Mystérieuse personne vêtue de noir dans un champs en pleine méditation

Thérapie, reconnexion à la nature sacrée et militantisme doux : les écospirituels feront-ils bouger les lignes ?

© Aziz Acharki

Ils pratiquent la méditation en forêt, s'organisent en association et désavouent les fondements du néolibéralisme. Sans pour autant être franchement radicaux. Éclairage de la sociologue Julia Itel.

Au travers de rites ancestraux et de thérapies menées sur fond de campagnes ou de montagnes enneigées, les écospirituels entendent revoir leur rapport au monde (et à eux-mêmes) en adoptant des modes de vie plus lents et raisonnés. L'écospiritualité peut-elle par porosité se répandre et insuffler un changement pérenne ? Spécialisée dans les pratiques de reconnexion à la nature, la sociologue Julia Itel a longuement échangé avec ces quarantenaires en quête de sens. Alors, les écospirituels sont-ils trop mous pour initier une réelle refonte de la société ? Interview.

Comment le New Age a-t-il évolué depuis les années 1970 ?

Julia Itel : La recherche d'un monde plus fraternel saupoudré de magico-religieux qui émerge dans les années 1970 et se développe dans les années 1980 s'est rationalisée avec le passage à l'âge adulte des enfants des baby-boomers. Cela se traduit par la popularité de la psychologie positive et du développement personnel et l'essor des philosophies pratiques qui quittent les bancs de l'université pour se diffuser dans la société. Quelques décennies plus tard, on assiste à l'apparition d'une conscience écologique plus globale simulée par une crise systémique : bouleversement des repères, quête de sens, crise des valeurs, de la rationalité et des institutions républicaines. Cela concerne principalement les générations nées entre les années 1980 et 2000, qui n'ont pas été socialisées dans la religion catholique. Aujourd'hui, le New Age revient en force, relancé par les mouvements de transition écologique très prégnants ces dernières années, formalisés par des documentaires comme En quête de sens ou Demain sortis en 2015, et Avant le déluge trois ans plus tard. Selon moi, la bascule s'opère en 2018, avec la prolifération de compte focalisés sur la connexion à Gaïa, sur le chamanisme et la magie. Des éléments déjà présents dans la matrice culturelle des années 70, auxquels s'ajoutent la critique du dogme. Jusqu'au début des années 2000, ce sont les religions orientales (Bouddhisme, Hindouisme...) qui sont congruentes avec ce principe de rejet des règles rigides. Désormais, ce sont les religions pré-chrétiennes européennes, qui attirent car elles résonnent avec les notions d’identité et de terroir.

De quelle manière les usages ont-ils changé ?

J. I : Hormis le fait que le nouveau New Age est plus présent sur les réseaux, les usages n'ont, à mon sens, guère changé. Les nouvelles spiritualités se pratiquent toujours dans des réseaux assez nébuleux, lors d'évènements spécifiques (stages, retraites) et ponctuels, durant de quelques heures à quelques jours. L'imagerie est toujours la même, et le marché est de nouveau inondé de produits ésotériques dont les ventes s'étaient essoufflées à la fin des années 1990 sous le coup de ce que certains ont perçu comme « une chasse aux sorcières ». En effet, le début des années 2000 a été marqué par diverses investigations anti-sectaires qui ont contribué à marginaliser et tasser la mouvance.

Dans ces mouvements, quelle est la place accordée à la nature ?

