Le travail explose et les managers sont en première ligne. Auront-ils encore leur place en entreprise en 2030 ? Analyse de Frédéric Petitbon, associé chez PwC Consulting.
Dans son rapport Workforce of the Future, PwC imagine quatre scénarios pour l’avenir du travail, en 2030. Pouvez-vous nous en parler ?
Frédéric Petitbon : Il s’agit de tendances que l’on observe déjà qui, poussées à leur maximum, permettent d’imaginer quatre mondes de ce que pourrait être l’organisation en 2030 : le monde bleu, le monde rouge, le monde jaune et le monde vert. Le monde bleu est celui des données et des chiffres ; le monde rouge, celui de l’innovation, de la performance et de la compétition ; le monde jaune fait la part belle à l’humain, la collaboration, le social ; et enfin le monde vert, c’est l’entreprise responsable.
En 2030, il n’y aura donc pas un seul monde, mais plusieurs ?
F. P. : Oui car tout explose. Le travail de demain est un univers multiple, avec une diversité de situations et de modèles organisationnels. On verra cohabiter des modèles différents, à la fois entre entreprises mais aussi au sein d’une même société. Avec le grand écart que cela suppose d’un point de vue RH.
Quels sont les trois principaux enjeux du travail en 2030 ?
F. P. : Le premier enjeu, c’est la confiance ouverte. C’est savoir créer la confiance avec ses équipes et ses parties prenantes externes. Deuxième enjeu, les compétences humaines soft comme l’empathie, la curiosité, la collaboration. Enfin, le troisième enjeu sera de créer et de faire vivre un environnement collaboratif innovant, avec ce que cela demande de diversité, d’expérience et de compétences.
Les nouvelles approches prônent une organisation plus plate, voire sans hiérarchie... Est-ce la fin des managers ?
F. P. : Non, car dans un nombre important d’entreprises, il sera encore pertinent d’avoir un manager descendant, organisé, post-taylorien. Mais le manager existera aussi, d’une nouvelle façon, dans les entreprises ouvertes, libérées, opales etc. Il émerge dans ces nouvelles organisations de nouveaux rôles qui consistent à animer et organiser les équipes, et qui demandent d’être portés par l’humain. Est-ce qu’on appellera toujours ça manager ? Probablement pas. En revanche, ce travail d’animation, de proximité et de réactivité restera un besoin pour les organisations de demain ! On a donc une fonction de management qui explose, qui se diversifie, mais qui est plus importante que jamais. Ce qui est sûr, c’est que le management « à la papa », dans beaucoup d’entreprises, est mort demain. Place à un management réinventé !
En bout de chaîne, les emplois non qualifiés se développent fortement…
F. B. : L’économiste Bernard Gazier parle de « mini-jobs » : des emplois sous-qualifiés, de plus en plus précaires et mal payés. Ces « mini-jobs » ont une place essentielle dans un monde où le consommateur est roi, où il n’attend pas et a besoin de services de proximité et de services immédiats. Ils ne vont pas disparaître, bien au contraire, et l’écart avec les emplois protégés continuera à se creuser. Avec un vrai enjeu sociétal derrière, pour ne pas faire de ces personnes la dernière roue du carrosse. Cela me rappelle le livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, Et si les salariés se révoltaient ? , dans lequel ils mettent en évidence de manière très documentée ce grand écart dans le travail et cette masse de plus en plus grande d’emplois moins qualifiés, moins payés, avec beaucoup de perdants.
Dans le monde vert décrit par PwC, les entreprises auront totalement intégré leur impact environnemental. Pourraient-elles demain avoir à rendre des comptes pour la moindre feuille de papier ou goutte d’eau utilisée ?
F. B. : Ça, c’est déjà l’entreprise... d’hier! C’est l’entreprise qui avait besoin de réglementation sur son empreinte écologique ou sur sa manière de traiter ses salariés pour être vertueuse. Avec l’entreprise verte, ces réflexions seront totalement intégrées. Demain, l’entreprise n’aura plus besoin de se faire imposer des contraintes pour être vertueuse. Cela devient indispensable, c’est une vraie demande des consommateurs, des parties prenantes, des salariés, et plusieurs entreprises ont déjà commencé ce travail.
Avec parfois un certain greenwashing...
F. B. : Dans un monde très ouvert et très transparent, si vous vous limitez à faire du greenwashing, vous êtes mort. Vous êtes mort, parce que vous n’êtes plus crédible, parce qu’il y aura des observateurs qui vous mettront face à vos contradictions. Le greenwashing ne suffit plus, il faut porter son engagement, l’incarner, le vivre.
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