
Le recyclage est un sujet bouillant. En France on ne se débrouille pas trop mal, selon Carlos de Los Llanos, directeur scientifique de Citeo. Mais il faut quand même que les industriels se bougent.
Le plastique, la pollution, l’exportation des déchets… aujourd’hui, le sujet fait trembler les industriels, vibrer les associations, et culpabiliser les consommateurs. Alors qu’un article du Guardian titrait sur l'arnaque du recyclage, le débat est grand ouvert. Un récent reportage du journaliste Hugo Clément partage des faits édifiants : chaque seconde, l’humanité produit 10 tonnes de plastique. Et malgré toute la bonne volonté du monde et les meilleurs programmes de recyclage en vigueur, force est de constater qu’une bonne partie de nos déchets occidentaux se retrouvent illégalement dans la nature.
Alors, qui est coupable ?
Des différences selon les pays
Pour Carlos de Los Llanos, il n’y a pas de réponse simple. Celui qui dirige le service scientifique de Citeo, entreprise spécialisée dans le recyclage des emballages ménagers et des papiers, tient tout d’abord à souligner les différences selon les pays. « La France a pris la décision il y a 25 ans de ne pas jouer la carte du grand export concernant le recyclage des déchets ménagers », assure-t-il. Contrairement à d’autres pays qui n’ont pas jugé nécessaire de développer de filières recyclage sur leur territoire, la France serait plutôt bonne élève. « Le Royaume-Uni, qui est historiquement un acteur du commerce international, n’a pas fait cet effort-là. Les États-Unis non plus. Et puis il y a le Japon, qu’on oublie souvent de mentionner. La France a choisi d’agir dès 1992, alors que le marché n’était pas cadré. C’est aussi un pari industriel : développer la filière recyclage, c’est créer des entreprises et donc des emplois. » Et le bilan est, selon lui, satisfaisant. Sur la totalité des plastiques recyclés, 88% le sont en France, 11% en Europe, et 1% au grand export. Carlos de Los Llanos justifie ce pourcentage restant par la liberté du commerce, qui régit le marché.
Que peuvent faire les entreprises ?
Interrogé sur le rôle des entreprises, Carlos de Los Llanos est d’abord enthousiaste : tous les grands leaders industriels clament auprès de qui veut bien les croire qu’ils souhaitent s’affranchir de tout plastique non recyclable à horizon 2025. Pour y parvenir, Carlos de Los Llanos identifie deux pistes : l’écoconception et le recyclage. L’écoconception implique de concevoir dès le départ des emballages destinés au recyclage – et donc exempts de certains additifs ou colorants. Quand on gratte un peu, les limites se font sentir. « C’est difficile pour certains emballages, notamment alimentaires, qui doivent remplir une fonction de protection. Les barquettes de jambon, par exemple, utilisent différents polymères pour obtenir certaines propriétés. »
Problème : associer différents plastiques complique, voire rend impossible, le recyclage. « Nous les poussons à changer cela. Ça permet d’innover dans l’industrie : soit dans les plastiques à utiliser, soit dans les techniques de recyclage toujours plus poussées. »
Par ailleurs, il se félicite que les entreprises participent, au moins financièrement, au recyclage. « Chaque année, elles contribuent à hauteur de 700 millions d’euros. » Il admet que « rien n’est parfait », et que le circuit, malgré une grande traçabilité, peut comporter quelques failles dans lesquelles s’immisceraient des entreprises pas toujours réglos. « Le niveau de maturité est différent. Certaines boîtes sont très conscientes des enjeux, d’autres n’en font pas du tout une priorité. Ce qui est assez efficace, c’est le bâton financier. Selon leurs efforts d’écoconception, les entreprises paient plus ou moins cher le nombre d’emballages mis sur le marché. » Ce système, mis en place en France depuis désormais 8 ans, impose à chaque société de payer un certain montant en fonction du nombre d’emballages vendus par catégorie. Le tarif varie en fonction du matériau utilisé, du poids, de la complexité à recycler… « Les entreprises ont tout intérêt à aller dans le sens du recyclage. On ne peut pas les convaincre uniquement par des discours, il était important d’avoir ce volet financier. »
