Des emojis bébé sur fond rose

Langue des signes, numérologie et animal totem : l'éducation positive va-t-elle trop loin ?

En quête de conseils santé et astuces éducatives, de nombreux parents se trouvent noyés sous les propositions loufoques, vendues parfois à des prix très élevés.

Au croisement de la santé, du bien-être et des nouvelles spiritualités, les ateliers et activités dédiés à la parentalité ont le vent en poupe. Derrière la multiplication des cours de yoga postnatal et de la numérologie pour enfants émerge un business juteux surfant sur l'anxiété de parents soucieux de bien faire.

« Cela m'a donné toutes les réponses »

Durant son congé maternité, Agathe, 32 ans, a cherché à nouer des liens avec son enfant par le biais d'activités recommandées en ligne. Dans le centre d'une grande ville, elle se rend à un cours de yoga avec son fils alors âgé de 3 mois. « De base, je ne suis pas très yoga, mais là cela n'a pas été un franc succès. Mon fils a hurlé pendant les deux séances, cela devenait gênant pour les autres parents venus pour se détendre. » Agathe ne renouvellera pas l'expérience, mais elle prend l'habitude de boire un café tous les lundis matin avec d'autres jeunes mamans rencontrées en ligne. « Une des premières questions que l'on m'a posées, c'est "comment s'est passé ton accouchement ? " Cela m'a mise un peu mal à l'aise, car c'est un sujet très intime, je n'avais pas très envie d'en parler avec des inconnues. » Si la question a un peu refroidi Agathe quant sa place dans ce genre de groupe, elle leur reconnaît plusieurs bienfaits, comme avoir normalisé l'allaitement dans l'espace public. « Dans ce genre de groupes, on voit très vite qui se donne à fond et en fait des tonnes, qui n'apporte que de la nourriture faite maison et passe son temps à faire des activités manuelles avec son bébé. Chacun fait bien sûr comme il veut et comme il peut, mais cela peut vite mettre la pression et créer une atmosphère pesante si on se compare. » Si Agathe n'a pas donné suite, Camille*, 35 ans, s'est laissée séduire par les groupes de mamans.

« Il a du 3 et du 9 dans son triangle »

Lorsque son fils a eu 6 ans, elle s'est vite sentie dépassée. L'agitation et les caprices à répétition de son enfant rendent sa compagnie difficile pour son entourage. Peu à peu, la Bordelaise s'éloigne de ses amis et de sa famille. « Je ne savais plus quoi faire, je me sentais très isolée. Mon couple commençait à s’effriter, le boulot se passait mal et je n'arrivais plus à gérer Maxime*. » La jeune femme s'est alors tournée vers les forums et groupes de maman en ligne. De fil en aiguille, elle s'essaie avec son fils à la sophrologie, à la méditation puis à la numérologie, une pseudoscience qui attribue à chaque nombre des propriétés et caractéristiques censées nous éclairer sur sa nature et son « chemin de vie ». Elle apprend que son fils a du mal à se concentrer à cause de son essence rêveuse et dispersée ( « il a du 3 et du 9 dans son triangle » ) et qu'il vaut mieux ne pas contrarier sa nature profonde. « Cela m'a donné toutes les réponses et m'a permis de mieux le comprendre. Surtout que les conseils que l'on me donnait allaient dans le sens de l'éducation positive, que j'ai toujours voulu pratiquer », rapporte Camille. Une fois en CM1, le comportement de Maxime se détériore. Pendant les vacances d'été, la Bordelaise l'inscrit à un camp d'été chamanique dans le sud de la France. « C'était un peu cher, oui », admet la jeune femme en rosissant. Durant la journée, Maxime médite, fait de la sculpture avec des pommes de pin, accroche des vœux en papier à un arbre et part à la recherche de son animal totem, un animal avec lequel on ressent une connexion forte et dont l'influence peut nous guider tout au long de notre vie. Une activité aussi prisée dans le 10ème arrondissement de Paris, comme l'a récemment découvert Sébastien*, journaliste de 40 ans. Lorsqu'il récupère sa fille Pauline* à un goûter d’anniversaire, il apprend que l'une des activités organisées par la mère de l'amie de sa fille consistait à s'allonger les yeux fermés pour s'imaginer galoper dans la forêt et entrer en connexion avec son animal totem. Dans le cas de Pauline, il découvre que c'est un renard.

