Une enquête met en lumière la stratégie de la police égyptienne pour identifier et arrêter des personnes queer. Son terrain de chasse : Grindr et WhosHere.
Dans un effort brutal pour « nettoyer les rues » de la communauté LGBT +, les forces de sécurité infiltrent les applications de rencontres pour localiser les utilisateurs avant de les jeter en prison et de les soumettre à des actes de torture.
Des victimes jetées en prison
Selon des organisations de défense des droits humains, la police égyptienne créerait de faux profils sur les médias sociaux pour rencontrer des personnes gays, lesbiennes, bi et trans. Au moins 33 personnes ont été arrêtées depuis le 23 septembre 2022 avant d'être emprisonnés. Seize hommes ont été jugés pour « incitation à la déviance sexuelle » et « débauche ». C'est le cas de Yasser, 27 ans, arrêté après avoir rencontré un homme dans le centre-ville de Gizeh suite à un échange sur Grindr (application de rencontres homosexuelles). « Quand ils sont revenus avec un rapport de police, j'ai été surpris de voir que le gars que j'avais rencontré sur Grindr était l'un des officiers. Ils m'ont battu et m'ont injurié jusqu'à ce que je signe des papiers reconnaissant que je "pratiquais la débauche pour satisfaire mes désirs sexuels contre nature" », explique-t-il aux ONG.
Des procédés assumés et confirmés par le gouvernement égyptien qui a déclaré publiquement : « Nous avons recruté des policiers spécialisés dans le monde virtuel pour identifier les soirées sexuelles en groupe et les rassemblements homosexuels. »
Des actes qualifiés de tortures par les ONG
Au cours de leur détention, quinze personnes ont indiqué avoir été soumises à des violences verbales et physiques : gifles, jets d'eau, ligotage plusieurs jours durant. Selon Human Rights Watch, huit ont été victimes de violences sexuelles tandis que cinq ont été forcées de subir des examens anaux. La militante et femme transgenre Malak el-Kashif, 20 ans, a déclaré avoir été arrêtée et « mise dans une cellule en forme de cage » de la taille d'un congélateur après avoir assisté à une manifestation en mars 2019. Celle qui rapporte que les forces de sécurité l'ont interrogée sur sa vie privée, son sexe, sa chirurgie de réaffectation ainsi que sa relation avec d'autres militants a déclaré : « J'ai subi les pires abus verbaux jamais entendus chez des policiers, qui m'ont aussi interdit d'aller aux toilettes pendant deux jours. Ils m'ont soumis à un examen anal forcé. Ils m'ont agressée sexuellement. »
Parmi les personnes interrogées, nombreuses sont celles qui ont déclaré avoir subi des « tests de virginité » et des « tests anaux ». À l'image de cette militante trans de 28 ans qui a rapporté avoir saigné pendant trois jours après que des policiers l'aient soumise à des « examens vaginaux et anaux forcés dans le cadre de soi-disant tests de "virginité" ». Une autre victime a indiqué avoir été obligée d'utiliser une béquille en raison des « blessures subies après avoir été brutalement battue et violée en série par d'autres détenus ». Des actes qui selon Human Rights Watch constituent « un traitement cruel, dégradant et inhumain qui peut s'apparenter à de la torture et des agressions sexuelles en vertu du droit international des droits humains. »
L'incident du drapeau arc-en-ciel
Ces arrestations surviennent au milieu d'une féroce répression anti-LGBT qui s'est accélérée à la suite d'un concert du groupe de rock indépendant libanais Mashrou' Leila en 2017 au Caire. Sarah Hegazy (militante LGBT), a été arrêtée et torturée en prison durant trois mois pour avoir brandi un drapeau arc-en-ciel durant le concert. Selon les ONG, les autorités ont depuis cette date « intensifié les arrestations et les poursuites contre les personnes LGBT+ en utilisant de vagues lois discriminatoires sur la "débauche" et la "prostitution" ». Après sa libération, Sarah Hegazy a été contrainte à l’exil au Canada où elle a mis fin à ses jours en juin 2020.
Les ONG réclament des sanctions
Face à cette escalade de répression, Rasha Younes, chercheuse chez Human Rights Watch, appelle la communauté internationale à prendre des sanctions : « Les autorités égyptiennes semblent se disputer le pire bilan en matière de violations des droits des personnes LGBT+ dans la région, et le silence international est épouvantable. Les partenaires de l'Égypte devraient cesser de soutenir ses forces de sécurité abusives jusqu'à ce que le pays prenne des mesures efficaces pour mettre fin à ce cycle d'abus, afin que les personnes LGBT+ puissent vivre librement dans leur pays. » Najia Bounaim, directrice des campagnes Afrique du Nord à Amnesty International, appelle à mettre fin à cette « chasse aux sorcières » et à la libération de tous les détenus.
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