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Et si nos maires étaient les plus efficaces pour lutter contre le réchauffement ?

Certaines villes misent sur l'agriculture urbaine, les énergies renouvelables et la végétalisation des bâtiments... Des initiatives menées à l'échelle des territoires par des représentants particulièrement engagés. Espoir ? Oui.

Son territoire, c’est la ville ! À la fois économiste et urbaniste, Jean Haëntjens est consultant en stratégies et en prospectives urbaines auprès des collectivités locales et des institutions publiques. Auteur de neuf livres, d'une cinquantaine d'articles et de plus de deux cents conférences sur les thèmes de l'éco-urbanisme et des smart cities, il est par ailleurs conseiller scientifique et membre du comité de rédaction de la revue Futuribles. Bref, Jean Haëntjens est l’un des meilleurs interlocuteurs pour décrypter les enjeux auxquels sont confrontés les édiles des métropoles.

En quoi les enjeux des métropoles ont-ils pu changer ?

Jean Haëntjens : À la fin du XXe siècle, lorsqu'un nouvel aménagement des villes a commencé à prendre forme, le but était d'apporter une réponse à l'engorgement du trafic automobile et aux désagréments qui en découlent. Ce qui était reproché à la voiture, et qui l'est toujours, c'est l'énorme consommation d'espace qu'elle exige, aussi bien pour circuler que pour stationner. Ce n'est pas compatible avec un tissu urbain qui ne cesse de se densifier. C’est donc pour des raisons de confort que les villes ont entamé leur mue. Ce n'est que plus tard que les élus ont pris en considération le réchauffement climatique. À Copenhague, 40 % des déplacements sont effectués à vélo parce que la municipalité a opté, dans les années 1990, pour la construction d'un nombre très important de pistes cyclables.

Dans la grande majorité des métropoles et des mégapoles, les changements liés à la mobilité ont préparé le terrain à l'écologie urbaine. Petit à petit, il y a eu un glissement vers la durabilité, car il fallait répondre aux inquiétudes des électeurs. Les maires sont, par nature, extrêmement pragmatiques. Si leurs administrés n'ont pas de poubelles, si les enfants ne peuvent pas aller à l'école, s’il y a trop de pollution, ça ne marche pas. C'est toute la force de la politique locale, qui repose sur un lien très concret entre la pratique du terrain et l'objectif théorique.

Toutes ces transformations dépendent-elles alors avant tout des politiques locales, et donc des choix électoraux effectués par les citadins ?

J. H. : C'est un fait, et on l'oublie trop souvent. En France, au départ, il y a eu une osmose entre un électorat urbain sensible à l'amélioration de la qualité de vie en ville et des maires audacieux et volontaristes, sensibles eux aussi à ces questions. Ces maires ont visité les villes européennes, dont certaines étaient en avance dans la mise en place des pratiques responsables, et se sont inspirés de ce qui se faisait ailleurs… Petit à petit, dans les années 2000, une vision de la ville écologique a pris forme et a commencé à influencer les politiques locales. Pour l'heure, ces transformations ont surtout donné des résultats dans les cœurs de ville, beaucoup moins en périphérie.

La tendance est cependant bien à un territoire urbain résilient, capable de surmonter les crises ?

J. H. Indéniablement. Cette idée a pris de l'importance à partir de 2008, à la suite du choc économique provoqué par les subprimes. Michael Bloomberg, le magnat des médias qui était maire de New York à l'époque, a rapidement mis en place des éléments de résilience financière. Il ne voulait plus dépendre des cours de la Bourse, qui sont par nature aléatoires. Peu après, dès 2010, un club des villes résilientes a vu le jour, avec notamment Londres, Paris et New York. La théorie des villes globales, qui dominaient l'économie mondiale et étaient réputées invulnérables, avait pris du plomb dans l'aile. Il fallait désormais que les grandes métropoles puissent garantir leur autonomie alimentaire et énergétique. C'est à cette époque que le concept d' « écorégion », caractérisé par un périmètre de 100 kilomètres autour des villes pour les approvisionner en nourriture et en énergies renouvelables, a vu le jour. Il y a cependant encore beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre cette résilience. Encore aujourd'hui, la mobilité urbaine dépend à 90 % du pétrole.

Les villes peuvent-elles réellement devenir autosuffisantes et résilientes ?

J. H. : La volonté de les rendre moins dépendantes, voire non dépendantes, d’approvisionnements extérieurs est bien réelle. Ce n'est cependant pas possible à l'échelle d'une mégapole. Si Paris voulait être autosuffisante pour son alimentation, il faudrait que ses cultures agricoles s'étendent sur un rayon de 150 kilomètres, jusqu'à Amiens. Rappelons que pour nourrir un citadin, il faut 4 000 mètres carrés de terrain.

Les villes moyennes, en revanche, peuvent générer localement une grande partie de leurs ressources. C’est une question de taille, mais pas seulement. Rappelons que la politique joue un rôle déterminant pour accélérer la durabilité urbaine. Au Danemark, les communes sont responsables de la production et de la distribution des énergies renouvelables, ce qui leur garantit le pouvoir de décision pour mettre en place ces solutions. En France, notre schéma reste très jacobin, avec une poignée de grands groupes qui contrôlent tout le réseau.

