une ado allongée sur un canapé regarde son téléphone

Écrans et enfants : c'est (encore) aux femmes de gérer

© FBanville via Lexica

Selon une étude qualitative australienne, les mères décrivent une tâche particulièrement lourde et intense pour gérer la vie en ligne de leur progéniture. 

Interdire le smartphone après une certaine heure, paramétrer le contrôle parental, plafonner les dépenses sur Fortnite, tenter de se mettre à jour des dernières tendances TikTok… Gérer, tant bien que mal, la vie de ses enfants en ligne est un job à temps plein, et non rémunéré bien sûr. Des parents nous le racontaient dans cette précédente enquête de L'ADN. Souvent, ce job est assuré par les mères, constate la chercheuse australienne Fae Heaselgrave. Mais l’importance de leur rôle a été minimisée dans les précédentes recherches consacrées au sujet, estime la professeure en communication à l’Université de South Australia. Pour tenter de mieux comprendre les facettes de ce travail et le ressenti des femmes, elle a mené des entretiens qualitatifs avec 17 mères d’enfants entre 9 et 16 ans. 

Conclusion : ce travail « est intense, constant et sans répit, et fait payer un lourd tribut physique et émotionnel aux mères », explique l’autrice dans son article publié dans la revue scientifique New Media & Society en juin 2022, récemment relayé par le Washington Post. Les mères sont « sans cesse en train de réfléchir à l’usage des médias numériques de leurs enfants, à négocier, et à en discuter ». Ce job s’ajoute à d’autres tâches domestiques non payées, à la charge mentale, et bien souvent à un travail rémunéré

« Pare-feu vivant »

L’étude insiste sur la diversité des stratégies d’approche des mères, parfois menées en parallèle. Certaines sont de l’ordre de la protection : confisquer ou interdire un appareil, installer des logiciels de contrôles parentaux… L’une des participantes se définit carrément comme « pare-feu vivant ». Ses fils doivent la consulter quand ils utilisent un nouveau site, en particulier si on leur demande un numéro de carte bancaire, et avec eux, elle essaie de savoir s’il s’agit d’une arnaque ou non. 

Les femmes interrogées racontent également l’équilibre compliqué qu’il faut maintenir, entre la nécessité pour leurs enfants d’être connectés, ne serait-ce que pour leurs devoirs ou pour contacter leurs amis, et le besoin d’aménager des temps sans écran. Souvent ce travail s'accompagne de divergence avec le coparent (tous sont des hommes), qui n’essaie pas toujours de comprendre les règles et les limites qu’elles instituent. 

La protection qu’elles mettent en place s’accompagne de temps de discussion sur ce que font leurs enfants sur les réseaux sociaux. « Je crois qu’on est obligé d’avoir une conversation ouverte sur le sujet sans cesse. On discute de ce dont elle parle sur Snapchat et Instagram tous les jours », dit par exemple Nikky, mère d’une adolescente de 13 ans. 

« Gaming étiquette »

Au-delà des restrictions et de l’intérêt porté à ce que font leurs enfants en ligne, les mères interrogées dans l’étude éduquent leurs enfants à certaines règles de vie sur le Web. Une mère gameuse, dont les deux fils de 12 et 16 ans jouent eux aussi aux jeux vidéo, dit leur inculquer une « gaming étiquette ». C’est-à-dire parler avec eux du sexisme en ligne, de l’importance de respecter les filles de la communauté des gamers. 

Les mères disent se servir d'outils numériques pour surveiller leurs enfants à distance : savoir s’ils sont bien dans le bus pour rentrer de l’école, si tout va bien… De quoi créer « une connexion constante » avec eux, note l’étude. Parfois la rupture de ce « cordon ombilical numérique » – lorsque l’enfant oublie son téléphone par exemple – crée des angoisses importantes. 

Il faudrait maintenant mesurer quantitativement le phénomène

L’étude ne recense toutefois pas le nombre d’heures passées par les mères par jour à « prendre soin » de la vie numérique de leurs enfants. Des recherches plus quantitatives seront nécessaires pour établir plus précisément la différence de charge entre les hommes et les femmes.

En France, l’OPEN et l’UNAF ont publié en 2020 une large étude démographique au sujet de la parentalité numérique, sans mettre toutefois l’accent sur la différence entre les genres. 

Rappelons tout de même que dans l’Hexagone, les femmes consacrent 10h de plus que les hommes aux tâches ménagères par semaine, selon une étude de 2016. Il faudra attendre la prochaine grande étude de l’INSEE à ce sujet pour avoir des chiffres plus récents (en 2025). Mais une enquête de l’institut faite pendant le confinement montre que l’écart est toujours important. Un tiers des femmes en télétravail (au moins 6h) rapportaient consacrer 2h aux tâches domestiques, contre un cinquième des hommes dans la même situation. 

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
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