La Silicon Valley (aussi) se met à la broderie et à la menuiserie

La Silicon Valley (aussi) se met à la broderie et à la menuiserie

© Ricky Kharawala

Après nous avoir inondés de réseaux et applis, Zuckerberg et compagnie rappellent qu'il est important de ralentir pour prendre le temps de fabriquer une table à café en chêne blanc. Avec ses mains. Et sans rien casser.

Il est loin le temps où le move fast and break things (bouger vite et casser des trucs), la maxime made in Silicon Valley, s'affichait fièrement sur les murs de Facebook et consorts. Après les réveils à 4h du matin et les doses de peyotl gobées à Burning Man, les entrepreneurs et investisseurs de San Francisco se mettent à la menuiserie, activité plébiscitée pour ses vertus apaisantes. Parmi eux, Haomiao Huang. Quand il n'est pas en train d'éplucher les decks ou d'enchaîner les réunions Zoom, l'investisseur spécialisé en robotique s'essaie aux vieilles techniques de menuiserie. Les raisons avancées : un exercice manuel à la jonction entre la méditation et l’artisanat qui lui procure un profond sentiment d'accomplissement et l'oblige à déconnecter : « Lorsque tu manipules une scie électrique, tu ne peux pas penser au financement qui n'arrive pas... Si je ne la tiens pas correctement, je vais perdre ma main », a-t-il expliqué au Washington Post. En bonus : apprendre la patience, une qualité peu cultivée au sein d'une industrie où tout doit aller toujours vite, très vite. Après avoir confectionné bols et porte-savons, l'investisseur s'est lancé avec sa compagne dans la construction d'une table de cuisine.

Est-ce que la Silicon Valley rêve de slow life ?

Dans un contexte de licenciements massifs et de réduction drastique des coûts, ceux qui peuvent se permettre de ralentir comptent bien le faire. Selon le média américain, les ateliers où travailler le bois fleurissent à San Francisco, parfois même directement au sein des campus des entreprises. Un goût pour les loisirs manuels et la construction qui n'est guère étonnant. « L'intérêt pour l'acquisition de compétences manuelles va au-delà du bois. Le mouvement des Makers, au sein duquel les gens utilisent des techniques de bricolage et de DIY pour construire des choses, explose depuis environ une décennie dans la baie. Pendant la pandémie, certains travailleurs de la sphère tech ont ravivé leurs obsessions LEGO. Le soufflage du verre, la soudure, la poterie et d'autres formes d'art s'envolent aussi », rappelle The Washington Post. Parmi eux, Mark Zuckerberg qui s'est mis à la couture et l'investisseuse Arielle Zuckerberg (petite sœur du CEO de Meta) qui a rassemblé une quarantaine d'amis pour un week-end Learning Man. Comme Burning Man, sauf qu'au lieu de danser nu sous MD dans le désert, on apprend à tricoter, à cuisiner une French omelette dans une grande maison près du lac Tahoe. Comme tout cela se passe dans la Silicon Valley, l'attrait pour les loisirs manuels, déjà loué par la génération Z depuis la pandémie, est bien sûr hautement performatif. Et cher. Haomiao Huang a dépensé plus de 10 000 dollars en matériaux et cours de menuiserie. Sharmila Lassen, développeuse à la retraite, a dépensé 300 dollars pour construire un petit plateau.

« Une petite pause » dans la finance

Qu'importe le prix. La menuiserie permet à John Szot, financier de 30 ans, de s'aérer la tête. Après avoir quitté Manhattan pour rejoindre la baie de San Francisco, il a décidé de faire une petite pause. Et le travail du bois lui permet de rencontrer des gens sur place et d'expérimenter « un changement de rythme agréable ». Depuis que les employés de la tech ont déserté les bureaux pour travailler de chez eux, le temps jadis passé en transport est dorénavant alloué à la poursuite de loisirs. De fait, les ateliers dédiés à la menuiserie se multiplient en ville, accueillant non seulement des particuliers mais aussi des entreprises soucieuses de proposer des activités favorisant la cohésion d'équipe. Parmi ces ateliers récemment ouverts, Wood Thumb voit débarquer des « robots zombies » en début de classe quitter l'atelier « revivifiés et excités », désireux de « ralentir », prétend son gérant. Alors, le temps de la croissance à tout prix est-il révolu grâce à ce nouveau hobby aux propriétés salutaires ? Pas forcément, à moins qu'il ne génère l'adoption généralisée d'un nouvel état d'esprit débouchant sur la remise en question systémique des mantras de la Silicon Valley, entre efficacité et optimisation. Pour l'instant, difficile de voir autre chose dans cet engouement pour la menuiserie qu'un énième lubrifiant destiné, comme le yoga et la sophrologie, à se reposer pour retourner plus en forme au travail.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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