
Être assigné à résidence 23 heures sur 24, pendant 55 jours, cela peut donner matière à réflexion. Après le confinement, qu’attendons-nous de notre logement ? Celui-ci est-il adapté à nos modes de vies et aux évolutions de la société ?
Il aura souvent fallu pousser les murs – tandis que ceux qui le pouvaient eurent l’intuition de fuir la densité des métropoles pour se réfugier à la campagne. Du confinement, ce fut sans doute l’un des enseignements les plus évidents : la nécessité, quasi-vitale, d’un extérieur.
Nombreux sont désormais les citadins qui souhaitent ajouter ce paramètre à leur équation domestique, dussent-ils pour cela quitter la ville – sans regrets, selon eux – vers des contrées plus vertes. Et avec le développement du télétravail ou l’essor des activités indépendantes, ce qui pouvait auparavant tenir de la rêverie bucolique devient une hypothèse très envisageable.
Comme dans de nombreux secteurs, le coronavirus a accéléré des tendances à l’œuvre. Car notre façon d’habiter évoluait déjà, notamment face à l’urgence écologique et aux mutations de société. Eco-responsable, partagée, modulable, durable, saine, intelligente… Quelle sera la maison de demain ? La crise que nous venons de vivre aura-t-elle des conséquences durables sur notre rapport au logement ? Comment évolueront nos logis – dans leur conception, leur exploitation, leur occupation – face aux grands enjeux de l’époque ?
Pousser les murs
Une enquête en ligne, menée par l’Idheal (Institut des hautes études pour l’action dans le logement), a tenté de comprendre comment nous avions vécu l’obligation inédite du confinement. Et ce qui aura manqué le plus aux 8 000 répondants, c’est bel et bien l’espace, intérieur et extérieur, ainsi que la lumière. Ceux qui ont décidé de se confiner ailleurs que chez eux (11% des répondants) l’auront fait avant tout pour échapper à l’exiguïté de leur logement (18%), éviter de se retrouver seuls (16%) ou se rapprocher de la nature, disposer d’un extérieur (14%).
Malgré la difficulté de la période, la majorité des répondants entretient un rapport positif à leur logement : 58% d’entre eux affirment que celui-ci leur a permis de mieux vivre le confinement, tandis qu’à l’inverse, 11% identifient leur logement comme un facteur aggravant. La réponse à cette question est cependant très liée à la nature de celui-ci : parmi ceux qui déclarent avoir bien vécu le confinement, 74% jouissaient d’une maison avec extérieur. Si l’on considère les répondants qui ont mal vécu la période, 86% occupaient un appartement, dont 66% sans espaces extérieurs.
Appel du vert : mythe ou réalité ?
Ce « désir de campagne », tel que le caractérise Le Monde, n’est pas nouveau : il émergeait sur le marché immobilier dès 2018, suite aux différentes crises qui ont rendu la vie urbaine difficile : gilets jaunes, grève des transports, épisodes de canicule... La crise sanitaire de 2020 n’aura évidemment rien arrangé : selon une enquête CSA pour HomeServe, réalisée en avril, 19% des sondés ont eu envie de déménager pendant le confinement. Alors, sont-ils passés à l’acte ? L’exode urbain annoncé se confirme-t-il ? Pas si simple ! Le groupe Se Loger a analysé l’évolution des annonces sur son site. Dans certaines villes de plus de 100 000 habitants, le volume d’annonces immobilières a fortement augmenté du 1er juin au 31 juillet, que ce soit par rapport à la même période 2019, ou au premier trimestre 2020. Paris enregistre ainsi +41% d’offres, Lyon +23%, Nantes +16%.
Même si ces chiffres ne sauraient révéler stricto sensu la motivation des vendeurs, le portail immobilier la complète avec une autre étude, selon laquelle 29% des Franciliens élargissent désormais leur périmètre de recherche au-delà des grandes villes. Est-ce à dire que celles-ci se vident ? Pour l’instant, les chiffres ne le confirment pas : du 11 mai au 31 juillet 2020, les métropoles ont continué d’attirer un nombre croissant de recherches immobilières, par rapport à 2019 : 104% pour Toulouse, 91% pour Nantes ou 65% pour Marseille – Paris affichant toutefois un retrait de 9%.
La maison, valeur-refuge
Haro sur le métro-boulot-dodo ! Cette expression, apparue durant les 30 Glorieuses, devient plus anachronique que jamais. L’accès à la propriété demeure un objectif de vie (84% des Français selon CSA), il n’est plus question de considérer notre logement comme un lieu de passage, mais bel et bien d’y vivre. Selon la même étude, 94% des Français souhaitent continuer d’investir dans leur maison (aménagement, entretien, travaux) aux dépens d’autres dépenses, notamment les loisirs de sorties. Les magasins de bricolage ont vu leur chiffre d’affaires grimper de 30% au mois de juin par rapport à 2019, selon la Fédération des magasins de bricolage, et 19% en juillet.