À Paris, on recycle moins qu’à la campagne
Les grandes villes sont plutôt généreuses en poubelles publiques. Pourtant, il n’est pas rare de voir les trottoirs jonchés d’ordures dès le petit matin. À ce sujet, le cliché du Parisien qui se fiche de trier ses déchets n’est pas loin d’être vrai. « Il y a une réelle opposition entre la ville et la campagne. En France, on recycle 58% des bouteilles en plastique. Mais la moyenne est impactée par les mauvaises pratiques des grandes métropoles. À Paris par exemple, on est aux alentours de 10%. En Bretagne, ce taux grimpe à 90% dans certaines villes. »
Ce décalage s’explique par un cumul de contraintes en milieu urbain... et un manque de bonne volonté. « Les villes sont denses, on ne sait pas toujours où mettre ses poubelles. Par ailleurs, quand on partage ses poubelles avec ses voisins, il est assez facile de se sentir "anonyme". On se sent moins responsable qu’une famille qui possède ses propres poubelles à la campagne, donc on s’autorise à ne pas faire le tri correctement. »
« Les entreprises ne peuvent pas trier à la place du consommateur »
Des industriels limités par des enjeux pratiques, des consommateurs peu regardants… Question plastique, on a l’impression que plus personne ne trouve ça fantastique mais que tout le monde se renvoie la balle. Emmanuel Faber, CEO de Danone, estime d’ailleurs que « les utilisateurs doivent assumer leur responsabilité ». Sur le sujet, il est plutôt remonté. « Une ONG ne peut pas montrer une bouteille en plastique au leader du marché des boissons rafraîchissantes et lui dire : "regardez, ça, c’est à vous." C’est juridiquement faux. C’est le consommateur qui l’a achetée et qui l’a jetée au mauvais endroit. La responsabilité est collective », nous confiait-il il y a quelques mois.
Un constat partagé par Carlos de Los Llanos. « Les entreprises ne pourront jamais trier à la place du consommateur. C’est toute la difficulté de la situation : tout le monde doit être aligné. Il faut des consommateurs informés, des municipalités mobilisées et des entreprises responsabilisées. »
Le 100% biodégradable est « une vue de l’esprit »
Informer le consommateur plutôt que le culpabiliser, donc. « Les gens sont plutôt pétris de bon sens. Toutes les enquêtes confirment que les consommateurs sont prêts à trier : d’ailleurs, nous recyclons déjà 70% des emballages ménagers en France. » Et c’est une bonne chose, car selon Carlos de Los Llanos, ce n’est pas demain la veille qu’on pourra faire autrement. « Il n’y a pas de solutions miracles. Nous n’arriverons jamais à un système où tous les emballages seront biodégradables ou compostables. C’est une vue de l’esprit, ça n’existera pas. Par ailleurs, le plastique dit "compostable" met un certain temps à se dégrader. Et pour les raisons évoquées précédemment, on ne peut pas imaginer remplacer le plastique qui a vocation à protéger des aliments par des solutions compostables. »
Quand on l’interroge sur les autres alternatives – la vente en vrac, le papier, le carton…, il tempère nos excitations. « Il ne faut pas oublier que la vente en vrac est la dernière étape d’un long circuit pour acheminer le produit jusqu’au distributeur. Il serait intéressant de regarder si le vrac n’encourage pas les emballages déguisés, ou ne favorise pas le gaspillage alimentaire. »
In fine, il en est quand même convaincu : le plastique doit se réinventer. « Il faudra trouver d’autres matériaux qui ont les mêmes vertus, sans en avoir les nuisances. » Mais pour lui, c’est plutôt une source de réjouissance. « Ça ouvre un champ incroyable de R&D et d’innovation. » Certes. Mais espérons que le champ soit fertile, et, si possible, pas dopé aux produits chimiques.
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