Une femme dans un bus portant un masque chirurgical

Témoignages : le quotidien des gens qui sont obligés d’aller travailler en confinement

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Entre routine, angoisse et sentiment d’utilité, nous avons interrogé cinq personnes qui sont obligées de travailler malgré le confinement.

Olivier, titulaire d’une pharmacie d’officine : « On sent plus de solidarité entre les gens »

Pour Olivier, titulaire d’une pharmacie d’officine, les mesures et annonces du gouvernement ont eu un effet positif. « Il y a beaucoup moins d’hystérie, note-t-il. Je pensais que ça allait avoir l’effet inverse, créer un effet de panique. Mais tout le monde respecte les distances de sécurité, les marquages au sol, personne ne se dispute dans la queue. J’ai même l’impression qu’une forme de fraternité et de solidarité se développe. » Pour lui, c’est évident : c’est lié à une meilleure forme de communication de la part des autorités. « Avant, chacun allait chercher l’information par lui-même. Forcément, ça laissait la place libre aux fake news. »

Olivier travaille beaucoup, plus que d’habitude. Le 17 mars 2020, avant l’allocution du président, il a même reçu 560 personnes. Mais les mesures restrictives et les contrôles de la police calment un peu le jeu. Il n’empêche que, niveau horaire, c’est du 8h30 – 20h30, cinq jours par semaine. « On répond 100 fois par jour aux mêmes questions – est-ce que vous avez reçu des masques ? est-ce que c’est efficace ? est-ce que vous avez du gel hydroalcoolique ? –… c’est assez fatiguant, confie-t-il. On conseille aux gens de ne pas venir pour rien. », mais force est de constater que c’est parfois le cas. Ce n’est pas faute d’alerter sur la présence de microbes et le risque de contamination. Ce qui stresse aussi les équipes.

L’une des préparatrices de la pharmacie est d’ailleurs obligée de prendre des anxiolytiques pour se calmer. « Psychologiquement, c’est plus difficile que d’habitude, admet-il. On travaille en général dans la bonne humeur, j’apporte des viennoiseries à l’équipe le vendredi… en ce moment ce n’est pas possible – déjà parce que toutes les boulangeries ne sont pas ouvertes, ensuite parce qu’on n’est moins enclins à manger des aliments qui ont été manipulés par d’autres, et enfin parce qu’on porte des masques toute la journée. Nous sommes censés en changer toutes les quatre heures… mais nous n’en avons pas assez, alors on porte le même du matin au soir. »

Côté perso, Olivier a dû changer certaines de ses habitudes de vie. « Moi qui pratiquais le jeûne intermittent, je suis obligé de manger le matin. Je ne peux pas me permettre d’être fatigué. » Et pour sa vie de famille ? « Je n’ai pas de contact physique avec ma femme par peur de la contaminer, je me douche matin et soir… C’est difficile : ce matin ma fille est venue dans mes bras en me disant que je lui manquais, j’ai dû retenir ma respiration. » Le soir, pas question de se « détendre » avec des loisirs : c’est dodo direct. « J’ai besoin de récupérer. Je me couche super tôt, je ne bois pas d’alcool, je fais des exercices de respiration… ça me calme. Sans cela, je suis certain que je ferais des insomnies. »

Quand on l’interroge sur « l’après », Olivier avoue qu’il est difficile de se projeter. « Je pense que la psychose restera même si le virus disparaît. Les gens vont garder leurs masques pendant un temps. » Une fois que son équipe aura un peu récupéré, il espère qu’il pourra voyager un peu. « Histoire de libérer mon esprit de toute cette tension... »

NDLR : depuis notre entretien, Olivier a été diagnostiqué COVID-positif et est arrêté pour 8 jours.

Magali, manager d’une équipe dans un laboratoire sous-traitant pharmaceutique : « Ça me permet de garder une routine »

Au quotidien, Magali travaille dans un service qui vérifie que les seringues et les flacons qui servent à administrer les médicaments sont conformes. « En ce moment, je travaille trois jours par semaine, 10h par jour. C’est intense, sans compter qu’il y a beaucoup de tests à effectuer "en urgence". On ne sait pas exactement pourquoi à cause de raisons de confidentialité, mais vu les délais réduits, c’est probablement lié à la pandémie. »

Malgré des mesures strictes au sein du laboratoire, Magali ne peut s’empêcher de penser qu’il y a un risque. « On nous demande de ne pas sortir… mais on doit quand même aller bosser. Heureusement que j’aime mon métier. » Elle souligne les limites des mesures de précaution : « nous sommes obligés de porter des gants mais notre stock s’épuise, nous gardons les masques jetables longtemps car nous n’en avons pas assez, et malgré des roulements au sein des équipes pour qu’il n’y ait pas trop de monde, c’est difficile de se tenir éloignés les uns des autres, notamment pendant les manipulations ou les démonstrations. »

