Les fans des Sims dépensent des milliers de dollars pour acheter accessoires et meubles pour leurs avatars. Pierick en a fait son métier. Son business, le modding, est promis à un brillant avenir et c'est Patreon qui se frotte les mains.
Durant la journée, Pierick est étudiant en cinéma d’animation à Bordeaux. Mais le soir, Pierick se transforme. Il est artisan spécialisé en mobilier d’intérieur. Mais il ne sait pas travailler ni le bois ni la ferronnerie, car ses outils à lui sont principalement des logiciels de modélisation 3D. Sous le pseudo de Pieresim, il fabrique des armoires, des services à thé ou des radiateurs uniquement virtuels. Et ils sont très prisés par une communauté particulière : celle des joueurs des Sims 4.
Les Sims 4, toujours en vie
Ce « simulateur de maison de poupée » sorti en 2014 ne fait plus l’actualité, mais il continue à vivre grâce à la passion de ses joueurs. Ces derniers sont en quête de mods, c’est-à-dire d'éléments customisés par des créateurs indépendants qui permettent de modifier le jeu en profondeur. Certains cherchent des personnages différents, avec des coiffures, des mensurations ou des couleurs de peau personnalisées. D’autres veulent des accessoires et des vêtements pour leurs Sims. Enfin, il y a les enragés de l’architecture d’intérieur qui veulent meubler leur appartement avec du Ikea ou bien customiser d'une touche néo-victorienne leur manoir.
C’est sur ce créneau que s’est placé Pierick, au point d’en faire son deuxième métier. « Comme beaucoup, j’ai découvert les Sims quand j’avais 11 ans. Pendant des années, j’adorais fabriquer des maisons et faire de la décoration d’intérieur, explique-t-il. Après le bac, je me suis lancé dans la modélisation 3D en parallèle de mes études sur l’animation. Je continuais à jouer aux Sims, mais avec une certaine frustration. Je ne trouvais pas d’objets personnalisés qui me correspondaient. Du coup, je me suis lancé dans la modélisation de mes propres sets (collection entière de décoration). Et depuis ça fonctionne bien pour moi. »
Un deuxième job
À ce stade, il faut préciser que Pierick « vend » ses mods sur Patreon. Sur la plateforme de financement participatif, il est soutenu par une base qui oscille entre 900 à 1 000 personnes qui déboursent entre 2 euros et 5,50 euros par mois pour le soutenir et surtout pour accéder à ses nouvelles productions en avant-première. Ceux qui sont trop fauchés peuvent attendre deux à trois semaines après la sortie des objets. Ces derniers seront rendus libres d’accès pour tous ; une tradition qui a cours dans la communauté du modding des Sims. Sans préciser combien il gagne, Pierick assure que ses revenus lui permettent de rembourser son prêt étudiant et d’avoir un train de vie confortable. En revanche, le prix à payer se compte en nombre d’heures. « Quand je rentre de mon stage ou de mon école vers 20 heures, je commence ma deuxième journée, raconte-t-il. Je travaille jusqu’à 2 heures du matin environ. Mes week-ends y passent aussi. C’est pour ça que je considère cette activité comme un vrai job et pas seulement comme un hobby. »
YouTube, créateur de richesse indirecte
On ne se rend pas compte quand on regarde les chiffres, mais cumuler un millier de soutiens sur Patreon est un petit exploit, d’autant plus que Pierick s’est lancé récemment, en août 2020. Comment a-t-il pu connaître une telle progression ? Grâce au réseau d’influence qui entoure Les Sims 4 présent sur de nombreuses plateformes. « J’ai eu mes premières interactions avec la communauté après la création de comptes Twitter et Tumblr dédiés à mes sets, raconte-t-il. Au début, une dizaine de personnes me suivaient, et puis ça a fait boule de neige quand mes sets sont arrivés sur YouTube. » Sur la plateforme vidéo, on compte plus de 9 600 chaînes spécialisées sur les Sims. Il ne s’agit pas de la communauté la plus grande, mais elle est fréquentée par des passionnés qui présentent les nouveaux contenus fabriqués par les moddeurs et les intègrent dans leurs parties filmées. L’exercice ressemble souvent à des feuilletons de telenovelas où l’on suit les aventures improvisées de personnages.
Certains vidéastes comme Deligracy possèdent plus d’un million d’abonnés. C’est justement elle qui a permis à Pierick de bénéficier d’une large publicité. « J’ai eu un premier youtubeur qui a parlé de mon travail, puis un autre plus important jusqu’à Deligracy qui a fait décoller mon Patreon. »
Qui a la main dans le sac de EA Games ? Patreon
Cette économie qui comprend des influenceurs et des créateurs d’objets virtuels centrés autour d’un jeu rappelle fortement le dispositif mis en place sur Roblox. Depuis plusieurs années, cette plateforme très fréquentée par les enfants propose à ses utilisateurs les plus motivés de devenir développeurs de jeux ou modélisateurs d’accessoires pour avatars. Ces derniers sont rémunérés directement par les joueurs et sont aussi mis en avant par des youtubeurs qui testent leur jeu pour des centaines de milliers d’internautes. Mais la comparaison s’arrête là. Roblox fonctionne presque en circuit fermé. La plateforme contrôle à la fois les créateurs, mais aussi les influenceurs, qui sont rémunérés avec une monnaie virtuelle qui s’échange contre de vraies devises à partir d’un certain montant. De leur côté, EA Games et Maxis, qui sont respectivement les éditeurs et les développeurs des Sims, se sont très peu impliqués dans l’écosystème des moddeurs. Les créateurs sont directement rémunérés par la communauté des joueurs, et seul Patreon profite de la manne. Sur la plateforme, on trouve un peu plus d’un millier de comptes dont les plus performants cumulent près de 6 000 contributeurs.
Tant que ça dure...
Très avantageux envers les créateurs, le système économique du modding des Sims 4 semble presque archaïque en 2021. La plupart des jeux vidéo récents se revendiquant des métavers tentent eux aussi de mettre en place des outils de création et surtout une place de marché intégrée au sein même des jeux. Ces systèmes de création internalisés et souvent annexés à des cryptomonnaies et des NFT doivent garantir aux entreprises qui développent ces jeux un contrôle total du marché et de la valeur des objets virtuels. En laissant Patreon s'accaparer ce marché, EA Games passe à côté du beurre et de l'argent du beurre. De son côté, Pierick pense que le prochain opus des Sims proposera ces outils à tous les joueurs voulant s’essayer au modding. « À partir du moment où tout le monde pourra facilement faire ce que je fais, ça perdra de sa valeur et je pense que j’arrêterai. » Aucune date de sortie n’a pour le moment été annoncée pour les Sims 5. En attendant, les moddeurs peuvent continuer à créer sans contraintes.
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