Télétravail, école… La maison se métamorphose
Du jour au lendemain, il a fallu accueillir en une même maisonnée de multiples dimensions qui y cohabitaient jusqu’alors rarement. Selon l’Idheal, dans 30% des cas, les répondants ont procédé à un réaménagement de fortune : remonter un bureau de la cave, ressortir les rallonges de table qui prenaient la poussière sous le lit, créer un bureau éphémère dans un garage ou sur une étagère de dressing, installer ses écrans sur la table qui servait à prendre les repas (et donc, prendre ses repas sur la table basse du salon pour éviter des démontages quotidiens) – le tout en repensant ses arrière-plans pour rendre l’ensemble Zoom-compatible.
Les discussions entre parties prenantes concernant la généralisation du télétravail devront aussi prendre en compte cet état de fait : l’inadaptation de nos logements modernes à ces activités. Comme le rappelle le rapport Idheal, « il est rare que les logements standards prévoient une pièce dédiée à la dimension professionnelle de nos vies ». De quoi inspirer architectes et promoteurs ?
Une CoronaMaison qui en dit long
Sur une idée lancée en mars par l’illustratrice Pénélope Bagieu sur les réseaux sociaux, la CoronaMaison détourne de façon créative l’habitat confiné : sur le principe du cadavre exquis cher aux surréalistes, et sur la base d’un template commun, chacun soumet sa pièce idéale de repli. Compilées sur coronamaison.fun, l’ensemble forme aujourd’hui un immeuble de 1470 étages, sur une hauteur de 4,41 km.
Ok voici le template que @acupoftim nous a fait pour la #Coronamaison ! On dessine l‘étage/la déco/la compagnie/les animaux/la bouffe/les fenêtres, enfin l’endroit idéal pour être confiné(e)! Et si on fait du noir et blanc, que les coloristes n’hésitent pas à reprendre les images pic.twitter.com/7BvqQOA9GU
— Pélénope Bagieu (@PenelopeB) March 15, 2020
Par-delà son caractère ludique, cet exercice collectif interroge aussi notre rapport au logis. Ce qui frappe d’abord, c’est le caractère multi-fonctionnel et foisonnant des propositions. Comme le souligne le sociologue Yankel Fijalkow dans Slate, c’est la fin de la règle rigide issue de « l’habitat bourgeois haussmannien » qui attribue à chaque pièce une fonction. Encouragées par la contrainte, ces pièces-ci se revendiquent « à tout faire », sans qu’aucune cloison n’en délimite les champs d’activité. Le désordre est assumé, et finalement très loin des canons d’Instagram.
Autre élément remarquable, la forte présence organique, végétale ou animale. Plantes et animaux ramènent le vivant dans ces intérieurs confinés, procurent la « chaleur sociale » qui nous manque pendant le confinement et nous relient à la nature quand nous en sommes privés.
Le sport ne se cache plus
L’activité physique, nécessaire à l’entretien des corps reclus, se crée une place notable et se déploie au vu et au su de tous, en phase avec l’essor du sport à domicile pendant le confinement : autrefois caché, relégué dans une pièce dédiée, le matériel de fitness s’intègre désormais sans complexe dans les représentations imaginaires des CoronaMaisons. Dans la « vraie vie », toujours selon l’Idheal, 29% ont modifié leur aménagement classique pour dégager un espace sport ou relaxation. 21% déclarent même avoir augmenté leur pratique sportive par la même occasion.
La maison-conviction
La maison de demain, c’est celle qui porte la signature de celui qui l’occupe. De plus en plus impliqué dans sa conception, à des stades très précoces, l’utilisateur final s’empare d’outils numériques (configurateurs 3D, réalité virtuelle ou augmentée…), s’implique avec une expertise accrue dans des discussions jusqu’alors réservées aux professionnels et peut gérer ses projets de bout en bout.
Les individus envisagent désormais leur maison comme une extension de leur personne, le reflet de leur personnalité, l’étendard de convictions souvent fortes, pour ne pas dire politiques. Le développement des modes de vie alternatifs le démontre, comme par exemple le mouvement Tiny House, ces micro-maisons sur roues ou fondations, pour les adeptes du minimalisme.
Maison flottante autonome, van aménagé, vie dans la forêt… On cherche à vivre en harmonie avec la nature, mais aussi avec le genre humain, comme le prouvent de nouvelles modalités telles que le coliving, l’habitat partagé ou l’habitat intergénérationnel.
Hyper-connecté ou néosurvivaliste ?
Dans son rapport Housing of The Future en 2019, le cabinet de conseil BCG posait six critères susceptibles de caractériser nos aspirations pour la maison de demain : abordable, partagée, eco-friendly, flexible, design, « healthy ». On l’aura compris, il est fort probable que le coronavirus accélère toutes ces tendances.
Et dans les grandes métropoles, l’évolution de nos habitats sera aussi conditionnée par la transformation des cités, qui cherchent un nouvel équilibre entre technologies, durabilité et mieux vivre ensemble. La ville du quart d’heure, théorisée par l’urbaniste et chercheur Carlos Moreno et très en vogue en ce moment, en est un bon exemple.
Plus que jamais, les logis sont bien le reflet de nos âmes, mais aussi de nos sociétés. Reste alors à savoir de quel côté de l’époque nos pénates basculeront : maison hyper-connectée ou bunker néo-survivaliste ?
Cet article est extrait d'un dossier paru sur Et Demain Notre ADN. Pour le retrouver dans son intégralité, c'est par ici.
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