Magali estime que travailler lui permet de garder une certaine routine et de se sentir utile. « Si on trouve un vaccin et que nous devons tester le matériel, je serais fière de participer à la lutte contre la pandémie. » Elle essaye aussi de se concentrer aussi sur les côtés « positifs » de la crise : « les qualités humaines ressortent. Les clients sont plus compréhensifs, plus solidaires, plus à l’écoute. Il y a toujours une parole gentille dans les e-mails, les gens se souhaitent du courage, prennent soin les uns des autres. » Elle admet aussi que, pour l’instant, elle ne se sent « pas trop concernée » par ce qui se passe. « Je ne fais pas partie des populations à risque, je suis jeune, en bonne santé, et je ne connais personne d’infecté. Ma plus grande peur serait de contaminer les autres. Par contre, si le nombre de morts continue d’augmenter, je me poserais plus de questions. Est-ce que ça vaut le coup de mettre sa santé en danger juste pour un job ? »

Ce qui la perturbe le plus, c’est l’atmosphère dans les rues. « C’est presque angoissant : il n’y a personne sur les routes, c’est un peu triste. J’imagine les gens qui sont enfermés chez eux toute la journée. Ça fait aussi bizarre de voir tous ces gendarmes, ces camions qui circulent. On n’est pas habitués. » Résultat, quand elle rentre chez elle, elle déconnecte. « Je parcours les gros titres des infos, mais je préfère regarder un film, me détendre. » Elle espère que la crise permettra de mettre les choses en perspective. « On va se remettre en question côté consommation, on va devoir prendre du temps pour réfléchir sur nous, nos valeurs. »

Quentin, facteur et membre du CHSCT : « J’ai l’impression d’avoir un compte à rebours au-dessus de la tête »

« Je suis un peu fatigué, j’angoisse, j’ai l’impression d’attraper le coronavirus tous les jours et d’avoir des symptômes… mais ça va », nous dit Quentin, facteur. Pour lui, le plus bizarre en ce moment, c’est l’ambiance. « Quand je croise des gens dans la rue, j’ai l’impression qu’ils sont en train de faire une connerie. Ça arrive même qu’ils changent de trottoir. »

Réquisitionné pour « mission de service public », Quentin déplore des mesures de sécurité pitoyables. « Au début, on nous demandait de continuer à distribuer les pubs et autres tracts inutiles. J’ai dit à ma direction que j’étais d’accord pour m’occuper des courriers prioritaires, des livraisons et des recommandés, mais que le reste était trop risqué. Je ne vois pas en quoi distribuer de la pub s’inscrit dans la mission de service public. Par contre, ce matin, j’ai permis à une personne confinée de faire un recommandé, et mon patron veut se rapprocher des pharmacies pour qu’on puisse livrer des médicaments. Là, je me sens utile. »

Côté équipement, Quentin n’a pas de gants, et un seul masque pour la semaine. « Mon boss a trouvé du gel hydroalcoolique, mais clairement ce n’est pas suffisant. » Pour lui, c’est clair : certaines personnes ne comprennent pas le principe de distanciation sociale. « Il y a des gens complètement à la ramasse. Je pense à une résidence, en particulier, dont les habitants m’attendent, viennent me voir quand je passe. C’est à moi de leur expliquer qu’on ne doit pas avoir de contact ! »

Côté activité, Quentin travaille plus que d’habitude. « Les syndicats poussent le droit de retrait parce que nous ne sommes pas assez protégés. Donc même si le trafic baisse, les équipes ne sont pas complètes. »

À choisir, Quentin préférerait être confiné. « Ça m’énerve quand je vois des gens dehors. De manière générale, j’ai peur des virus. Tu ne peux pas contrôler la situation, ce n’est pas visible. Et en ce moment, c’est pire. Avec les infos en continu, j’ai l’impression d’avoir un compte à rebours au-dessus de la tête. Pour le moment je ne connais personne de malade, mais si ça commence à toucher à mon entourage, je ne sortirais plus. Même si je dois prendre des congés sans solde. »

Laure, infirmière salariée à l’hôpital : « À un moment donné, l’amour de ton métier rencontre des limites »

Laure travaille auprès de jeunes ados au sein du service psychiatrique d’un hôpital de 3ème ligne – « c’est-à-dire qu’on ne peut pas recevoir de patients malades du coronavirus à moins que les hôpitaux de 1ère et 2ème ligne ne soient pleins », nous explique-t-elle. En ce moment ? Elle est censée être en congés. Mais à contexte exceptionnel, mesures exceptionnelles, et Laure peut être mobilisée à tout moment, y compris par un service qui n’est pas le sien. « Je viens de médecine, on peut donc avoir besoin de mes compétences. »

