Un garçon étendu dans l'herbe

Les NEETs : ils ne font rien, mais ils le font bien

© Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs

« J'ai élaboré une assez bonne routine : je me réveille vers 6 heures du matin, je fais du yoga, puis j'essaie de travailler sur moi-même. »

Notre engouement pour le travail ne s'est pas complètement tari. Au printemps dernier, TikTok prédisait que l'été ne serait ni sauvage, ni orgiaque, mais studieux : #corporategirlsummer. Quelque temps après, les Internet se sont emballés pour l’esthétique yuppiecore, à base de mocassins croco, épaulettes et attachés-cases, ceux que les personnages trimballaient dans Working Girl. Oui mais à côté de ça, il y a les NEETs. Entre revendications anticapitalistes, inadéquation avec le marché du travail et crise économique, ils ne font pas grand-chose de leur journée. Un état de grâce pour certains, une situation amère pour les autres.

Qui sont ces grosses feignasses de NEETs ?

Les NEETs (Not in Education, Employment or Training) sont de jeunes adultes qui ne suivent ni études, ni formation et n'occupent aucun emploi, même si cela a pu être leur cas auparavant. En France (hors Mayotte), la part de NEETs chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans s’élevait fin 2023 selon l'Insee à 12,3 % (soit environ 1,5 million de personnes), un chiffre en très légère baisse par rapport à 2020. C'est aussi un peu moins qu'au Royaume-Uni, où les NEETs seraient 13,8 %. D'après Eurostat, l’office européen des statistiques, la France est proche de la moyenne européenne : 13,1 %. Mention spéciale pour l'Allemagne et le Danemark, qui ne connaissent respectivement que 9,2 et 8,3 % de NEETs.

Dans Le Monde, Bernard Gazier, Professeur de sciences économiques à l’Université Paris 1, rappelle que la situation des NEETs est très hétérogène. En 2019, 40 % des NEETs de 15-29 ans étaient au chômage (24 % de courte durée et 16 % de longue durée) ; 16 % sur le point de débuter un emploi ou une formation ; 15 % faisant face à des responsabilités familiales ; 14 % s'apprêtaient à revenir sur le marché du travail et 7 % étaient malades ou en situation de handicap. Tous les concernés ne sont pas égaux. Pour quelques privilégiés, la situation est plutôt plaisante.

Mais que font les NEETs de leur journée ?

« S’il est considéré comme normal pour les vingtenaires de faire des boulots de merde et de vivre dans un microstudio tout en essayant de se trouver, certaines personnes ont décidé de se retirer de ce style de vie alléchant », résume Vice. Inscrite à l'université, Celina, 25 ans, ne suit pas ses cours. Elle finance sa coloc avec ses allocations étudiantes et travaille ponctuellement lorsque cela ne suffit pas. « L’année dernière, j’avais mon propre stand au marché de Noël pour vendre des burgers végétaliens (...). Étudier aurait donné une structure à ma vie. Il m'est parfois difficile de gérer ma journée sans rendez-vous extérieurs. Mais j'ai établi une assez bonne routine : je me réveille vers 6 heures du matin, je fais du yoga, puis j'essaie de travailler sur moi-même. (...) Mes parents ne sont pas de grands fans de mon style de vie. Mais ils se sont fait une raison et pensent que je n'arriverai jamais à rien. Mais mes amis m’envient. Je rayonne toujours d'enthousiasme lorsque je parle de ma vie et de mon temps libre », a-t-elle confié à Vice.

À 18 ans, David s'est lancé dans des études informatiques qui l'ont vite ennuyé. À la même période, le décès de son père et l'argent dont il hérite l’autorisent à cesser ses études. C'était il y a 5 ans. « Depuis, je réfléchis à ce qui me conviendrait. En attendant, je profite de mon temps libre et je fais encore un peu de programmation, mais sans aucune pression. Les gens ont du mal à comprendre ma décision et me donnent souvent des conseils non sollicités. (...) Je suis heureux. Je ne vis pas dans le luxe (...) et si je continue ainsi, mon coussin financier durera encore environ cinq ans. D’ici là, j’espère que je saurai comment je veux procéder », explique-t-il au média américain. De son côté, Leonie, 22 ans, a enchaîné les petits boulots : femme de ménage, promeneuse pour chiens, community manager, serveuse, et même factrice. Pas convaincue, elle vit depuis d'aides sociales. « Dans tous ces emplois, je n’étais pas bien traitée, et ils n’étaient pas non plus épanouissants. Je me sentais comme une marionnette, devant toujours faire ce qu'on me disait sans pouvoir prendre de décisions. » Aujourd'hui, la jeune femme vit avec son chien dans un petit appartement. « Je passe environ 40 % de mon temps à travailler sur moi-même. » Le reste du temps, elle prend des cours en ligne, au gré de ses envies. « Dans mon cercle social, les gens ne se soucient pas trop de ce que quelqu’un fait dans la vie, et ne rien faire du tout n’est pas si rare. Je crois que les gens ont besoin de temps pour se retrouver avant d’entrer sur le marché du travail. »

Le rêve des réseaux

Sur TikTok, le modèle est revendiqué. Sous le #neet qui dépasse le milliard de vues, de jeunes adultes montrent un quotidien présenté comme idyllique, entre dessin, séries matées au lit, promenade au petit matin, lectures et séances d'étirement. Sur la plateforme, l'étrange communauté RBG a même fait du #neet son mot d'ordre. Elle utilise l'acronyme pour faire l'apologie d'un monde sublimé, où l'inactivité évoque – dans une version plus sobre – l’oisiveté heureuse d'aristocrates indolents. On est loin du mode gobelin de 2022 et des hikikomoris japonais, vivants reclus chez eux le plus souvent en situation de détresse psychique. Sur YouTube, on aime aussi beaucoup la figure de la stay-at-home girlfriend (ou SAHGs, une petite amie qui reste à la maison), qui sans culpabilité aucune, embrasse une vie sans travail dans le confort de sa maison confortable et élégamment décorée, entièrement financée par un compagnon banquier. L'ambition : un minimum de travaux ménagers et un maximum de self care, récapitule The Washington Post.

Les NEETs de TikTok ne sont pas les NEETs de la vraie vie

Tout chez les NEETs n'est pas que yoga, aquarelles et lectures dans un champ de fleurs. Dans son rapport sur la pauvreté édition 2022-2023, l’Observatoire des inégalités note qu'un pauvre sur deux a moins de 30 ans en France. Chez les 18-24 ans, plus susceptibles de se retrouver sans emploi ou d'enchaîner les petits boulots, le taux de pauvreté frôle les 13 %, deux fois plus élevé donc que la moyenne française. Sur TikTok, le #neet donne aussi lieu à de nombreuses publications hautement dépressogènes. De jeunes adultes dévoilent un quotidien douloureusement monotone : alimentation à base de caféine, lecture sur tablette, jeux vidéo dans la pénombre, douche prise à une heure du matin et retour au lit avec le sentiment d'être drainé. La légende : « Je n'ai pas fait grand-chose aujourd'hui à part une lessive et aller chercher une pizza. Les jours sont répétitifs. » La bande-son de la publication : le morceau morose « Hate Life » de Andreas Rönnberg.

@deatholics

Sept. 29 I didn't do much other than pick up pizza and do laundry today. The days are repetitive #neet #ow2 #fyp

♬ Hate Life - Andreas Rönnberg

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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