
Pour échapper à l'âpreté du quotidien, les boomers regardent la télé. Les millennials, eux, s’oublient devant un film. Quant aux ados de la génération Z, ils et elles changent littéralement de réalité – le tout sans avoir recours à la technologie. Témoignages.
Aller à l’école, voir ses amis, se prendre un zéro en maths, tomber amoureux… Depuis plus d’un an, la vie des ados est au point mort. Leurs perspectives d’avenir, embrumées de discours inquiets et de restrictions liées à la pandémie, sont loin d’être à l’ordre du jour. Alors, pour échapper à un quotidien difficile à supporter, certains s’en remettent à leur imaginaire en se projetant quotidiennement dans des univers fantasmés.
De simples rêveries adolescentes ? Pas vraiment puisqu’il s’agit littéralement de changer de réalité ou plutôt de “shifter” vers des univers désirés, décrivent Dani, Smera et Sariah, trois jeunes Américaines d’une quinzaine d’années qui ont accepté de témoigner. Elles ne se connaissent pas, mais côtoient, en ligne, les mêmes communautés où l'on partage ses techniques pour accéder à des réalités alternatives par la pensée, le plus souvent via des scénarios préalablement orchestrés. Ces techniques, qui s’apparentent à des formes d’autohypnose ou de méditation, fascinent car elles touchent aux états modifiés de conscience.
Échapper à la réalité
« C’est ma mère qui m’a introduite à la pratique. C’est une personne très spirituelle et elle l’a fait de nombreuses fois avant de m'en parler », rapporte Dani, 16 ans. Originaire de New York, l’adolescente qui souffre de dépression explique avoir commencé à changer régulièrement de réalité il y a un an. Son univers de prédilection ? Poudlard, où elle affirme entretenir une véritable idylle avec Drago Malefoy, l’ennemi juré du célèbre sorcier Harry Potter. « Généralement, je “shifte” toutes les semaines, mais cela dépend vraiment de mon emploi du temps. Si j'ai cours le lendemain ou que j'ai beaucoup de travail, je change de réalité, mais seulement pendant un jour ou deux, pour faire ce que j’ai à faire. Ça m’apporte beaucoup de bonheur. »
Changer de vie, d’âge, d’entourage, d’environnement, voire d’apparence : entre un devoir de physique-chimie et le moment du coucher, on se déconnecte de la réalité pour accéder à un monde où tout semble possible. Pour cela, rien de plus simple : il faut s’allonger, fermer les yeux et s’imaginer là où on aimerait être. Sur le papier, la pratique a tout d’une séance de relaxation standard. En réalité, le jeune âge des adeptes et leur façon de ritualiser et de scénariser la pratique est frappante. Certains vont même jusqu’à écrire des scripts entiers sur leur smartphone afin de rendre l’expérience plus immersive. « Changer de réalité m'aide au quotidien, cela me motive à aller de l’avant, nous explique Smera, 15 ans, sur Instagram. Le simple fait de savoir que d'autres réalités existent m’inspire et me donne envie de me tailler une vie sur mesure, ailleurs, si je me lasse de la vie réelle. »
La pratique, pour le moment essentiellement américaine et féminine, a trouvé sa communauté sur TikTok. En l’espace de six mois (nous vous parlions du phénomène en octobre dernier, ndlr), le hashtag #ShiftingRealities a explosé, passant de 170 millions de vues à plus d’un milliard. Même chose sur Reddit où la communauté « Dimension Jumping » compte plus de 40 000 membres, ou encore sur le réseau de communautés Amino où l’on recense plus de 99 000 membres au sein du cercle privé « Subliminal Users ». Fascinée par tout ce qui touche au subconscient, la communauté s’intéresse aux méthodes qui permettent, supposément, de le stimuler.
Quant au vocabulaire employé dans les conversations, mieux vaut avoir révisé ses fiches car les acronymes sont nombreux. CR (current reality) désigne votre réalité de base. À l’inverse, DR (desired reality) concerne celle que vous cherchez à atteindre. Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi la WR (waiting room), sorte de salle d’attente par laquelle vous transitez si vous n’avez pas suffisamment travaillé votre script ou encore la TR (temporary reality), un univers temporaire dans lequel vous pouvez vous exercer au changement de réalité, ou juste passer le temps.
