Plutôt que de consulter un ophtalmologue, mieux vaut s'en remettre aux pouvoirs de guérison mentaux. Et peut-être rejoindre un MML au passage.
Entre compléments alimentaires cosmiques, cristaux colorés et protocoles de guérison loufoques, l'industrie du bien-être est devenue un grand foutoir où s’entremêlent furieusement sphère new age et nouvelles spiritualités. À ce carrefour entre la thérapie et les croyances, où tout n'est que « voyages », « énergie » et codes promo, les promesses vont bon train. Une fois libéré de ses « croyances limitantes », il est par exemple désormais possible de se débarrasser de ses lunettes, voire de changer la couleur de ses iris. C'est la récente proposition de Samantha Lotus, une Américaine de 35 ans qui se présente en tant que "coach holistique", « spécialiste de l'optimisation humaine » et consultante business. Pour 11 dollars, elle explique avec beaucoup d'aplomb que des biais émotionnels, mentaux et même spirituels sont susceptibles d'endiguer la vue. En ligne, la lanceuse d'alerte canadienne Mallory (@this_is_mallory) a partagé sur Twitter un compte rendu de la « Masterclass » dédiée à la « guérison de la vue » proposée par l'Américaine. En bonus : tout ceci n'est que l'accroche d'un système de vente pyramidale. Récit.
Les lunettes, c'est pour les gens pas assez éveillés spirituellement
Le cours en ligne (sous forme de PowerPoint) commence fort. « On vous a peut-être dit que vous aviez besoin de lunettes, mais c'est un mensonge, affirme la jeune femme. Les lunettes ne servent qu'à établir une distance entre nous et les autres, à se cacher au monde et à engraisser les opticiens. » Avant d'entrer dans le vif du sujet, la coach précise qu'elle n'est pas médecin, mais mue par l'envie d'aider les autres à s'informer et à prendre le pouvoir. Elle indique ensuite que les différents troubles susceptibles d'endommager la vue (myopie, cataracte, glaucome...) ne sont que le symptôme de maux psychiques. Clichés à l'appui, Samantha explique également qu'il est possible de modifier la couleur de ses iris grâce à une sorte de « détox » dont la nature n'est pas clairement explicitée. S'ensuivent les témoignages de personnes dont les photos de profil ont l'air d'avoir été tirées d'une banque d'images. Parmi eux : Lando, le mari de la coach, explique qu'il s'est fait prescrire des lunettes avant de tout remettre en question (car il fait partie des rebelles de ce monde), et Alex, une designeuse qui explique que Samantha est « un GÉNIE » dont il y a beaucoup à apprendre. Sur la slide suivante, quelques pistes pour améliorer sa vision : suivre une séance de reiki, se concentrer sur son chakra Ajna (son troisième œil), ou encore réciter des affirmations, ces mantras que l'on se répète au fil de la journée. D'ailleurs, les participants ânonnent ensembles durant le cour quelques maximes : « Le monde qui m'entoure est un magnifique tableau et je vois le divin dans chaque détail » ; « JE VOIS AVEC JOIE & AMOUR ». Quelques conseils d'hygiène de vie assez lambda sont finalement assénés sous forme de bullet points : passer du temps à la lumière du soleil, absorber des vitamines, etc. S'ensuivent des exercices (faire rouler ses yeux dans ses orbites en contrôlant sa respiration) et une invitation à libérer l'enfant qui vit en soi.
Rien que quelques gouttes d'huiles essentielles ne sauraient régler
Et puis le clou du spectacle : Samantha s'avère être également vendeuse pour la marque d'huiles essentielles doTERRA. Pour Mallory, toute la présentation, commentée en direct sur Twitter, n'était qu'un « cheval de Troie » destiné à présenter et vendre de l'huile de curcuma et des microdoses de champignons. « Tout le cours n'est plus qu'un grand pitch de vente pour doTERRA », résume la jeune femme, ponctuant son commentaire d'emojis amusés. La coach rapporte que son frère, qui à la suite d'un accident a manqué de finir tétraplégique et de perdre la vue, s'est guéri à coups d’huiles essentielles. Au fil de la présentation, Samantha invite également ses auditrices à travailler pour elle, en devenant également représentantes de la marque. Le projet s'affine : nous avons affaire à une bonne vieille vente multiniveau ou MLM (pour multi level marketing). Le concept est né dans les années 40 aux États-Unis, dans les célèbres réunions Tupperware, lors desquelles des vendeurs recrutent de nouveaux vendeurs, qui finissent généralement endettés, croulant sous des tas de produits inutiles impossibles à écouler. Ces dernières années, le procédé revient en force, stimulé par le regain du new age, qui donne lieu à tout un marché de breloques et services en tous genres, type karma thérapie ou peinture d'âme. Cela crève les yeux : loin d'être anecdotique, la proposition de la coach Samantha est tristement banale sur les réseaux.
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