Pour l'historienne Marie Peltier, le cyberharcèlement de Magali Berdah, comme celui d'Amber Heard il y a près d'un an, est alimenté par le masculinisme et fait l'objet d'une forme de déni collectif.
Le 3 mai, Bruno Le Maire a annoncé vouloir rendre public le nom des influenceurs coupables d'infraction après une enquête de la répression des fraudes. Cette annonce fait suite à sa proposition de loi, présentée le 25 mars à l'Assemblée, pour tenter de réguler le secteur. Et mettre notamment fin à la promotion de jeux d'argent, chirurgies esthétiques et autres produits douteux faites de manière opaque par certains créateurs de contenus sur les réseaux sociaux. Ce combat, Bruno Le Maire le partage avec le rappeur Booba, qui depuis un an mène une croisade contre ceux qu'il nomme les influvoleurs.
Au nom de cette lutte, il alimente quasi quotidiennement auprès de ses 6 millions d'abonnés sur Twitter le cyberharcèlement de Magali Berdah, directrice controversée de Shauna Events. L' agence représente ou a représenté certains influenceurs pointés du doigt par le rappeur. Après une plainte de ce dernier, Magali Berdah a fait l'objet d'une enquête pour pratiques commerciales trompeuses et a été condamnée à reverser plus de 500 000 euros au fisc. Ce contexte légitime aux yeux des nombreux fans du rappeur un harcèlement ininterrompu depuis un an. Montages photo humiliants, révélations d'informations personnelles, partage de deepfake porn, menaces... postées par le rappeur et par sa communauté. Le 20 avril, la dirigeante, qui s'est exprimée de nombreuses fois à ce sujet, a porté plainte contre Twitter pour complicité de harcèlement moral aggravé.
Marie Peltier, historienne spécialiste des théorie du complot, estime que le déversement de propos haineux à l'encontre de Magali Berdah est l'un des nombreux exemples de cyberharcèlements exacerbés dont font l'objet de plus en plus de femmes qui s'expriment et tiennent bon face à leurs harceleurs. Elle juge qu'il est le signe d'un backlash (contrecoup réactionnaire après une phase de progrès) faisant suite au mouvement MeeToo. Il fait aussi à ses yeux l'objet d'un déni collectif.
Sur Twitter, vous avez établi un parallèle entre le cyberharcèlement subi par l'actrice Amber Heard et celui de Magali Berdah, pourquoi ?
Marie Peltier : Je me suis beaucoup exprimée à propos du cyberharcèlement d’Amber Heard, lors du procès. En soulignant notamment le fait que l’avocat de Johnny Depp était connu pour son propagandisme et son masculinisme. On était très peu à le faire, et notre parole ne trouvait pas d’écho. Quand France 5 a diffusé un documentaire à ce sujet il y a quelques mois, de nombreuses personnes m’ont envoyé des messages, se rendant enfin compte de ce qu’il s’était passé. C’est là où je vois un parallélisme avec le cas de Magali Berdah : ce sont deux histoires de cyberharcèlement où il y a une forme de déni collectif pour des raisons différentes bien évidemment. Dans les deux cas, les réseaux masculinistes parviennent à complètement diaboliser une femme, et à la déshumaniser en disant qu’il n’y a aucune raison de la défendre. À chaque fois qu’elle est soutenue, en retour on nous assène qu’il s’agit d’une horrible personne, qu’elle est indéfendable… C’était exactement le même argumentaire utilisé par les défenseurs de Johnny Depp contre Amber Heard.
Le fait que Magali Berdah soit accusée de faits graves accentue sans doute ce déni de cyberharcèlement…
M.P. : Oui et Booba joue de cela. Il est de plus soutenu par certains médias et personnalités publiques. Il y a quelques mois, Libération consacrait sa Une à Booba, le présentant en superhéros, il y a quelques semaines Bruno Le Maire disait “Booba a raison”. Le fait que la législation sur les mauvaises pratiques des influenceurs ait pris du retard, et qu’il y ait effectivement des victimes justifient le cyberharcèlement aux yeux de beaucoup.
Booba est-il lié à des réseaux masculinistes, comme le sont les défenseurs de Johnny Depp ?
M.P. : On est dans une dynamique purement masculiniste, c’est clair et net, sans dire que Booba est structurellement lié à des réseaux masculinistes. On connaît son idéologie, même si de nombreuses personnes font semblant de l’oublier. On connaît sa misogynie, son homophobie, ses positions antivax et complotistes. C’est quelque chose de bien documenter. Sa communauté, la piraterie, surtout des hommes, sont dans une posture de justicier macho. Dans la manière dont Booba et ses soutiens parlent de Berdah, il y a tous les ressorts masculinistes : se moquer de son physique, de sa sexualité, la faire passer pour une pleurnicheuse, c’est très masculiniste de dire que les femmes se victimisent.