« Des effets puissants »
Avec la pandémie, la pratique semble faire de plus en plus de jeunes adeptes, certains allant jusqu’à décrire des expériences proches du rêve lucide. « J’ai recommencé à “shifter” en août 2020 parce que je voyais de plus en plus de gens le faire, poursuit Smera. J’avais déjà essayé auparavant. Je me rappelle avoir ressenti des effets très puissants, alors j’ai voulu m’y remettre. » Forcée de rester chez elle comme beaucoup de jeunes de son âge, l’adolescente voit la pratique comme une façon de vivre plus intensément. « Je me sens limitée au quotidien par les risques liés au virus, ma vie est au ralenti. Or, quand je “shifte”, je peux scénariser ces risques et vivre une vie pleine d’expériences dans ma réalité souhaitée, au lieu de passer ma journée à ne rien faire d’utile ici. »
En ligne, on s’échange astuces et méthodes pour transiter vers le monde de son choix. Certaines vont même jusqu’à mettre à disposition des scripts sous la forme de templates pour aider leurs pairs à bâtir leur univers. « Il y a une infinité de méthodes, mais chacun le fait à sa manière, décrit Dani. Ce qui fonctionne le mieux chez moi, c’est un mélange de la méthode du train et du corbeau. » Kezako ? « En général, je m’allonge dans une position confortable et je ferme les yeux. Je m’imagine dans un train qui roule vers ma réalité. Puis je m’assois et je compte jusqu’à 100. Lorsque j’arrive à mon arrêt (ma réalité), je peux descendre du train, sur le quai. Et quand j’ouvre les yeux, j’y suis. »
Besoin de spiritualité
Outre la trame d’une histoire que l’on peut créer de toutes pièces, c’est l’aspect mystique, voire ésotérique, de la pratique qui attire. « Pour m’aider à basculer, j’écoute des vidéos de musique subliminale sur YouTube, commente Sariah, 13 ans. Je m’allonge, me détends et vide complètement mon esprit en essayant de ne pas m’endormir. » Ces dernières années, ces vidéos censées « reprogrammer » notre cerveau au travers d’affirmations positives inaudibles font un carton. Avoir confiance en soi, attirer la chance et le bonheur, perdre des kilos… avec cette méthode aussi, tout semble possible. Et tant pis si celle-ci est controversée.
Quand on lui demande pourquoi elle “shifte”, Sariah hésite. « Je ne sais pas trop pourquoi… Parfois, c’est juste qu’il y a trop de choses que j’ai du mal à gérer. Je suppose que c’est une bonne façon de m’éloigner de cette réalité... » On commence à le comprendre, “shifter”, c’est mettre le monde en sourdine pour se retrouver, se raconter des histoires. Mais n’y a-t-il pas un risque à préférer se terrer dans une réalité alternative plutôt que de vivre sa vie ?
« Ce n’est pas dangereux si cela reste ponctuel, commente le docteur en psychologie et clinicien Thomas Villemonteix. Écrire, se raconter des histoires, expérimenter les rêves lucides... cela relève de l’introspection. Quand, en plus, on est enfermé et qu’on a tendance à être anxieux, on cherche des solutions en voyageant en soi », et d’ajouter : « on parle aussi d’une génération qui est confrontée à une réalité aux dimensions très perturbantes : entre la pandémie, les questions écologiques et l’avenir de la société…, il y a un besoin d’évasion qui est compréhensible. » Un constat que certains de leurs centres d’intérêt corroborent. Libération de la parole autour de la santé mentale, techniques de développement personnel, cartomancie et tarot divinatoire, psychologie et penchant pour le genre du True crime… On pioche ici et là et de communauté en communauté pour trouver ce qui fait du bien. Le dénominateur commun ? La recherche de nouvelles perceptions et sensations.
Des sciences occultes... à la CIA
Selon Thomas Villemonteix, les plateformes de streaming ne sont pas en reste. « Beaucoup de séries et de films parlent de ces nouveaux rapports à soi, de la manière dont on peut hacker son cerveau », analyse le psychologue qui dénote, chez sa patientèle et dans la recherche, un intérêt croissant pour le champ des transes hypnotiques. « C’est la recherche d’un ersatz de spiritualité, de quelque chose qui va au-delà de ce que l’on vit au quotidien. Sur Netflix, je pense notamment à la série Maniac (2018). » Interprétée par Emma Stone (Annie) et Jonah Hill (Owen), elle raconte le destin de deux inconnus participant à une expérience clinique pour se libérer de troubles psychiques. Sur la même plateforme et à l’extrémité du spectre, on trouve aussi l’émission documentaire Goop de l'actrice Gwyneth Paltrow qui aborde, pêle-mêle, des sujets controversés comme les psychédéliques, l’exorcisme, la guérison énergétique et les médiums.