J. I : Les questions sociétales font naître des aspirations écologiques. Cela explique notamment le succès du néochamanisme européen (celtique, druidique...), la recherche d'un portail vers une nature animiste, et la revalorisation d'un calendrier celtique basé sur les cycles soli-lunaires et agricoles, plus respectueux des rythmes de la nature. Les écospirituels vont en forêt comme à l’Église, loin de toute stimulation humaine, pour se retrouver face à eux-mêmes, se laisser absorber par ce qui les entoure, de manière contemplative. Ils vont chercher à se sensibiliser à la beauté de la nature par le biais d'expériences sensibles comme la sylvothérapie (ndlr : une thérapie reposant sur l'idée qu'être dans une forêt ou à proximité d'arbres a un effet bénéfique sur le bien-être et la santé) ou les marches silencieuses, au travers d'observations conduisant parfois à des révélations mystiques spontanées. Attention, tous les écospirituels ne se tournent pas vers le chamanisme. Ils partagent toutefois le fait de ne pas se retrouver dans le rythme quotidien des sociétés occidentales, sans pour autant couper avec le néolibéralisme. Au-delà du volet animiste, c'est l'expérience immersive qui attire et attise la curiosité pour une pratique peu explorée sortant de l'ordinaire. De fait, le néochamanisme s'inscrit volontiers dans une recherche d’originalité relativement folklorique et très visuelle tout à fait compatible avec les réseaux sociaux.

Nature et thérapie, une combinaison recherchée ?

J. I : Les écothérapies comme la sylvothérapie sont très pratiquées, principalement pour réconcilier l'homme et la nature, mais aussi pour réconcilier l'homme avec lui-même. Dans ce second cas, la nature devient le medium de la thérapie. Dans le néochamanisme, le chamane ou praticien en chamanisme va utiliser un état modifié de conscience – induit via l'usage de tambours, de sons binauraux, de danse ou de hutte de sudation – pour faciliter la guérison d'un mal physique ou mental. Un effet périphérique de la pratique peut être alors un changement de regard sur la nature, mais ce n'est pas forcément l'objet de l'expérience. Est-ce une approche purement utilitariste ? Oui et non. Ici, pas d’extraction ou d'exploitation des ressources.

Les écospirituels sont-ils politisés ?

J. I : Je ne retrouve pas systématiquement de trace d’engagement politique au sens traditionnel (votes, manifestations, blocus, affiliation à un parti...) chez mes participants. De manière générale, ils se déclarent plutôt apolitiques, et préfèrent agir au niveau de petits groupes locaux. Ils seront plutôt enclins à participer au bon fonctionnement d’associations locales, tant que cela ne prend pas trop de temps... Beaucoup d'entre eux sont issus du monde militant dont ils sont ressortis lessivés, et se dirigent maintenant vers des mouvements plus doux. Pour eux, la question du lien et de l’habitat est primordiale, sans être forcément adeptes radicaux des écogestes ou en phase avec les mouvements écologistes. Dans l'ensemble, ils sont assez peu contestataires, voire assez optimistes. Comme ils estiment avoir eux-mêmes expérimenté la résilience, ils sont beaucoup moins parasités par l'éco-anxiété et la perspective d'un effondrement.

L'écospiritualité peut-elle initier un changement sociétal profond et durable ?

J. I : Il me semble que l'immersion dans la nature, comme expérience contemplative et d'expansion de soi, devrait être plus priorisée, dès l'école. Les études de psychologie environnementales prouvent qu'un contact régulier à la nature favorise des comportements plus respectueux à son égard. Si ce contact provoque sans doute des effets plus subtils et délicats que le militantisme, ce n'est néanmoins pas négligeable. En France, une certaine frilosité freine cependant la fusion de l'écospiritualité et du militantisme. Les activistes politisés empreints d’idéaux marxistes assimilent toute notion de spiritualité à une aliénation. De leur côté, les adeptes des nouvelles spiritualités se montrent méfiants de toutes les institutions perçues comme des entraves contraignantes. Insuffler des changements durables grâce aux nouvelles spiritualités me semble difficilement réalisable, d'autant plus que même les engagements associatifs ne sont pas majoritaires chez les écospirituels. Certaines microcellules se forment tout de même : c'est le cas de l’association RAFUE (Réseau des professionnels de l'Accompagnement Face à l'Urgence Ecologique), un réseau rassemblant psychologues, psychothérapeutes, psychiatres, coachs, et sophrologues coordonnant leur action en réponse à l'impact des phénomènes environnementaux sur la santé psychique et mentale. Ce type d'organisation représente aussi une manière de joindre le collectif. Cela pose en tout cas la question : où est le politique ?

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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