« C'est chaud, chaud, chaud »

Quand sa copine tombe enceinte, Jean, aujourd’hui âgé de 39 ans, se prépare studieusement à l'arrivée de sa fille. Cinq ans plus tard, il admet que la plupart des ateliers auxquels il a participé lui ont « beaucoup appris », même si certains l'ont « carrément fait flipper ». Une réaction subjective, qui l'a tout de même conduit à envisager d'interroger la Miviludes, l'organisme ministériel chargé de la surveillance des dérives sectaires. Avec sa fille alors âgée de 6 mois, il s'inscrit à deux ateliers organisés dans le 11ème arrondissement de Paris au sein d'un centre de Body-Mind Centering®, une discipline à mi-chemin entre le yoga et la thérapie. Le premier atelier consistait à appréhender le monde comme son enfant. Selon l'âge de ce dernier, il fallait se rouler sur des tapis, rester allongé sur le dos sans bouger, ou se déplacer à quatre pattes en gazouillant, tout en jouant à la balle avec les autres parents et enfants. « Évidemment, cela donne des scènes complètement ridicules. Mais passé le stade chelou, tu comprends effectivement mieux la vie de ton enfant et ce qu'il peut ressentir, cloué au sol, dans l'incapacité de bouger et de parler. J'ai personnellement eu besoin de ça car je prêtais à mon enfant des connaissances et intentions d’adulte. On se met vraiment à la place de l'enfant, et c'est la raison pour laquelle je pense que ces ateliers un peu étranges existent toujours. » Le deuxième atelier l'a toutefois moins convaincu. « C'était chaud, chaud, chaud ! » En revoyant des photos sur les sites dédiés, il ne peut s’empêcher de rire et de penser au rôle de Laura Felpin (en sarouel) dans la mini-série Le Flambeau : Les Aventuriers de Chupacabra créée par l'acteur Jonathan Cohen.

« Quoi, tu ne signes pas avec ton enfant ? »

Il se remémore la scène : les adultes se tiennent en cercle, tenant chacun le coin d'un long tissu où repose sa fille. Son souvenir est imprécis, mais la personne qui guidait la séance chantait quelque chose, probablement dans une langue étrangère, tandis que les adultes agitent doucement le drap. « Là je me suis dit "oula" ! », se rappelle Jean. Cela n'a pas été présenté explicitement comme tel, mais Jean ne peut s'empêcher d’assimiler l'exercice, dont l’objectif n'est pas clairement expliqué, à une sorte de rituel initiatique. « Cela m'a fait flipper, car c'est le genre d'enchaînement que l'on retrouve dans de nombreuses dérives néospirituelles, je me suis même demandé si je n'allais pas faire un signalement... ». Il ne se décourage pas pour autant et achète le livre Signer avec son bébé, pour apprendre à développer « une communication gestuelle bienveillante » avant que l'enfant ne soit capable de s’exprimer verbalement. « Ma fille n'a jamais été capable de reproduire le moindre signe, mais cela aura au moins eu le mérite de nous faire passer du temps avec notre enfant », déclare Jean. Il explique aussi avec un certain sarcasme avoir retrouvé l'ouvrage chez de nombreux parents autour de lui : « C'est une sorte de syndrome de classe sociale. Si tu ne pratiques pas, tu risques de te prendre un "quoi, tu ne signes pas avec ton enfant?" »

Sphère bien-être : une offre pléthorique

Depuis le lancement en 2020 de sa plateforme dédiée à la santé mentale et de son média spécialisé dans la parentalité, Boutayna Burkel, 35 ans, est en première ligne pour observer les dérives du coaching bien-être. « Celui-ci s'est naturellement téléporté des adultes aux bébés et enfants. On voit vraiment de tout et du n’importe quoi, du plus raisonnable au plus perché », déplore l'entrepreneuse. Depuis deux ans, elle reçoit régulièrement des propositions de services plus « farfelues les unes que les autres » de la part de professionnels issus de la sphère bien-être. Professionnels parfaitement rodés aux techniques marketing numériques qui inondent les Internet d'une offre pléthorique et disparate.

