Un homme barbu fait une grimae

Déterrer le Facebook de leurs parents : le nouveau passe-temps des ados

© Yns Plt

Que font les enfants de l’empreinte numérique laissée par leurs parents ? Certains s’en amusent ou s’en émeuvent sur TikTok. 

Une musique inquiétante, une pièce sombre filmée lentement, un œil effrayé et cette phrase : « J’ai trouvé le Facebook de tes parents. » Cette petite scène est devenue un mème sur TikTok. Des utilisateurs la rejouent à l’infini pour exprimer l’angoisse d’imaginer un ami visionner des photos de leur enfance, ou lire des anecdotes plus ou moins gênantes racontées par leurs parents quand Facebook était encore un vaste registre sans filtre de notre quotidien. En commentaires de ces vidéos, les remarques mi-amusées mi-terrifiées fusent. « La mort », « Les mots plus effrayants que quelqu’un pourrait prononcer », peut-on par exemple lire.

Ce mème illustre une tendance plus large sur TikTok, détectée par la newsletter Embedded. Elle consiste à farfouiller les réseaux sociaux de ses parents trentenaires ou quarantenaires pour retrouver des photos de soi enfants, ou celles de ses parents jeunes. Oui vous voyez cet album “Erasmus 2009” qui traîne sur votre Facebook laissé en friche, et bien gardez en tête qu’il pourrait un jour être repêché par votre progéniture. Aucun hashtag ne représente bien la tendance, car elle est éclatée en sous-genres de vidéos, mais #momsfacebook collecte tout de même 11 millions de vues. Elle regroupe différents types de contenus. Certains utilisateurs commentent leurs photos d'enfance postées par leurs mères, d'autres comparent la vision qu'ils ont d'eux-mêmes et celles de leur maman...

L’empreinte numérique en photomontage 

Au-delà des blagues, on trouve aussi des montages souvent baptisés « grow up with me through my mom’s/parent’s/dad’s Facebook » où l’on voit défiler des photos du quotidien d’un inconnu grandissant d’année en année, musique émouvante en fond. Et tout d’un coup le terme « empreinte numérique » devient bien plus concret. Dans son ouvrage The End of Forgetting, la chercheuse Kate Eichhorn s’interroge sur ces traces quasi indélébiles que les parents et les enfants eux-mêmes laissent en ligne. Pour elle, la persistance de ces images entrave le procédé qui consiste à oublier des moments de son enfance pour mieux grandir. 

@jilliancarterofficial

When you were taller than every boy in middle school ☺️😶 #JingleJangleWithMe #BakingSzn #RoomTour

♬ Home - Edith Whiskers

D’autres fois, ce sont les parents eux-mêmes qui sont la cible des TikTokers. Le partageur partagé en somme. Certains s’amusent ou s’émeuvent en découvrant la vie étudiante de leurs parents, allègrement documentée sur les réseaux sociaux. « Il n’a plus jamais l’air si heureux. Ça me rend triste. Il avait l’air si heureux », commente ainsi Lex 18 ans devant une photo de son père souriant installé dans un bar. Dans le même esprit, une autre tendance légèrement âgiste consiste à partager une photo de sa mère ou de son père jeune accompagnée d’une légende de ce type : « Ma mère m’a dit qu’elle avait rejeté beaucoup de mecs à l’époque, je ne le croyais pas jusqu’à… »

Un miroir au sharenting 

Ces usages sont intéressants car ils sont une sorte de miroir au sharenting (contraction de share et parenting). Cette pratique consiste à partager des photos de ses enfants en ligne. Elle fait aujourd’hui débat, notamment parce que les photos sont souvent partagées sans le consentement des enfants, et qu’elles peuvent parfois donner lieu à du harcèlement scolaire, ou être détournées pour produire des contenus pédopornographiques. En France, une loi proposée par le député Bruno Studer est en discussion à l’Assemblée nationale. 

Ici, ce sont les enfants qui s’emparent de ces images, les remixent et les partagent comme pour leur donner une nouvelle vie en ligne, entre gêne et émotion.

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
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