Statue féminine avec portable dans la main sur fond d'orage

Télécom et climat : y a-t-il de la friture sur la ligne ?

© Denise Duplinski et Brandon Morgan

Cloud, 5G, IA, IoT… Le nouveau virage technologique des télécoms se traduit par une multiplication sans précédent des appareils et des services. Et les enjeux écologiques dans tout ça ?

Nouvelles fonctionnalités, sécurité, rapidité, efficacité… En 2021, les consommateurs attendent toujours plus de leurs smartphones. La crise sanitaire est passée par là. Les différents confinements ont eu pour effet d'acculturer de façon extrêmement rapide une grande partie de la population à une gamme élargie de services et d'applications. Selon le dernier baromètre du numérique de l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques), 84 % des Français de 12 ans et plus possèdent désormais un smartphone, soit 4 % de plus qu'avant le Covid. En parallèle, 24 % des personnes interrogées déclarent être devenues familières des enceintes connectées, soit une augmentation de 12 %, et 79 % font un usage quotidien des messageries instantanées.

De fait, la généralisation du télétravail, l'obligation des cours à distance, la croissance rapide de l’e-commerce et l'intensification des échanges interpersonnels en ligne ont changé la physionomie du marché. Désormais, l'augmentation de la vitesse de navigation et de téléchargement, la personnalisation des applications, les assistants virtuels, les commandes vocales et les objets connectés sont davantage plébiscités par les consommateurs. Pour les constructeurs, ces évolutions tracent les contours d'un nouveau cap technologique, celui d'un smartphone toujours plus rapide, plus puissant et plus serviciel.

Pour autant, cette accélération apparaît de moins en moins compatible avec l'air du temps, car en parallèle, les enjeux liés à l'écoconception, à la sobriété énergétique et à la responsabilité environnementale ont eux aussi pris de l'importance. Comment résoudre cette contradiction ?

Nouveau cap

Il semble bien loin, le temps où, le 9 janvier 2007, Steve Jobs présentait sa dernière prouesse technologique à un parterre de journalistes triés sur le volet : l'iPhone 2G était né, et signait la convergence de la téléphonie mobile et d'Internet dans un seul et même appareil portable. À l'époque, il était difficile de mesurer l'impact de cette innovation et le changement de paradigme qu'elle allait enclencher chez les acteurs des télécommunications. Une quinzaine d'années plus tard, le constat est sans appel. Dans le monde, 4,5 milliards de personnes possèdent actuellement un smartphone, et 73 % des connections à Internet se font grâce à lui, selon une étude de We Are Social.

D'après un rapport du cabinet Strategy Analytics, 340 millions de smartphones ont été vendus au cours du premier trimestre 2021, et l'arrivée de la 5G pourrait permettre d'en écouler 500 millions supplémentaires. Ce succès s'explique par la montée en puissance permanente des possibilités qu'offre cet outil digital hors du commun. Au fil du temps, les applications n'ont cessé de se diversifier, alors même que la vitesse de connexion et que les capacités de stockage augmentaient. Le smartphone trône au panthéon des outils digitaux.

Pourtant, une nouvelle étape pourrait bientôt être franchie grâce aux objets connectés. En effet, le déploiement rapide de la 5G, qui possède tous les atouts pour accélérer l'IoT, est en train de doper ce marché qui se développe actuellement dans tous les secteurs d'activité. D'après le cabinet d'études IoT Analytics, il y aurait actuellement près de 12 milliards d'objets connectés en service dans le monde, et ce chiffre augmente de 20 % tous les ans. En France, le chiffre d'affaires du marché a augmenté de 59 % entre 2019 et 2020, selon une étude de Statista.

Étant capable d'activer un grand nombre d'applications, le smartphone est devenu indispensable pour les écosystèmes IoT. Il est la télécommande des objets connectés. Ce nouveau rôle promet de le rendre toujours plus innovant, avec une implémentation plus forte de l'IA, une connexion étendue au Cloud et des couches supplémentaires de big data et de machine learning. À bien y regarder, ce n'est pas forcément une bonne nouvelle, car ces évolutions signifient toujours plus de données et toujours plus d'algorithmes pour les exploiter, afin de générer toujours plus de nouveaux services. En s'inscrivant dans une logique de croissance exponentielle des usages, cette inflexion ne peut qu'aggraver la crise climatique. Pour autant, depuis peu, les lignes semblent être en train de bouger.