Dani, peut-être la “shifteuse” la plus chevronnée du lot, a fouillé le Web de fond en comble pour mieux comprendre sa pratique. Elle évoque même un rapport de la CIA, « Gateway », dont le sujet d’étude touche aux techniques d'altération de la conscience humaine et à la perception du temps et de l’espace. Commandé par le Pentagone dans les années 80, il avait été déclassifié en 2010 et fascine les utilisateurs de TikTok qui tentent de le décrypter à coups de feuilletons vidéo.
@abby_careyyy It’s about time this is general knowledge ##mystery ##gateway ##cia ##research ##learnontiktok ##fyp ##foryoupage ##gatewayprocess ##monroeinstitute ##explained
« La connaissance vient avec l’expérience et les recherches, commente l’adolescente. Tu ne changes pas seulement de réalité pour échapper à tes mauvais jours, c'est bien plus profond que ça d'une certaine manière ». Entre sciences, pseudosciences et spiritualité, ce sont de nouvelles croyances que ces jeunes semblent vouloir se forger – à mi-chemin entre mondes physique et virtuel, seuls dans un coin de leur chambre, mais étonnamment toujours ensemble.
Ce n'est pas nouveau, loin de là. Je fais ça, voyageant d'un univers à l'autre, depuis ma petite enfance alors que j'ai 57 ans
Je suis d'accord avec le commentaire précédant. Ce n'est pas nouveau et ne concerne pas uniquement la génération Z (Ni une pratique qui vient forcément d'Amérique).
J'ai 34 ans et je fais ça depuis mon enfance.
Vous pouvez également vous renseigner sur la Rêverie Compulsive (maladaptive daydreaming) qui est assez similaire (le professeur Eli Somer l'étudie).
Car quand cela prend le pas sur la vie réelle cela devient un trouble psychologique...
27 ans et je fais ça depuis gamine, faut se renseigner c'est pas d'aujourd'hui... Juste popularisé par les réseaux sociaux.
J'en ai entendu parler il y a peu mais je ne connais pas les répercutions qu'il peut y avoir. J'ai entendu dire que nous faisions un "pacte avec le diable" et que lorsque l'on dort, nous serions remplacés par un clone. Je ne crois pas en cela mais juste pour être sûre, cela est-il dangereux??
Jai 112 Ans et je fait ca depuis mes 1 ans
;D
non c'est est faux, mais en effet cela peut avoir des répercutions comme de la fatigue, et des points négatifs( accro, baisse de confiance en soi, etc) sinon pour le diable c'est TOTALEMENT faux, sinon ce n'est vraiment pas dangereux
j'ai 37 ans mais tout vas mieux depuis que je suis à Poudlard avec la vieille.
Je fais ça depuis que j'ai 6 ans et j'en ai 44 ans. On a juste mis un nom sur une pratique vielle comme le monde et aussi taboo que la masturbation...
J'ai eu cette pratique pendant plus de 15 ans et j'appelais cela un voyage astral..j'allais où je voulais et je parcourait de grandes distances au dessus de paysages magnifiques.Un jour j'ai eu le plus grand mal à redescendre et à réintégrer pon corps j'ai eu très peur et depuis je ne pratique plus..
Tu fais ça avant d’être mature je crois. Mais certains ne deviennent jamais matures.
Oui c'est exactement ce qui se passe. C'est très dangereux car en fin de compte ça nuit plus que ça n'aide vu que la plupart finissent par avoir une forte dépression et des envies suicidaires
Au lieu de vivre dans le déni et de ce forgé une réalité rêvé, on devrait travailler a rendre notre réalité durable et respectueuse de la vie. Cette pratique insulte Ymir
J'ai une amie qui le fait et elle est très contente ça l'aide beaucoup et moi je me prépare à essayer mais je ne pense pas que cela soit dangereux cela peut être comparé à un rêve lucide
J'ai 36 ans et j'ai pas attendu Tik tok pour le faire. La pratique doit être aussi ancienne que l'humanité elle même. Je vois sa popularisation plutôt comme une preuve de plus que le monde actuel craint et que les ados cherchent à s'en échapper à tout prix.
merci oui c'est vrais je m'appelle Juliette et j'ai 14 ans j'essaye de shift pour échapper a cette réalitée qui devient compliqué a vivre tous les jours