rencontres, dans une civilité qui n'est pas physique. Je pense que l'on va trouver d'autres moyens d'être dans un espace chaleureux.

Au même titre que les salariés des entreprises, vos danseurs se posent des questions sur leur place dans la société ?

M.M. : Ils sont dans une incertitude sur le long terme. Il y a aussi la volonté de réfléchir sur nos métiers en pleine crise systémique du milieu artistique. La culture est devenue une espèce de marché très large, aussi libéral que celui des marchandises. Or on s'est rendu compte qu'on n'était pas considérés comme des produits de première, ni de deuxième, ni même de troisième nécessité : nos métiers vont être les derniers à être déconfinés. Apparemment, la culture n'est pas un objet nécessaire à l'inverse du vin ou de l’alcool. Pourtant on ne peut pas juste penser la culture quand tout va bien. Elle a aussi une place quand ça ne va pas. Les artistes sont venus apporter une autre voix, un autre temps et un autre esprit à ces moments très durs de confinement. La culture n’est pas juste un pansement, elle est là pour questionner le monde.

Quel sera le rôle des arts vivants dans la construction du « monde d'après » ?

M.M. : La mission que je m'étais donnée au Centre de la Danse était de faire vivre notre métier en l'ouvrant d'une manière beaucoup plus large au public. Je n'emploie pas le mot de démocratisation que je trouve ringard aujourd'hui, mais celui de partage. Je pense qu'il faut qu'on se défasse un peu de l'idée ancienne du spectacle dans une grande salle et qu'on imagine d'autres protocoles de rencontres avec le public. Cela passe peut-être aussi par le fait de sortir des salles, d’aller dans l'espace public cultiver une proximité plus grande avec le public.

La danse peut-elle nous aider après deux mois de corps comprimés ?

M.M. : Je crois qu'on aura envie d'une décharge énergétique. Il faudra trouver des espaces où notre colère, notre tristesse puissent s'exprimer, puissent être évacuées et la danse est un moyen. Le sport en est un aussi mais sans ce travail sur l'émotion. Or dans la danse, que ce soit en boite de nuit ou dans les bals, il y a un rapport émotionnel, un rapport de séduction. On a aussi besoin de revenir dans la séduction, avoir des corps un peu plus érotisés qui puissent se séduire.

Et aujourd’hui, que peut-elle nous apporter ?

M.M. : Danser est le meilleur moyen de se remuscler et de se libérer. Il faut mettre de la musique et faire des mini danses ! On n'a pas besoin d’un grand espace. On peut fermer les yeux et commencer à bouger sur une musique. C'est la chose la plus simple au monde. Tout le monde sait danser. Ce qui est important, c'est de ne pas se juger. Comme quand vous chantez sous la douche ! Danser est une célébration. Je vous souhaite d'aller célébrer tout ce que vous pouvez : l'air, la pluie ou la fin du confinement !

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