Le plus important dans cette crise en tant qu’entreprise ? Faire corps, garder le lien avec les équipes, et surtout les préparer au monde d’après. Nous faisons le point avec Arnaud Marion, expert spécialisé dans la gestion de crise.
Faut-il mettre ses équipes au chômage partiel ? Comment se relever après la crise ? Les mesures du gouvernement sont-elles suffisantes ? En ces temps troubles, les dirigeants et dirigeantes d’entreprise ont besoin de réponses, de pistes de conseil. Et Arnaud Marion leur en apporte quelques-unes (notamment à l’occasion d’un webinaire gratuit à partir du 19 mars 2020 - inscriptions ici). Pour ce dirigeant spécialisé depuis 30 ans dans les opérations de stratégie, de crises et de restructurations d’entreprises, il est primordial de garder le lien, d’informer ses employés de la réalité des événements et surtout de – déjà – penser à l’après-crise.
Interview.
Les chefs d’entreprises pouvaient-ils être préparés à une telle crise sanitaire ?
Arnaud Marion : Par définition, une crise est toujours soudaine et surprend par son ampleur. Personne n’y est jamais préparé, les chefs d’entreprise ne font pas exception. Ici, nous faisons face à une crise qui touche plusieurs pays. Elle nous montre à quel point les plans de continuation d’activité sont, de manière générale, sous-évalués par rapport à la réalité.
Ce qui est intéressant, c’est le déni collectif qui a précédé. Il suffit de faire l’exercice de relire les articles de presse publiés il y a deux semaines, ou les valeurs de la bourse à cette même période… c’est le « monde d’avant ».
L’impact n’est pas le même selon la taille et le secteur d’activité des sociétés. Pour qui cela sera-t-il le plus dur ?
A. M. : Ceux qui auront le plus de mal sont ceux qui étaient déjà fragiles avant la crise. Je pense notamment à ceux qui sont sous-capitalisés, ou qui n’avaient pas engagé leur transformation. Une entreprise qui transforme son modèle régulièrement a peu de chance de subir ce type de crise. Facebook, par exemple, réinvente son modèle économique tous les 18 à 24 mois. À l’inverse, les compagnies aériennes ou l’industrie automobile, qui se transforment peu, vont être particulièrement touchées. Nous parlons quand même de nationaliser certaines entreprises en urgence…!
Ce que l’on peut espérer, c’est que la classe politique prenne conscience du besoin de développer un capitalisme responsable et de long terme, de regrouper les acteurs de petite et moyenne taille, d’impliquer davantage les régions, et pas uniquement en période de sauvetage. J’espère que la crise entraînera une tectonique de la pensée pour renforcer les structures déjà fragiles.
Les promesses d’aide du gouvernement pour aider les entreprises sont nombreuses. Les trouvez-vous rassurantes ?
A. M. : Pour une fois, le gouvernement a frappé un grand coup plutôt que d’adapter à retardement des mesures insuffisantes. C’était nécessaire pour ne pas émousser la confiance, par rapport à un arrêt des entreprises et du pays. Les promesses d’indemnisation – notamment sur les frais fixes – et la mobilisation de la BPI sont incroyables. Le dispositif mis en place, en quelques jours seulement, doit permettre de traiter 4 ou 5 000 dossiers par jour ! C’est du jamais vu. Évidemment, il y a des limites. Ça donne l’impression que tout est facile, et que l’État pourra tout prendre en charge sur du long terme. Et ça, je n’y crois pas du tout. L’indemnisation va concerner la période de fermeture. On peut imaginer un accompagnement financier pour la reprise qui suivra, mais ne nous leurrons pas : les entreprises ne seront pas en mesure de rembourser. C’est ce que j’induisais en parlant de capitalisme responsable : il faudra des entreprises moins petites, plus regroupées pour transformer les avances de trésorerie en capital. L’étape d’après serait de créer de grands fonds à échelle régionale pour organiser cette espèce de « new deal » au service des entreprises avec une contrepartie : celle de devoir se moderniser, se transformer.
De nombreuses entreprises optent pour le chômage partiel pour leurs équipes. Comment faire pour garder le lien ?
A. M. : L’erreur serait de considérer le chômage partiel comme des congés forcés. Il est primordial de créer un lien social et numérique entre ses équipes… et surtout, de se préparer pour la reprise. Il faut que les dirigeants comprennent que tous les publics de l’entreprise doivent être informés, que les employés doivent recevoir des informations. L’idée n’est pas de tomber dans la naïveté et de promettre que tout ira bien, mais de communiquer la réalité des événements. C’est nécessaire pour ne pas démobiliser ses équipes et éviter que la machine à fantasmes ne se mette en route.
L’entreprise, en tant que corps social, est dans une situation d’exception. Il faut évidemment penser l’urgence du moment, mais le vrai sujet est celui de la reprise. Si les équipes sont démobilisées, je prédis un important taux d’absentéisme à venir. Elles se retrouvent pour grande partie dans une espèce de statut où elles n’ont plus vraiment de fonction opérationnelle, ne sont plus sollicitées intellectuellement. Ce serait un vrai traumatisme de laisser les gens livrés à eux-mêmes pendant plusieurs semaines sans les préparer à « l’après-crise » . Or pour l’instant, on n’évoque le chômage partiel qu’au prisme de l’indemnisation. Que va-t-il se passer après ?
Quels conseils donneriez-vous aux dirigeants et dirigeantes pour faire face ?
A. M. : Le premier est donc de continuer à informer ses équipes, d’expliquer que nous sommes en train de vivre une situation d'exception, et qu’il faut continuer à s’impliquer pour son entreprise – ou la collectivité – sur la période. Le deuxième est d’utiliser les outils à disposition pour garder le lien. Une boucle WhatsApp peut faire des miracles. Enfin il faut absolument penser à l’après, organiser des webinaires pour stimuler les salariés. Il ne s’agit pas de dire dans deux mois : « c’est la rentrée ! » et de voir comment ça se passe. Il faut élaborer un plan de mise en œuvre, et l’exécuter au moment de la reprise.
Pour ce faire, il ne faut pas négliger de créer une cellule stratégique en plus de la cellule de crise. La cellule de crise doit agir et réagir ; la cellule stratégique doit penser l’après. Il faut mettre la crise à profit pour réfléchir au monde de demain, sinon c'est le risque de passer à côté de quelque chose d’important. Il faut élargir le champ de conscience de l’entreprise et penser à l’avenir.
Bravo pour ce webinaire qui nous redonne du sens à notre mission qui n'est pas de gérer des crises mais de construire l'avenir! si tout le monde reste pris dans ce chaos sans préparer l'après , la crise deviendra notre quotidien. Restons engagés nous dirigeants et continuons à engager nos équipes!