
« Nous sommes tous des momos » : comment un mignon dinosaure rose est devenu le pseudonyme et avatar de milliers de jeunes Chinois.
De nombreux utilisateurs adoptent le pseudonyme « momo » sur les réseaux pour court-circuiter la censure, échapper au harcèlement, et protéger leur vie privée.
La double vie des jeunes Chinois sur les réseaux sociaux
Sur l'Internet chinois, Emily Yuan, lycéenne du Guizhou, mène une double vie. Sur ses comptes principaux, WeChat et Weibo, Yuan partage avec ses amis et sa famille les publications lambda d'une jeune fille de son âge. Mais sur ses comptes alternatifs, Douban et Xiaohongshu, Yuan se cache sous le nom d'utilisateur « momo », associé à la photo de profil d'un dinosaure rose de dessin animé. Sous ce pseudo, Yuan publie des commentaires controversés sur tout, de la K-pop au féminisme. Dans un article du réseau et plateforme d'e-commerce Xiaohongshu portant sur les risques de l'accouchement pour la santé des femmes, la lycéenne écrit : « Si vous aimez vraiment quelqu'un, pourquoi voudriez-vous qu'il subisse quelque chose d'aussi pénible que l'accouchement ? » Sous le message, deux autres utilisateurs, se lancent dans la conversation. Tous deux s’appellent également « momo ».
Pourquoi le pseudo « momo » ?
« Momo » était à l'origine le nom d'utilisateur par défaut pour les nouveaux comptes sur Douban ou Xiaohongshu. Il s'est ensuite popularisé dans les communautés de groupies de Douban telle que « Goose Group », où les membres l'utilisaient pour bavarder en toute sécurité sur leurs célébrités préférées sans être harcelés par les fandoms concurrents. C'est le cas de Ding Ran, fan de l'acteur taïwanais Danson Tang, qui a adopté le pseudo pour la première fois en 2023 pour plus de discrétion. « Les fandoms sont remplis de rage et de vitriol. Un message peut rapidement dégénérer en une série d’attaques personnelles », a déclaré la jeune femme de 25 ans au média Rest of World. Désormais, les « momo » discutent de tout (émissions de télé, cuisine, travail, difficultés à vivre dans une grande ville) partout, des forums Douban aux fils de discussion Weibo. Lorsque Steve Sui, administrateur d'un groupe Douban a tenté de bannir un utilisateur nommé « momo » en 2021, il a découvert plus de 10 utilisateurs portant le même nom d'utilisateur. Les « momos » ont tendance à être « très connectés » et « partagent des pensées plus profondes, car ils n'ont pas à craindre d'être identifiés », a déclaré Steve Sui. Depuis, il a créé son propre compte « momo ».
Un pseudo pour échapper à la surveillance de masse
Emily Yuan, Ding Ran ou Steve Sui ne sont que quelques-uns des dizaines de milliers de « momo ». Aujourd'hui, ils s'affichent partout. Le pseudo permet également de contourner la censure et d'échapper à la surveillance et aux sanctions des autorités. C'est ce qui a motivé Penny Zhu, étudiante en dernière année d'une université de Pékin : « Il y a tellement de restrictions basées sur la parole de nos jours qu'il n'est plus possible de dire quoi que ce soit », a déclaré la jeune femme à Rest of World. Cheryl Lin, employée dans une entreprise publique, a quant à elle rejoint la communauté des « momos » après que son employeur lui a demandé de supprimer une vidéo (publiée sur Douyin) dans laquelle elle se plaignait du stress au travail. Selon NewRank, site chinois d'analyse des médias sociaux, on recense près de 11 000 « momos » sur Douban et plus de 10 000 sur Xiaohongshu.
« Nous sommes tous des momos »
Ce qui était initialement un nom d'utilisateur pour passer incognito s'est depuis transformé en une communauté safe : un espace de discours plus tolérant et inclusif sur l’Internet chinois. « Être momo me permet de me sentir à l'abri des jugements et me donne un sentiment d'appartenance », confie Yuxuan Che, étudiant. Une communauté qui sait aussi se mobiliser pour faire pression. En février dernier, c'est l'acteur Chen Feiyu qui en a fait les frais. Pour protester contre l'acteur qui avait intenté une action en diffamation contre un membre de Douban qui l'avait accusé d'être impliqué dans une relation inappropriée avec un fan, de nombreux utilisateurs ont emprunté le pseudo « momo » et adopté « nous sommes tous momo » comme cri de ralliement.
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