
Les consommateurs réclament du concret, des preuves de leur engagement et de l’authenticité. Jusqu’où les marques sont-elles prêtes à suivre ?
La vie des marques n’a jamais été un long fleuve tranquille. En particulier aujourd’hui tant les nouveaux usages du consommateur bousculent le rapport aux marques. En quoi a-t-il vraiment changé ? Le consommateur est-il vraiment plus exigeant qu’hier comme le laissent penser les dernières études qui font florès sur le sujet ? Éléments de réponse avec Arnaud Cartigny, vice-président en charge des activités conseil pour le secteur Retail et Luxe chez CGI Business Consulting, Françoise Combis, présidente-fondatrice du cabinet de conseil TheBeautyEtincelle et Hervé Kabla, président de l’agence de communication Else & Bang.
Réputation : la confiance ne règne plus …
« Votre marque est ce que les gens disent de vous lorsque vous n’êtes pas dans la pièce », disait Jeff Bezos. Et le patron d’Amazon sait de quoi il parle ! Une des dernières initiatives du géant du e-commerce mondial ? Alors que la marque croule sous les scandales sur les conditions de travail particulièrement difficiles de ses employés, on a demandé à certains d’entre eux de devenir de véritables ambassadeurs de leur entreprise. Rien que ça ! Le rôle de ces « Amazon FC-Ambassador » ? Contre un sandwich, un jour de congé ou une carte cadeau d’une valeur de 50$ (à dépenser sur Amazon évidemment), ces salariés modèles doivent défendre leur entreprise sur les réseaux sociaux. Toutes les marques n’en sont pas à « rémunérer » leurs salariés pour lisser leur image mais la réputation est devenue en quelques années un enjeu majeur.
« Aujourd’hui, toutes les marques sont très à l’écoute de leur réputation sur Internet et font très attention à ce que pensent les consommateurs. Elles ont des équipes entières en charge de surveiller, d’animer les réseaux sociaux, de gérer la relation entre la marque et les consommateurs. Tout cela pour maîtriser et gérer en amont les conflits qui pourraient apparaître et ça c’est une nouveauté », souligne Arnaud Cartigny, le vice-président en charge des activités conseil pour le secteur Retail et Luxe chez CGI Business Consulting. Ce que confirme aussi Hervé Kabla, le président de l’agence de communication Else & Bang : « Il y a bien sûr un enjeu de réputation, de transparence et de cohérence entre l’image exposée et la réalité des choses ! Il devient de plus en plus difficile de masquer la réalité aux consommateurs. »
Selon le cabinet Reputation Institute, 95% des entreprises ont vu leur réputation décliner en 2018. D'après l’étude, les plus fortes attentes des français se situent au niveau de la qualité des produits et des services offerts, la responsabilité de l’entreprise au-delà de ses produits, l’éthique, l’équité et l’influence positive de l’entreprise sur la société. « On n'est plus à l’époque où l’on crée des entreprises pour des siècles, aujourd’hui on peut avoir des business models qui montent et qui disparaissent aussi vite au grès des attentes des consommateurs, des goûts et des tendances », résume Arnaud Cartigny.
Yuka : cauchemar ou opportunité ?
Quatre lettres et 8,5 millions d’inscrits qui donnent des sueurs froides aux plus chevronnées des directions marketing. Il faut dire que la start-up créée par Julie Chapon, qui note les produits de la grande distribution (qualité nutritionnelle, présence d’additifs, bio) est une révolution dans le monde du retail. Depuis l’arrivée de l’application à la carotte sur les téléphones des clients, c’est le branle-bas de combat pour les marques ! « Yuka est révolutionnaire parce que le consommateur dispose désormais d’un éclaireur pour l’aider à prendre des décisions. C’est puissant, aujourd’hui de très grandes marques sont scannées et épinglées. Si j’étais une nouvelle marque, je ferais en sorte de lancer des produits scannés vert », avertit Françoise Combis. La patronne du cabinet de conseil TheBeautyEtincelle accompagne des jeunes marques qui souhaitent pénétrer le marché français. Désormais, impossible de faire sans Yuka, Clean Beauty ou d’autres applications, qui soufflent le chaud et le froid sur les produits. Cette culture de la transparence, matérialisée par Yuka et d’autres notamment en cosmétique, impose aux marques de se positionner : « Ce qui est vertueux, c’est que les marques ont décidé de ne pas travailler contre mais avec », observe Françoise Combis.
