
La pub peut-elle être responsable ? Luc Wise, ex-Herezie et fondateur de l'agence The Good Company, y croit dur comme fer. Interview.
C’est quoi, le rôle de la pub aujourd’hui ?
Luc Wise : Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut changer nos modes de consommation et nos modes de vie. Or le rôle de la pub a toujours été d’influencer la façon dont nous consommons et vivons. Il y a désormais un lien logique entre la publicité et les enjeux planétaires.
La « pub responsable », elle promet quoi ?
L. W. : La publicité responsable se définit à la fois par sa finalité et les moyens mis en œuvre. Sa finalité, ce doit être de promouvoir une meilleure consommation plutôt qu’une surconsommation. Dans les moyens mis en œuvre, il faut une publicité qui soit plus éco-socio-responsable. Cette bascule ne pourra se faire qu’aux côtés des grands acteurs. On pourrait jouer les puristes et se dire qu’on ne travaille qu’avec des marques 100% good – si tant est qu’elles existent ! Mais la vérité, c’est que les enjeux sont tels qu’il faut embarquer les grandes entreprises.
Est-ce que les consommateurs y croient ?
L. W. : Toutes les études montrent que les consommateurs souhaitent des marques plus engagées. Le problème, c’est qu’ils ne peuvent jamais être certains qu’elles s’engagent à hauteur de ce qu’elles promettent. Si la publicité responsable s’appuie sur des preuves réelles et qu’il y a une vraie cohérence entre ce qui est dit et ce qui est fait, alors les gens y croient. Mais ils ne sont plus dupes : s’il y a un décalage entre les promesses et l’engagement, ça ne passe pas.
Faut-il rebooter les publicitaires ?
L. W. : On a caricaturé les publicitaires en les présentant comme des menteurs. En réalité, la majorité des communicants sont des gens qui veulent bien faire leur métier ! Nous ne sommes pas un troupeau à part, qui vit dans une bulle. Nous avons toujours évolué avec notre temps. Ce qu’il faut rebooter, c’est le capitalisme. Les publicitaires n’en sont pas les commanditaires, mais les artisans. En ce sens, il faut les rebooter aussi – tout comme l’ensemble des populations et des métiers. Tout le monde prend conscience que les modèles de croissance actuels ne sont pas durables, même les fonds d’investissement.
Les grandes entreprises coupent les budgets. Objectif : plus de pub, moins chère. Ont-elles conscience des enjeux de la pub responsable ?
L. W. : Le capitalisme est à l’origine de nombreuses pratiques que je qualifie de « cheapisation » : de la mauvaise qualité, à bas prix, en grande quantité. On a vu ça comme un progrès à un moment donné. On se rend compte aujourd’hui que les effets secondaires sont négatifs. C’est pareil dans la communication. Nous sommes dans une phase où l’on trouve génial de produire beaucoup pour moins cher et rapidement. Dans cinq ans, on n’aura pas le même regard. Ces méthodes entraînent des productions anecdotiques, réalisées dans des conditions médiocres et créent des troubles dépressifs. Ça me fascine qu’on soit tellement attirés par le snackable content : dans l’alimentaire, on s’est bien rendu compte que le snack, c’était de la junk food ! Heureusement, certains clients comprennent qu’il est préférable de faire moins et mieux, et de sortir de cette logique productiviste.
Il y a le fond, et la forme. La pub responsable va-t-elle au-delà du message ?
L. W. : Il y a un vrai sujet autour de la production, de l’éco-conception, de l’éco-design. C’est bien beau d’aller tourner des publicités en Argentine ou en Afrique du Sud en hiver… Ça permet d’avoir du soleil pour pas cher. Mais les conditions sont épouvantables. Il faut faire des choix, trouver des alternatives, créer de nouveaux métiers de solution. Des créatifs à la production en passant par l’achat d’art et la finance, il faut que tout le monde en agence prenne conscience des enjeux de la publicité responsable.
Quels sont les freins systémiques à la pub responsable ?
L. W. : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas une question de culture. Le vrai frein, chez les annonceurs, c’est d’être critiqué parce qu’on prend position. Et c’est légitime : en défendant mes bonnes actions, je m’expose. Pourtant, je pense vraiment qu’il est important de s’engager plutôt que de rester silencieux. Si une marque choisit de faire profil bas, elle risque de se faire doubler par la concurrence et abandonner par les consommateurs. C’est en communiquant de façon responsable que le marques pourront être valeur d’exemple. Ce sont elles qui doivent proposer des solutions, créer des vocations, montrer le chemin. Il y a 600 milliards de dollars qui sont dépensés en publicité dans le monde ! On peut vraiment utiliser cet argent pour promouvoir de nouveaux modes de vie.
Comment aller plus loin ?
L. W. : Quand on regarde l’histoire du monde, les révolutions éclatent par des faits… mais aussi par des idées ! Les idées des Lumières ont mené à la révolution française, les idées libérales à la révolution des mœurs… je crois profondément en la force des idées. Les publicitaires doivent faire leur révolution et proposer des idées. La création a un vrai rôle à jouer. Par ailleurs, dans un monde où l'on crée des tableaux de bord dans tous les sens, avec des KPI, des labels et des audits… on pourrait imaginer un système qui mesure l’impact des campagnes sur le business, sur la marque, mais aussi sur les comportements des gens, l’environnement et la société.
Cet article fait partie d'une interview-débat parue dans la revue n°20 de L'ADN ("La pub responsable : est-ce qu'on y croit ? "). Pour la retrouver dans son intégralité, c'est par ici.
Parcours de Luc Wise :
2000 : commence sa carrière chez Publicis Conseil en tant que Strategic Planner
2003 : prend la direction de la stratégie et devient directeur général de l'agence V
2010 : cofonde Herezie
2017 : retourne chez Publicis en tant que Chief Transformation Officer
2019 : fonde l'agence The Good Company
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