Grâce à la réglementation thermique 2020, qui est entrée en vigueur début 2021, les villes ont cependant un atout pour accélérer vers les énergies renouvelables, ne serait-ce que dans le bâtiment…

J. H. : Ce n'est pas aussi simple que ça. Cette réglementation ne concerne que les nouvelles constructions qui ne représentent que 1 % du parc immobilier. En 2050, ces nouvelles constructions pèseront à peine 20 % du bâti. Le problème est ailleurs. En France, la commercialisation de l'énergie reste, encore aujourd'hui, dans une logique de prix bas. Si on veut que les Français investissent dans le renouvelable, il faut nécessairement augmenter le prix de l'énergie. Revenons au Danemark, où l'électricité est deux fois plus chère que chez nous. Cette politique tarifaire a pour avantage de permettre, grâce aux taxes, de financer la transition tout en incitant fortement les particuliers à opter pour des solutions plus économes. Et ça marche.

Avec la stratégie bas carbone, dont les objectifs de réduction des émissions ont été fixés par le gouvernement à 2050, les politiques territoriales ne visent-elles pas malgré tout en priorité la décarbonation urbaine ?

J. H. : Certainement, mais ailleurs en Europe, des villes comme Göteborg ont fixé ces mêmes objectifs à 2030. Rappelons que les villes du nord de l'Europe ont été les premières à s'engager dans cette voie. Les villes françaises ne sont clairement pas en tête de ce mouvement. Et il ne suffira pas d'inciter les gens à s'équiper en panneaux solaires pour faire baisser efficacement les rejets de CO2 dans l'atmosphère. Il faut prendre en considération un ensemble de problématiques, car le bas carbone ne concerne pas que l'habitat. Ce qui doit primer, c'est la façon dont les territoires sont organisés pour réduire leur consommation d'énergie. Pour y parvenir, les leviers sont les mobilités douces, la composition urbaine, en privilégiant notamment un étalement moindre, et la transition localisée vers les énergies renouvelables. Ce sont les trois clés dont les villes disposent pour tendre vers la sobriété.

En parallèle, la numérisation des métropoles est en train d'accélérer grâce à la 5G et à l'IoT, ce qui semble en parfaite contradiction avec la sobriété énergétique…

J. H. : Certes, mais il faut relativiser cette digitalisation. Pour l'instant, le concept de la smart city, cette ville intelligente entièrement gérée par la data et apte à régler tous les problèmes, n'a pas du tout convaincu. Il s'est fracassé sur le mur de la réalité. L'apogée de cette désillusion a eu lieu en 2020, lorsque Google a obtenu la maîtrise d'ouvrage d'un gigantesque quartier technologique de 5 hectares à Toronto, et que la population a rejeté le projet parce que son modèle économique consistait essentiellement à vendre les données des habitants. À ce jour, les géants du numérique n'ont pas apporté la preuve de leur capacité à accélérer vers le bas carbone, ce qui ne peut que générer de la défiance à leur égard, notamment de la part des élus locaux. La démonstration n'a pas été faite que les GAFAM pourraient sauver les villes.

Il y a cependant des initiatives intéressantes… Le transport urbain autonome est une solution dont les élus peuvent s'emparer. La technologie est mature. Desservir les zones rurales grâce à des navettes sans conducteur permettrait de repenser entièrement l'aménagement des territoires. Le numérique est malgré tout porteur de solutions pour décongestionner les grandes villes et faire baisser leur niveau de pollution, mais encore faut-il qu'elles ne soient pas appliquées au détriment des habitants.

Avec la crise sanitaire, beaucoup de citadins souhaitent quitter les métropoles. Va-t-on assister à un désengorgement des grandes villes ?

J. H. : Les statistiques nous disent que 60 % des Franciliens veulent partir de la région parisienne. Le Covid a accéléré une lassitude qui existait déjà avant la crise sanitaire. Les cadres ne veulent plus travailler dans un open space surpeuplé, après avoir pris un RER bondé, tout cela pour se payer un tout petit appartement dans un quartier périphérique. Les tours de la Défense commencent à se vider. Le modèle parisien ne fait plus nécessairement rêver. Je pense qu'il va y avoir un retour vers les villes moyennes. À Nantes, une métropole à deux heures de Paris où on peut aller vivre en famille dans des biens immobiliers peu onéreux, il n'y a déjà presque plus rien à vendre…

Avec le télétravail, ce mouvement va s'accentuer et pourrait toucher des villes plus petites, comme Angers ou Saumur. La clé, c'est le passage à trois jours de distanciel au lieu de deux, ce qui favoriserait la bascule. À terme, les métropoles qui tireront leur épingle du jeu seront celles qui proposeront une offre intermédiaire entre nature et culture, en incluant tous les services urbains et une réelle qualité de vie.

Cette interview est extraite du Livre des Tendances de L'ADN 2022, 20 secteurs-clés de l'économie décryptés

À lire :
Jean Haëntjens, Le Pouvoir des villes, Éditions L'Aube, 2008
Jean Haëntjens, La Ville frugale, Éditions FYP, 2011

Arnaud Pagès

Après des débuts à Technikart à la fin des années 90, Arnaud Pagès rejoint la rédaction de Clark Magazine au début des années 2000, puis devient journaliste indépendant pour de nombreux magazines, dont Nova Mag, Konbini, Vice, Usbek & Rica et Slate. Il rejoint L'ADN en 2019 en tant que rédacteur en chef indépendant des Livres de tendances.
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