Aller contre le sens de l'histoire ? Ce n’est pas le projet de Carrefour, de Leclerc (il se dit qu’Édouard Leclerc, patron du distributeur éponyme en est adepte) ni de L’Oréal, qui ont dû, par la force des choses, s’exprimer il y a quelques mois avec des promesses de transparence. La marque qui « le vaut bien » plancherait sur une plateforme baptisée « Inside Our Products », destinée à révéler le contenu de tous ses produits de beauté. Et certains vont plus loin pour répondre à ce qui ressemble bien à un nouveau tiers de confiance entre les distributeurs et les clients. À l’instar d’Intermarché qui s’engage à retirer 140 additifs sur 900 de ses produits. Rappelons que 91% des Français se disent préoccupés par ce qu’ils mangent. Si même un Nutella a perdu des parts de marché ces cinq dernières années…
Bien sûr, les scandales alimentaires n’ont fait qu’accélérer cette nécessité de transparence, mais il y aura bien un avant et un après Yuka pour les marques. Et Hervé Kabla, le président d’Else & Bang semble s’en inquiéter : « Je suis assez pessimiste parce que je pense qu’il va se développer petit à petit une sorte d’activisme anti-marque. Aujourd’hui, monter des mesures de boycott vis-à-vis des marques, ça demande peu de moyens. Les publics peuvent très rapidement être réceptifs dès lors qu’il y a un doute. »
Impact : il est plus que temps de dépasser la « compliance »
Bonne nouvelle ! Les jeunes générations aiment les marques, selon Françoise Combis : « Les marques qu’on aime restent fortes. » C’est désormais le consommateur qui fait la pluie et le beau temps et a le pouvoir. « Aujourd’hui les marques s’engagent parce que cela correspond aux attentes des consommateurs et aujourd’hui quand vous regardez les chaînes de grande distribution comme Carrefour et son Act for Food, Intermarché et le « mieux manger » , Super U qui travaille sur sa relation avec les petits agriculteurs et les producteurs... Il y a quand même actuellement de nombreuses marques, surtout sur la food, qui communiquent beaucoup autour du mieux manger, de la transition alimentaire, du bio mais également de mieux rémunérer les agriculteurs et les producteurs en France. C’est un vrai créneau de communication qu’on entend depuis un ou deux ans », développe Arnaud Cartigny.
Les consommateurs seraient ainsi plus que jamais sensibles à l’impact positif des marques. Communiquer sur sa RSE reste un minimum syndical tant les clients inspectent les relations qu’entretiennent les entreprises avec toutes leurs parties prenantes. Et tout y passe : « Les marques sont tenues d’être cohérentes sur tous les canaux. Il y a un gros enjeu de savoir ce qu’il se passe à l’autre bout de la planète et le consommateur citoyen est capable, toujours avec les mêmes outils, d’aller voir ce qu’il se passe en Indonésie au Brésil ou au Groenland. Et pour peu qu’il trouve des traces négatives de la marque dans ces zones-là, cela peut avoir un impact localement. Donc les actions distantes de la marque peuvent avoir des répercussions locales », explique Arnaud Cartigny. Et ce n’est pas celle qui conseille les industriels de la cosmétique qui va le contredire. « Les clients veulent des marques qui ont une mission. C’est ce qu’on appelle être purpose driven. Continueront à exister, les marques qui s’engagent positivement pour la société », affirme Françoise Combis. « Même les marques B2B sont aujourd'hui jugées sur leur politique RSE et leur engagement au service du bien commun. Alors, imaginez un peu les marques BtoC, grand public, c'est encore plus flagrant », confie Arnaud Cartigny.
