Entre anxiété, abondance de franchises et intelligence artificielle, de quoi demain sera-t-il fait ? Une ébauche de réponse en 3 néologismes.
L'agence américaine Day One s'est penchée sur la question. Dans son Predictionary 2023, un rapport mi-dictionnaire, mi-prédictions, elle dresse la liste des néologismes qui captureront probablement l'ambiance de l'année à venir, entre surdosage de contenus TikTok, essor de l'IA conversationnelle et appétence pour les écrans.
AI-nxiety
La définition proposée : malaise éprouvé face aux ramifications globales de l'IA sur la créativité et l’ingéniosité humaine. L’appréhension que soulève le fait de se demander si ce que vous voyez est créé par l'homme ou la machine.
Le contexte : Les IA génératives ont affolé un peu tout le monde en 2022, des artistes aux journalistes en passant par les enseignants et les chefs de projets ayant la flemme de rédiger des présentations à l'attention de leurs équipes. Grâce à des générateurs d'images comme DALL-E 2, Stable Diffusion et Midjourney, il est possible de proposer des illustrations de tout et n'importe quoi à partir de prompts aussi courts que des tweets ( « Que montreraient les vidéos de surveillance de l'assassinat de Jules César ? », etc.) Pendant ce temps, les générateurs de texte comme ChatGPT (et bientôt Bard, dont Google vient d'annoncer le lancement) peuvent générer des réponses à des questions aussi diverses que « Pouvez-vous inventer une émotion ? » ou « Racontez-moi une histoire où Donald Trump ridiculise Prométhée ». Il y a sans doute plusieurs diverses considérations éthiques, philosophiques, économiques et les implications culturelles à prendre en compte alors que les IA génératives s'infiltrent un peu partout, estime Day One. Un VC diplômé du MIT a même comparé OpenAI à « un virus [qui] a été libéré dans la nature sans se soucier des conséquences », qu'elles soient morales ou économiques. (Ce n'est pas les Luddites, enclins à vouloir casser les machines pour préserver leur emploi et mode de vie, qui diront le contraire.)
Tiktokocene
La définition proposée : l'ère culturelle durant laquelle TikTok exerce une influence dominante sur la culture : un moteur et prescripteur du goût, de la célébrité, de l'actualité et de la consommation qui peut survivre à l'existence de l'application.
Le contexte : difficile d'imaginer un pan de la culture qui n'ait été chamboulé par TikTok et son algorithme sismique ultra personnalisant, modulant sans fin la façon dont les jeunes s'habillent, parlent et consomment, et influençant les cycles de tendances comme personne. L'ère du Tiktokcoène devrait, d'après Day One, tout d'abord chambarder l'industrie de la musique, que l'on parle distribution, redevances et recettes publicitaires. Ole Obermann, le responsable mondial de la musique de TikTok, a estimé que « la musique utilisable par les marques pourrait représenter un milliard, voire plusieurs milliards en très peu de temps ». Côté chiffre d'affaires, les achats in-app, soit les achats effectués au sein même de l'application, ont établi des records. Sur l'application, le dispositif des TikTok coins (les pièces de monnaies TikTok) permet aux créateurs de monétiser leur contenu en proposant différents niveaux d'abonnement, une tendance qui selon l'agence américaine devrait se développer rapidement en 2023.
Fratigue
La définition proposée : lassitude des franchises. C'est la loi des rendements décroissants du divertissement : quand le roulement constant et inévitable des spin-off génère l'épuisement au lieu du battage médiatique.
Le contexte : Oui, nous avons vibré devant la mini-série WandaVision et le préquel House of Dragons. Mais tout cela n'irait-il pas trop loin ? « Nous vivons actuellement une période sans précédent de création de contenus », souligne Day One. Grâce à une profusion d'outils, produire de la musique, des films et de l'art n'a jamais été aussi accessible. Pourtant, la production semble tristement homogène et stagnante, alors que spin-offs, franchises et reboots ne cessent de gagner du terrain sans les salles de cinéma (Top Gun : Maverick, Black Panther : Wakanda Forever, et Avatar : la Voie de l'Eau...) et sur les plateformes comme HBO, Disney+ et Amazon (Andor, Le Seigneur des Anneaux : les anneaux de pouvoir...) Une situation que l'auteur Matt Klein décrit comme « le paradoxe de la création. » Cette homogénéité ne se cantonnerait pas au divertissement, comme le montre le récent essai du magazine n+1 intitulé Pourquoi est-ce que tout est si moche ?, fustigeant l'uniformisation de l’architecture et de la fabrication des produits bon marché. Pour les auteurs, le même phénomène s'observe à la télé et dans le cinéma, où la « propriété intellectuelle recyclée est devenue un investissement financier sûr privilégié au détriment d'une narration au potentiel plus ambitieux qui n'a pas encore fait ses preuves. » Ad nauseam.
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