Des jeunes avec des smiley en colère sur la tête

Ces malades imaginaires souffrant de Münchausen par Internet

Phase terminale, maladie génétique rare et vidéos TikTok. En ligne, ils prétendent souffrir de graves maladies et mettent en scène symptômes débilitants et guérisons miracles.

Le 7 novembre 2021, Hope Otto, la vingtaine, ancienne technicienne médicale aux urgences de New York, publie une vidéo Instagram. En direct d'un lit d'hôpital et vêtue d'une blouse blanche, elle explique qu'elle se prépare à mourir car elle n'a plus la force de soigner son syndrome d'Ehlers-Danlos. Pour mettre fin à ses jours, elle opte pour un arrêt volontaire de l'alimentation et d'hydratation (VSED, pour Voluntarily Stopping Eating and Drinking). Euthanasie passive par les uns, suicide assisté pour les autres, le VSED est un recours médicalement réservé aux personnes en phase terminale. Un jour plus tard, la jeune femme récidive sur TikTok. Intubée, elle explique que sa mort devrait advenir d'ici 3 à 21 jours. Les commentaires de soutien et d'admiration pleuvent. Seulement voilà, 5 mois plus tard, Hope est toujours là, expliquant qu'elle décale la procédure pour profiter de sa famille. Hope publie finalement une « dernière » vidéo, dans laquelle, fatiguée et somnolente, elle dodeline tristement de la tête en musique. Finalement, en janvier 2023, Hope réapparaît en pleine forme sur les réseaux. Elle explique avoir renoncé au VSED après 14 jours, trop éprouvant pour elle, provoquant le courroux et la défiance de ceux qui l'avaient auparavant suivie avec commisération. Aujourd'hui, Hope continue à communiquer en ligne sur sa maladie.

Malades imaginaires et hashtags viraux

Le cas est loin d'être isolé. Comme le rappelle Vice, les réseaux Instagram et TikTok ont été accusés « d'encourager les gens à exagérer ou même simuler des pathologies en permettant à certaines maladies de devenir virales sur leurs plateformes, utilisant les algorithmes pour exploiter efficacement les vulnérabilités pour obtenir clics et engagement. » À son pic de popularité, Hope avait accumulé plus de 2 000 abonnés sur Instagram et 151 000 sur TikTok. Avant elle, la sickfluencer (néologisme combinant sick, malade, et influenceur) Gabriele Robinson, diagnostiqué à 11 ans, avait contribué à faire connaître sa maladie chronique rare en partageant son expérience sur les réseaux, gagnant au passage des milliers de dollars avec ses collaborations. Jadis peu connue du grand public, le hashtag affilié à la maladie (#ehlersdanlossyndrome) dépasse aujourd'hui les 550 millions de vues. Autre signe de l'engouement : le #chronicillnesswarrior (guerrier des maladies chronique), qui frôle les 350 millions de vues. Ici, de nombreuses jeunes filles qui changent en direct leur sonde d’alimentation, enchaînent les cabrioles acrobatiques en dépit de leurs symptômes et rappellent, pâles et tremblotantes, qu'il est important de profiter de la vie, #carpediem.

Au cours des 5 dernières années, le nombre de personnes documentant leurs maladies chroniques en ligne a augmenté de façon exponentielle. Et avec eux, le nombre de simulateurs. Face au revirement de situations présenté dans les vidéos de l'ancienne technicienne médicale, des internautes en colère se sont insurgés à coups de commentaires acerbes et d'insultes à demi voilées. (Notons que dans certains cas similaires, les insultes tournent parfois au harcèlement.) Parmi eux, certains membres du subreddit r/Illnessfakers. Fort de plus de 134 000 membres, dont la majorité serait des malades avérés, le forum entend démasquer les personnes touchées par un syndrome de Münchausen par Internet, ainsi que les influenceurs toxiques qui simulent ou exagèrent des maladies médicales pour attirer l'attention et/ou tirer des profits financiers.

C'est quoi le syndrome de Münchausen par Internet ?

Comme pour les personnes souffrant de Münchausen (le besoin pathologique de simuler une maladie ou un traumatisme) ou de « Münchausen par proxi » (l’exagération ou la provocation délibérée d'une maladie chez un tiers, souvent un enfant), les individus touchés par le syndrome de Münchausen par Internet (le fait de simuler une maladie en ligne) seraient en grande partie des femmes désireuses d'attirer attention et compassion. Le nom de cette dernière pathologie est calqué sur le syndrome Münchausen par proxi (ou par procuration), trouble récemment popularisé dans la pop culture par les séries télé américaine The Act et The Politician. L'expression a été forgée en 2000 par le médecin chercheur Marc Feldman. En 1997, une infirmière lui relate le cas d'un moine qui documente son expérience d'un cancer en phase terminale sur un forum en ligne. Son vœu religieux de pauvreté l'empêche de se faire soigner et il souffre d'une profonde solitude. Plot twist : ses messages incroyablement longs se poursuivent bien au-delà du moment où Marc Feldman se serait attendu à ce qu'il décède. Après plusieurs échanges par e-mail avec le moine, celui-ci admet que toute l'histoire n'est qu'un canular.

Chez les simulateurs comme dans la mode, une tendance chasse l'autre. Selon Vice, c'est le « syndrome de la personne raide » qui ferait actuellement des émules sur la plateforme après que la chanteuse Céline Dion ait évoqué sa maladie l'année dernière. Un phénomène qui inquiète les professionnels de la santé, les diagnostics et termes pseudo-médicaux étant de plus en plus couramment utilisés à la volée sur les réseaux. En 2022, un sondage de Forbes rapportait que 33 % de la génération Z était plus susceptible de faire confiance aux influenceurs TikTok plutôt qu'aux médecins. Pour les sondés : « la possibilité de se rapporter à une expérience personnelle partagée et le triomphe personnel de l'influenceur sur un problème de santé les rendent [plus] crédibles [pour les autres utilisateurs]. » Au début de l'année, un article publié dans la revue médicale Comprehensive Psychiatry relevait l'augmentation de créateurs de contenu s'étant autodiagnostiqué des maladies mentales, soulignant également que les diagnostics rares avaient tendance à être romantisés et sexualisés. Un phénomène qui devrait aller croissant, alors que la santé est un sujet de plus en plus populaire sur les réseaux, notamment sur Instagram : en 2022, le hashtag santé enregistre plus de 29,5 millions de likes, soit 40 % de plus qu'en 2021.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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