L’ère de la simplicité, de la proximité et du jeu
Connaissez-vous le simplicity index de Siegel + Gale ? Il s’agit d’un classement mondial des marques les plus simples. Selon l’indice américain, plus d’une personne sur deux serait prête à payer plus cher un produit ou un service qui offrirait une simplicité d’utilisation. Ces derniers seraient également plus fidèles si on leur simplifie la vie… Et qui sort régulièrement en tête du classement ? Netflix, Aldi, Google, Lidl, Carrefour, McDonalds, Trivago, Uniqlo, Métro, Burger King, Sony et Spotify. Mais la simplicité ne fait pas tout : « Les marques ont un enjeu d’entretien de la passion dans leur relation avec les consommateurs dans ce type de relation longue durée et certains le font très bien, comme Spotify par exemple. La marque sait bien gérer cette relation en apportant chaque année son lot de nouveauté. Non seulement en termes de produits mis à disposition (d’artistes disponibles à l’écoute), mais aussi dans la manière d’écouter cette musique au travers de playlists personnalisées. Il y a cette relation permanente avec le consommateur », note Hervé Kabla.
Un enjeu bien compris chez les marques qu’on appelle les digital native vertical brands, comprendre les marques nées sur Internet. Ces dernières jouent à merveille et à coup de posts Instagram la carte de la proximité. « Les consommateurs veulent communiquer avec les marques, c’est une grosse attente. Les marques doivent absolument communiquer avec leurs clients, c’est le fruit de ces interactions qui vont enrichir les produits et services. Si on aime une marque, on veut lui parler. Sur Instagram, il y a des créateurs de jeunes marques qui interagissent en continu avec leur clients », explique Françoise Combis.
Simplicité, proximité, jeu… on parle bien d’offrir aux consommateurs la meilleure expérience client possible. Et à l’heure où les dirigeants accélèrent la transformation digitale de leur entreprise, ils n’auraient pas suffisamment travaillé cet aspect fondamental, comme l’explique Hervé Kabla : « Je pense qu’il y a eu un problème de langage où tout le monde s’est trompé sur la transformation digitale. Ce n’est pas du tout l’attente du consommateur, il s’en moque, et ça, ce n’est absolument pas compris des entreprises. Il n’y a qu’à voir combien il y a encore aujourd’hui d’offres d’emploi ou de missions sur la transformation ou la stratégie digitale, alors que l’enjeu n’est pas la stratégie digitale mais la stratégie de la marque dans un environnement au sein duquel le digital est prépondérant ».
Personnalisation, confiance, authenticité, transparence, preuve du discours… la liste s’allonge et s’aligne logiquement sur les soubresauts et inquiétudes de notre époque. Même s’il n’est pas toujours simple pour les marques d’y répondre, elles vont devoir, comme toujours, s’adapter. Mais qu’elles se rassurent : « Rien n’est perdu pour les uns ou pour les autres. Nous avons en France de très belles marques, elles ont les moyens d’aller vite et de se réinventer », confie Françoise Combis. Les consommateurs, eux, sont définitivement prêts à les suivre, mais cette fois-ci avec des boussoles sous forme d’applications. La dernière en date qui pourrait bien donner encore du fil à retordre aux marques ? L’application danoise Tomorrow (version beta test disponible) veut calculer l’impact carbone de chacun de nos choix quotidiens. De quoi durcir un peu plus ce nouveau pacte entre les marques et les consommateurs ?
POUR ALLER PLUS LOIN :
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la majorité des avis consommateurs sur des cosmetiques ( soins ) que je recherchais sont des avis " produits offerts " .... et systématiquement favorables ? produits chers et faussés des le départ pour un parti pris favorable voir / lancome , dior , caudalie ....