Au programme : l'EFT (Emotional Freedom Technique), une pratique psychoénergétique usant de tapotages réalisés avec le bout des doigts, kinésiologie, une « science non conventionnelle » qui entend décrypter la mémoire émotionnelle du corps grâce au toucher, et druidisme pour enfants. La promesse est toujours plus ou moins la même : traiter les problèmes alimentaires, relationnels ou liés au sommeil grâce à une meilleure gestion des émotions. Une proposition somme toute raisonnable sur le papier, qui peut parfois selon l'entrepreneuse « déraper ». Rien de plus banal désormais que de tomber en ligne sur des pages (où l'on n'arrive « pas par hasard », ne manquent pas de rappeler les thérapeutes) vantant les mérites de la numérologie, des rituels prénataux ou de la mémoire cellulaire pour enfants et parents, une thérapie basée sur l'idée que les souvenirs sont stockés dans toutes les cellules de notre corps, et supposée aider à soulager les traumatismes transmis de génération en génération. « Certains parents ont tellement peur de provoquer des traumatismes chez leur enfant qu'ils vont consulter ponctuellement ce genre de thérapeute, dans le cadre d'un déménagement par exemple... » D'autres parents encore préfèrent miser sur une approche plus transverse, en souscrivant à des « parcours », comprenant quelques rencontres et l'accès à des groupes WhatsApp ou Facebook, vendus autour de 1 400 euros par personne.

Pourquoi cet engouement pour la sphère bien-être ?

« Ces pratiques explosent car les parents, généralement désocialisés les premières années, se sentent perdus et incompétents. Au lieu de consulter psychologues ou pédiatres, ou si la consultation n'a pas porté ses fruits, les parents se tournent vers des entités dématérialisées et le coaching parental, un coaching qui s'inspire de plus en plus d'autres disciplines, comme l'hypnose, la PLN (ndlr : une thérapie développée dans les années 1970 aux États-Unis) et l'analyse des traumas générationnels », souligne Boutayna Burkel.

L’entrepreneuse note aussi que l'angoisse d'être mère à une époque pétrie d'injonctions peut conduire certaines femmes à se tourner vers une offre mondialisée et importée. Ce type d'offres est en partie développé par les doulas, qui s'inspirent parfois de rites ancestraux d’Amérique latine ou d'Asie, ou par des adeptes de la « maternité sacrée », qui organisent des cérémonies à base de bougies et de couronnes de fleurs pour les mères à venir. Boutayna Burkel estime aussi que la surmédicalisation et les différents problèmes liés à notre système de santé en déclinant (effritement des urgences et de l'accès aux soins, difficulté à obtenir un rendez-vous avec des généralistes et spécialistes...) incitent de nombreux parents à privilégier les soins préventifs, comme la naturopathie ou l'homéopathie.

Une mauvaise mère qui ne fabrique pas de pompons

Il faut aussi compter sur les algorithmes et bulles de filtres susceptibles d'enfermer les parents dans une forme d'endoctrinement rendant impossible toutes recommandations contradictoires. « Je cherchais des idées d'activités pour mon fils et il m'a suffi de cliquer sur une publication pour me retrouver dans un vortex de contenus », se souvient Agathe. « Après une journée de boulot difficile, rentrer chez soi pour se retrouver face à ça et avoir l'impression d'être une mauvaise mère parce qu’on ne colle pas des pompons faits main sur un panier en osier avec son bébé, ce n’est pas possible », sourit la jeune femme. Aujourd'hui, la Parisienne n'a gardé que peu de contacts avec les autres membres des groupes de mamans intégrés il y a quelques mois. « Je suis encore proche de celles avec qui on peut se moquer gentiment de nos enfants, s'encourager à se désinscrire de ces comptes et échanger librement. Parler de vive voix de tout ça permet de déminer des situations qui pourraient être très stressantes. » Symbole de l’évolution des pratiques et des modes, la dernière étude qui circule sur Instagram concerne le lazy parenting, « parentalité paresseuse » en français. C'est la recommandation de la psychologue britannique Jenna Vyas-Lee, qui reçoit régulièrement dans son cabinet londonien des patients atteints de burn-out parental et recommande, pour le bien-être des enfants comme celui des parents, d’en « faire moins. »

*Le prénom a été modifié

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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