
Après l'audition de Mark Zuckerberg devant le Sénat et la Chambre des représentants, c'est l'heure du bilan. Comment Facebook a géré la crise ? Réponse de Cédric Deniaud.
De FaceMash à Cambridge Analytica, la question de l'exploitation éthique des données est posée
Piratage et exploitation de données sans transparence pour les utilisateurs sont donc des notions à la source même du réseau social. On comprend la volonté de Mark, près de 15 ans plus tard, de vouloir se montrer éthique et responsable. Sauf que l'on ne parle pas d'une faille, mais bien d'un fondement quasi-dogmatique de Facebook : permettre l'exploitation de toutes les données pour créer des services. C'est la ruée vers l'or noir, le Far West, et Facebook profite d'un immense vide juridique et d'une absence de vigilance de la part des internautes sur la question. Le caractère non dissuasif du montant des amendes appliqué par exemple par la CNIL en France, ne dépassant pas 150 000 euros prévus par l'article 47 de la loi Informatique et Libertés n'est en rien une régulation. Pour souligner le caractère faiblement dissuasif de cette sanction, Facebook s'est vu infligée la dite amende le 16 mai 2017... alors que son chiffre d'affaires à l'époque atteignait les 27 milliards de dollars ! L'amende équivaut donc à 0,005% du dernier bénéfice trimestriel de Facebook, soit l'équivalent de 29 minutes de son activité économique prise sur cette année. Vous me direz que le RGPD vise à apporter une meilleure régulation et des sanctions bien plus conséquentes, pouvant atteindre 20 millions d'euros ou 4% du chiffre d'affaires des entreprises. Attentons de voir...
Cela fait donc depuis plusieurs années que le scepticisme voire la méfiance grandit autour de Facebook et du respect de la confidentialité des données utilisateurs et de leur exploitation éthique. Le succès de Snapchat auprès des jeunes provient en partie de cette méfiance de ces derniers dans la conservation des données partagées.
Une gestion de crise qui oublie l'empathie
Mais on pourrait remonter plus loin sur les excuses de Mark. Dès 2011, la Federal Trade Commission sommait Facebook de respecter la protection de la vie privée de ses utilisateurs. Le reproche portait alors sur le fait que Facebook fait croire aux utilisateurs que leurs données sont privées alors qu'elles sont en réalité partagées avec des annonceurs et des développeurs tiers (par le biais du Social Graph). À l'époque, Mark Zuckerberg était déjà bien obligé de reconnaître que sa société fait un « tas d'erreurs ».
Minimiser le problème pour ne pas remettre en cause tout son modèle
Minimiser passe aussi par les chiffres. S'il a fallu attendre déjà 4 jours avant que Facebook ne se livre à un premier mea culpa officiel, dans lequel Mark Zuckerberg admettait que son entreprise avait « commis des erreurs » et confirmait alors que l'application « This is your Digital Life », à la base du scandale Cambridge Analytica, avait été téléchargée par 300 000 utilisateurs. « Que représentent finalement 300 000 personnes quand nous sommes plus de 2 milliards ? » était le message implicite que voulait, sans nul doute, faire passer ici Facebook. Sauf que patatras, cette ligne de défense tombe.
Mark, ce Bon Samaritain
Tim Cook, le patron d'Apple, n'a pas tardé effectivement à dégainer et à se ranger du côté des victimes (les utilisateurs que nous sommes) en reprenant en substance l'adage digital qui veut que « si un produit est gratuit, c'est l'utilisateur qui est le produit ». Il faut dire qu'avec Apple rien n'est gratuit, et pour autant on peut avoir le sentiment être un peu un produit bien exploité. Cette tribune de Tim Cook donne alors une belle opportunité à Facebook de détourner l'attention et d'essayer de l'orienter vers un autre enjeu : le bénéfice apporté aux utilisateurs. Mark Zuckerberg a profité alors de cette perche tendue par Apple pour réaffirmer que « lorsqu'on construit un service pour connecter le monde entier, beaucoup de personnes ne pourront pas se le payer. Et donc, pour beaucoup de media, la publicité est le seul modèle rationnel qui permet de donner accès à un service au plus grand nombre ». Mark n'est pas loin ici de prendre la casquette du Philanthrope, du Bon Samaritain...
La révolte du digital Bounty
Pour aller plus loin dans cette démarche, face à la Chambre des Représentants, Mark Zuckerberg a ainsi fait les louanges de la règlementation européenne RGPD en l'estimant « très positive pour l'Internet ». Il ajoute même vouloir offrir le même cadre juridique à l'ensemble des utilisateurs de Facebook du monde entier « aussi vite que possible ». Que pourrait-on alors reprocher à Facebook devant cette volonté si positive de vouloir oeuvrer pour la mise en place de régulations ?
Les vraies solutions existent mais elles sont bien évidemment jamais mentionnées. Prenons l'exemple de la ville de Gand en Belgique. Un projet vise à y développer un Internet alternatif baptisé « Indienet » où chaque citoyen posséderait son propre espace, contrôlerait ses données personnelles. Dans les faits, il s'agit d'un espace privé où chaque citoyen stockerait l'intégralité de ses données personnels et dont eux seuls auraient les clés d'accès, plutôt que de confier cet enjeu à Facebook et Google. Nous ne sommes peut être qu'à un nouvel épisode de cette gestion de crise de Facebook et de ses données. À suivre.
À propos de l'auteur
Cédric Deniaud est fondateur et Directeur Général du cabinet conseil The Persuaders, spécialisé dans la stratégie et accompagnement digital des entreprises.
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