Dans son service, tout est bousculé. « Nous renvoyons certains patients chez eux, ceux qui n’ont pas forcément besoin d’un suivi quotidien. C’est parce qu'un hôpital voisin s’occupe de malades du coronavirus : ils nous envoient donc leurs patients de psychiatrie pour ouvrir plus de lits en médecine chez eux. »

Quand on lui demande comment elle se sent, Laure l’admet : elle a peur. Et ses collègues aussi. « La plupart des infirmières n’ont pas le choix. On n’est pas là par courage, on ne nous demande pas notre avis. Puisque mon service accueille chaque jour des patients qui viennent d’ailleurs, ça augmente le risque de contamination. Je n’ai, bien sûr, pas envie d’être malade, mais j’ai surtout peur pour mes enfants. »

Elle regrette une mauvaise gestion de la circulation. « Entre la maison et l’hôpital, les mouvements entre les différents services et les réunions toutes les 5 minutes et l’accueil de nouveaux patients, il y a trop de circulation pour éviter les contaminations. Au début, même les cadres prenaient ça à la rigolade. Ça crée une ambiance très pesante. » D’autant plus que personne n’était préparé à cette crise – ni le système, ni les individus. « Au mois de février, on regardait encore ça de loin, sans imaginer une seconde que les hôpitaux allaient être débordés, sans parler de la réorganisation des services. C’est arrivé d’un coup, au moment de l’annonce de la fermeture des écoles. »

Quand on lui demande si, étant en première ligne, elle se sent mieux informée que le reste de la population, Laure est cash. « Ce n’est pas à l’hôpital qu’on nous informe sur la situation globale. On nous informe sur l’organisation au jour le jour, on nous demande de faire de la place, mais on ne sait pas vraiment à quoi ça servir, quels patients nous allons accueillir. Même au plus haut de la hiérarchie, ça reste flou. Alors on s’informe dans les médias, comme tout le monde. »

Bien sûr, Laure aime son métier, et elle se sent utile. Mais « à un moment donné, l’amour de ton métier rencontre des limites. J’ai le sentiment d’aider, de participer à ce que la vie continue. Mais je ne sais pas comment je réagirais si on me demandait d’aller en réa. Je ne sais pas si j’aime assez mon métier pour risquer ma vie. »

Didier, kiosquier : « Je ne suis pas mécontent, ça me permet de voir un peu de monde »

En ce moment, Didier aide un confrère dans son kiosque du quartier Saint Paul. « Il y a des gens vraiment accros à l’info, constate-t-il. Nous vendons tous les soirs une centaine d’exemplaires du Monde. » Il note que les usages ont changé : les gens qui continuent de venir achètent plus. « Ils prennent en moyenne trois ou quatre magazines. On sent qu’ils achètent pour un moment, ils stockent. »

Malgré ces fidèles, l’activité est moins soutenue que d’habitude. « Et encore, on a la chance de travailler en face d’une boulangerie, d’un tabac et de deux supermarchés. Je sais que pour d’autres kiosquiers, qui sont situés dans des quartiers moins animés, c’est plus compliqué. Certains ont dû fermer. »

Il admet tout de même que l’ambiance a changé. « C’est un quartier plutôt passant, d’habitude. Il y a toujours des centaines de personnes. Entendre le bruit de ses propres pas quand on marche pour rentrer chez soi, c’est assez anxiogène. Le silence est très pesant. »

Didier n’a pas l’impression d’être en danger d’un point de vue sanitaire. « On fait attention. Je nettoie le comptoir quasiment entre chaque client. Et puis les gens prennent leurs précautions, ils s’éloignent d’eux-mêmes. Si quelqu’un met un peu de temps à remballer sa monnaie, les autres personnes attendent plus loin. » Côté équipement, Didier a essayé de travailler avec des gants, mais il a abandonné l’idée. « Ce n’est pas pratique. » Plus que le virus, c’est l’arrêt des commerces aux alentours qui pourrait l’inquiéter. « La boulangerie reste ouverte moins longtemps, le tabac envisage de fermer, nous adaptons aussi nos horaires… Je suis plus inquiet de l’impact économique que de l’impact sur la santé. » Lui-même connaît des personnes malades du coronavirus. « Je pense à une amie médecin qui a été dépistée. Elle m’expliquait qu’à part le nez qui coule et des douleurs aux articulations, la maladie n’avait eu aucun impact sur elle. Les personnes infectées ne s’en rendent pas compte à 80%. » Ce discours, il le tient aussi parce qu’il est en bonne santé. « Sinon, évidemment, je ne trouverais pas ça drôle du tout. Mais là, je ne suis pas mécontent. C’est un peu une soupape, ça me permet de voir un peu de monde. En plus, je vais travailler en scooter : je n’ai pas besoin d’utiliser les transports et d’être au contact proche d’autres gens. »

Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.

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