Appareils vertueux

2021 pourrait être l'année où les acteurs des télécommunications ont enfin pris la mesure des enjeux climatiques. C'est en tout cas ce que l'on pourrait croire avec l'annonce d'un partenariat inédit entre le coréen Samsung, plus grand fabricant de smartphones au monde, et l'opérateur allemand Deutsche Telekom. Ces deux géants ont décidé d'unir leurs forces pour développer un smartphone 5G respectueux de l'environnement, qui devrait être commercialisé fin 2022. Concrètement, il s'agit de proposer un appareil facilement réparable et doté d'une batterie amovible pouvant être remplacée quand elle arrive en fin de vie. L'objectif est que les consommateurs puissent utiliser beaucoup plus longtemps leur smartphone, et le remplacer moins souvent. C'est peu ou prou ce que propose le constructeur néerlandais Fairphone depuis déjà quelques années…

Et pour enfoncer le clou, Samsung a déclaré s'être engagé dans une trajectoire responsable, en adoptant des processus de conception écoresponsables et en limitant les substances nocives pour l'environnement dans ses composants. Les autres acteurs misent quant à eux sur l' « eco rating », et la possibilité donnée aux consommateurs d'évaluer l'impact d'un appareil.

Ces initiatives vont dans le bon sens. Pourtant, elles sont largement insuffisantes. Si les acteurs des télécommunications font des efforts, cela ne vaut que si ceux-ci ne compromettent pas leurs profits. Et cette ligne rouge ne saurait être franchie. Le virage des constructeurs vers le vert ressemble plus à un écran de fumée qu'à une tentative de redirection écologique.

Haro sur la pollution numérique

Réformer le smartphone pour en faire un objet respectueux de l'environnement est une chose, s'attaquer à la vraie nature du problème en est une autre. Alors que la consommation des vidéos HD, particulièrement énergivores, ne cesse d'augmenter sur les plateformes, et qu'elle est même sur le point de franchir un nouveau cap avec la 5G, un autre phénomène pourrait contraindre les principaux acteurs à revoir leurs plans. Sous la pression climatique, la pollution numérique est désormais considérée comme un problème environnemental majeur, car le vrai moteur du marché reste l'usage plus que l'outil physique en lui-même. Et si l'on se penche sur les chiffres, les raisons de s'inquiéter sont réelles.

Selon l'étude de l'Ademe La face cachée du numérique, parue fin 2019, un smartphone équipé d'une technologie 4G consommerait jusqu'à 7 kW d'électricité par heure, ce qui revient à laisser une ampoule allumée pendant cent heures. D'après un rapport d'Huawei, rendu public en 2021, la 5G pourrait être 300 % à 350 % plus gourmande en énergie. Un gouffre énergétique. Et il y a encore pire.

Toujours selon l'Ademe, un e-mail génère 19 grammes de CO₂ lorsqu'il est envoyé seul, et 275 grammes lorsqu'il est accompagné d'une pièce jointe de 1 Mo. Or, il s'en échange 300 milliards chaque jour dans le monde en 2021. La 5G, avec son débit hyper-puissant, promet de tirer ces chiffres vers le haut. Autre sujet d'inquiétude, les data centers, qui prolifèrent avec le développement du Cloud, avaleraient d'ores et déjà 10 % de l'électricité produite en France.

À ce jour, sur ces différents points de tension écologique, les constructeurs ne prévoient, au mieux, que des mesurettes. Et la critique envers le smartphone, et plus particulièrement envers la 5G, se fait de plus en plus vive. Alors que la moitié des émissions de CO₂ imputables au secteur provient des usages, clé de voûte de la croissance économique des différents acteurs, le problème est désormais pris au sérieux par les institutions. L'Arcep a récemment été dotée de nouveaux pouvoirs pour restreindre l'augmentation de l’empreinte carbone du digital.

De fait, tout indique que la sobriété pourrait être le prochain grand défi des télécommunications. Et pour y parvenir, une très nette réduction de la consommation digitale semble indispensable. Pourtant, le secteur se dirige dans la direction opposée, car l'accélération des technologies favorisera la commercialisation de produits et de services toujours plus diversifiés. Alors que la question écologique prendra de l'ampleur à mesure que le réchauffement climatique deviendra plus palpable, toute la question est de savoir comment la réduction des flux digitaux pourra être opérée sans pénaliser les entreprises, ni les consommateurs. Cette décélération est en tout cas nécessaire, et elle pourrait être le grand levier de transformation du marché dans les années qui viennent.

Cet article est extrait du Livre des Tendances 2022 de L'ADN

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