Les couples qui travaillent face à l'épreuve du confinement

Confinement : les couples en télétravail au bord de la crise de nerfs

© Deagreez par Getty Images

Clairement, le confinement pousse les couples à revoir leurs lignes de partage. Et à Day 3, pour ceux qui bossent encore, il s’agit que chacun prenne ses marques... et ce n’est pas si simple.

« Au bout d’une heure, je ne supportais même plus le bruit de sa respiration »

Évidemment, question confinement, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne. Il est bien différent de devoir se tenir dans un deux pièces-cuisine, ou une maison avec jardin. Mais, au bout du bout, il faut bien se mettre d’accord sur le plan d’occupation du sol et les mètres carrés se négocient, âprement. Petit tours d'horizon et témoignages.

Victor, chef de projet media, et Olivia, chargée de production dans un grand groupe de divertissement, tous deux en télétravail, se partagent 50 mètres à Nogent-sur-Marne. Et c'est le petit dernier de la famille, Martin, un an et quelques mois, qui établit les lignes de démarcation : à lui la chambre, à eux le salon. Selon les horaires de junior, Victor et Olivia passent d’une pièce à l’autre, et le planning boulot se gère entre les siestes. Pour pouvoir jongler entre chauffe biberon et conf call, ils ont juste établi quelques règles, mais elles sont intangibles : Olivia a donc été sommée de mettre la veilleuse sur son smartphone. Un minimum.

Marion, rédactrice en chef, et Richard, ont pu gérer la situation différemment. Au premier jour de télétravail, ils se sont partagés la table du salon de leur deux pièces parisien. « Au bout d’une heure, je ne supportais même plus le bruit de sa respiration », reconnait Marion. Les jeunes mariés ont préféré anticiper. Lundi 16 heures, Marion et Richard ont mis le cap sur les Yvelines, direction la maison des parents. Depuis, lui tient bureau dans la chambre et elle a gardé le salon familial. Un étage les sépare, et clairement, ça se passe beaucoup mieux.

En mode guerriers, Christelle et Damien, tous les deux COO dans le secteur des médias, ont établi un planning serré. Sur Excel, et tous les soirs, ils font le point pour préparer la journée du lendemain. On se répartit les tâches du ménage : qui s’occupe des devoirs des deux garçons – en CP et CM1 –, qui réserve la chambre pour les calls importants, qui assure les repas et le ménage... et pour les horaires des jeux en extérieur dans la cour, Damien a réussi à imposer le même traitement par tranches horaires à la copropriété. «Damien est très organisé », reconnait dans un soupir Christelle. Dans leur appartement parisien en rez-de-chaussée, chaque enfant a sa chambre, et ils apprécient plus que jamais leur petit jardin privatif. Comment va le moral ? Pas le temps de se poser la question. « En gros, j’ai deux fois plus de taff. Côté boulot, la pression avec les équipes est énorme, et avec la gestion du planning des petits en plus, je ne vois pas passer la journée. Ce soir, des amies ont organisé un apéro virtuel, je ne sais même pas si j’aurais l’énergie de les rejoindre », conclut Christelle avant de raccrocher en urgence. C’est son tour de repas... et il est presque 13 heures.

Pour Paul, c’est une autre affaire. Responsable des audiences d’un média en ligne, lui aussi est surchargé de boulot. Mais difficile de trouver des modalités d’organisation avec son compagnon dont il était en cours de séparation. Il a bien proposé 24 règles de vie pour tenter d’organiser le quotidien dans leur petit 25 mètres carré... mais elles lui ont été vertement renvoyées au visage dès la lecture de la dixième. Il en prend son parti. Douloureusement. « Nous sommes vraiment sur la corde raide. Tout devient compliqué, ma chaise de bureau m’a lâchée et mon ex travaille sur le lit. Non seulement on est épuisés mais en plus on a mal partout. »

« Le bruit de l’aspirateur en pleine conf call... ça m’a rendu dingue !  »

Clairement, le niveau de stress monte. Victor en est conscient. Le moindre stress monte direct dans le rouge. « On n’a pas d’espace pour encaisser, explique-t-il. On ne peut pas aller se détendre dehors, on n’a pas le temps non plus. »

Pas de zones tampons, et difficile de composer avec les contraintes de l’autre. Le compagnon de Paul n’a finalement que deux ou trois heures de boulot effectif par jour, tandis que lui est littéralement surchargé, de tôt le matin à tard le soir. « Mon ex a décidé, pour s’occuper, de se lancer dans un grand ménage et le tri de nos affaires. Mais le bruit de l’aspirateur en pleine conf call... ça m’a rendu dingue !  », raconte-t-il, effrayé lui-même de se constater tellement à cran.  

« Il va falloir trouver de quoi alimenter les discussions du soir »

Le soir venu, le planning se négocie aussi. « On a l’habitude de télétravailler, se réjouit Lise, directrice générale d’un groupe de presse, et ces premiers jours se passent plutôt bien. Comme nous travaillons sur les mêmes marchés, nous parlons de nos problèmes, des solutions à mettre en œuvre... Mais en revanche, il va falloir trouver de quoi alimenter les discussions du soir. Comme on passe la journée l’un en face de l’autre, on a plus rien à raconter de très neuf, et pas grand-chose à faire non plus. De toute façon, on ne sait plus de quoi parler autrement que de "ça"... » Ça comprenant le virus, sa propagation, le confinement...

Marion a déjà posé le sujet sur la table du dîner. « Bizarrement, ce n’est pas parce que nous passons toute la journée ensemble qu’on se voit plus. Je dirais même qu’on se voit moins et moins bien. » Alors, elle a insisté pour garder certains rituels. Le couple aime regarder Top Chef ensemble, alors, c’est pas le moment d’y substituer une soirée bouquin-canapé. « Sinon, on finira par ne plus partager de bons moments ensemble... », appréhende-t-elle.

Pour Olivia, même préoccupation. Il faut se mettre d’accord sur quelques fondamentaux. Le matin, elle s'interdit le look pyjama après 10h00, et le soir elle s'oblige à un peu de rouge à lèvres. Chez Paul, la question n’est pas là : « J’apprends qu’on doit admettre qu’on n'est juste pas d’accord, sur la plupart des sujets, et qu’on doit accepter de vivre avec ça. »

Le constat est assez unanime. Le confinement pour les couples qui bossent de chez eux, c'est éprouvant. Et ce n'est que le début. C’est évidemment, sans aucun doute et pour d’autres raisons, une difficulté pour les célibataires. D’ailleurs, pas un mail ne s’envoie sans prendre des nouvelles de son destinataire. Mais cela ne sera pas suffisant pour gérer le stress des équipes, et les entreprises commencent à le réaliser. « Nous avons pris conscience que les tensions sont très différentes pour les uns et pour les autres, raconte Lise. C'est dur pour tout le monde, mais selon les conditions de vie et le contexte des uns et des autres, le confinement ne prend pas du tout la même tournure. Nous avons mis en place une cellule psychologique et nous avons demandé aux managers d’être extrêmement attentifs à cette dimension. C’est d’autant plus difficile que les business sont très tendus, et que les équipes doivent aussi et en plus gérer beaucoup de problèmes. »

 

N.B. Pour des raisons de confidentialité, tous les prénoms ont été modifiés.

Béatrice Sutter

J'ai une passion - prendre le pouls de l'époque - et deux amours - le numérique et la transition écologique. Et puis souvent, je ne déteste pas les gens. Co-fondatrice de L'ADN, je dirige sa rédaction : une course de fond, un sprint - un job palpitant.
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