En quoi le complotisme est-il lié au masculinisme ?
M.P. : Quand on est complotiste, on est dans une vision assez réactionnaire de la société. La misogynie s’inscrit assez naturellement dans cette vision. C’est aussi une posture dans laquelle on veut dénoncer des logiques cachées, des minorités puissantes et mal agissantes.
Toutefois Booba ne s’attaque pas seulement à des femmes, il s’en est récemment pris à l'influenceur Dylan Thiry notamment…
M.P. : Booba mène ses attaques par vague et vise plusieurs cibles concomitantes mais il relie toujours ses accusations à Magali Berdah. Et puis il ne s’attaque pas exactement aux hommes et aux femmes de la même manière. Les commentaires concernant la sexualité de ses cibles, par exemple, sont réservés aux femmes. Son prétexte est la dénonciation des mauvaises pratiques des influenceurs. Au nom de cette lutte, il met en place un défouloir d’instinct misogyne. Une femme, dans l’imaginaire patriarcale, est censée être plus morale que les autres. Et si elle ne l’est pas, elle en est encore plus coupable.
En vous exprimant à ce sujet, avez-vous subi du cyberharcèlement de la part des fans de Booba ?
M. P. : Je suis victime de harcèlement sur beaucoup de sujets. Après le documentaire sur Amber Heard et Johnny Depp, j’ai subi des attaques assez violentes. J’en ai aujourd’hui dans le cas de Booba, mais cela reste limité. Ses fans “pirates” disent que je suis folle et que je ne comprends rien, un argument purement misogyne d’ailleurs. Cela reste des tweets. Mais je limite ma visibilité à ce sujet aussi. J’évite de répondre aux invitations pour des émissions télé avec une grosse visibilité. Cela peut être potentiellement dangereux. Le compte de Booba est dédié au cyber harcèlement et il est suivi par 6 millions d’abonnés.
Y a-t-il une amplification du cyberharcèlement envers les femmes ces dernières années ?
M. P. : Cela s’aggrave beaucoup depuis 2020. Des chanteuses, femmes politiques, artistes se font cyberharceler très régulièrement. Ce qu’elles ont en commun : être des femmes qui s’expriment. Et surtout qui ne se laissent pas faire. Magali Berdah, comme dans un tout autre registre Sandrine Rousseau, tiennent bon et répondent à leurs harceleurs et c’est d’autant plus insupportable pour des masculinistes. Le confinement a sans doute aggravé les choses. Et surtout nous sommes dans un contexte de backlash vis-à-vis de Mee Too. Les femmes ont commencé à dénoncer des comportements et des pratiques sexistes, et pendant quelque temps, on les a entendues sans trop les remettre en question. Là, un verrou a sauté. On est dans le moment punitif vis-à-vis de Mee Too. C’est une étape, je reste optimiste pour la suite.
C'est un peu facile de tout mettre sur le dos du masculinisme et du complotisme (c'est d'ailleurs un raccourci extrêmement malhonnête ! Selon votre article Homme = complotiste).
Magali Berdah fait la promotion d'influenceurs plus que douteux et il semble légitime qu'elle soit condamnée pour cela. Il faut en effet que les "influenceurs" et ceux qui en font la promotion soient encadrés.
En revanche, il est un peu "facile" pour se disculper de crier au masculinisme et ainsi d'occulter les faits condamnables.
Escroquer les gens en faisant la promotion de produit douteux est un délit, et vouloir les faire condamner est légitime, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes ! S'il vous plait, cessez de tout camoufler derrière le complotisme ou le masculinisme pour défendre l’indéfendable!
Anonyme au dessus à sans doute mal lu ou tout simplement mal compris. L'article ne prend pas parti pour Magali Berdah ou pour qui que ce soit. L'article tente d'apporter une vue sur une affaire de cyber harcèlement. Anonyme devrait relire soigneusement.
Anonyme 2,
J'ai bien lu l'article, justement ! il y a, à mon avis, un très important amalgame entre les harceleurs sur les réseaux (qui sont condamnables) et le masculinisme, le complotisme, la misogynie, .... C'est écrit dans l'article, je n'invente rien :
"Quand on est complotiste, on est dans une vision assez réactionnaire de la société. La misogynie s’inscrit assez naturellement dans cette vision".
Attaquer Mme Berdah sur son physique est détestable, mais taxer de complotiste toute personne remettant en cause son honnêteté est un peu... malhonnête.
Elle n'est pas attaqué parce qu'elle est une femme, mais parce qu'elle commet des délits en faisant la promotion d'influenceurs et de produits douteux.