un avatar dans un monde virtuel

« Exode du réel » : mon prestataire événementiel est un jeu vidéo

© Last Horizon Festival

Fortnite organise des concerts et des séances de ciné, Minecraft accueille un festival, la F1 organise des courses virtuelles... depuis le confinement, l’organisation d’événements hébergés en ligne s’accélère et prophétise l’avenir du divertissement et de nos interactions. 

Oubliez la queue au bar, la sudation excessive de votre voisin et les concerts loupés par manque de visibilité. Cet été, c’est avec un casque de VR sur la tête ou simplement en live streaming que vous irez danser.

Imaginez-vous déambuler dans un multivers de salles néo-futuristes. À l’intérieur, vous partez à la rencontre  de vos artistes préférés. Vous retrouvez vos amis ou flirtez avec cet internaute dont l’avatar ressemble étrangement à votre ex. Ici, les identités de chacun sont entièrement personnalisables. Elles « transcendent le sexe, la couleur de peau et les limites du corps ». Ici, vous pouvez être qui vous voulez. C’est en tout cas ce que promettait Lost Horizon, ce festival de musique alternatif et virtuel qui se tenait les 3 et 4 juillet 2020. C’est aussi ce que laissent présager ces événements qui se déroulent intégralement en ligne depuis que salles de concerts et festivals ont fermé.

Un « exode du réel » accéléré par le confinement 

« Il y a comme du Ready Player One dans l’air », commente Stéphane Maguet, directeur de l’innovation chez We Are Social. Sauf que cette fois-ci, c’est bien réel. Ils étaient déjà peuplés avant la crise, mais « il y a eu une vraie renaissance des mondes virtuels pendant le confinement », estime le spécialiste des cultures numériques, en particulier des jeux vidéo qui ont connu en France, au cours de la semaine du 23 au 29 mars, une augmentation d’activité de 38%, rapporte une étude Nielsen. « Visioconférences, streaming, gaming… on a assisté à un exode massif du réel. »

Un terrain propice au déploiement d’événements toujours plus interactifs, dont certains sont hébergés sur des plateformes de jeu en ligne. En mai, 134 000 spectateurs se réunissaient sur Twitch et YouTube à l’occasion de Block by Blockwest, festival de musique lancé par le groupe de rock Courier Club et organisé sur Minecraft. Plus tôt au mois d’avril, plus de 12 millions de personnes se connectaient sur Fortnite pour assister en direct au concert du rappeur Travis Scott. Après y avoir présenté en avant-première la bande-annonce de son prochain film (Tenet), le réalisateur Christopher Nolan y diffusait, en juin, deux autres de ses longs métrages cultes, Batman Begins et The Prestige. De quoi faire trembler le CEO de Netflix qui admet redouter la concurrence farouche de la plateforme (en matière de temps d’écran surtout) aujourd’hui forte de 350 millions de joueurs actifs.

En ce moment, toute une génération d’utilisateurs se forme, sociabilise et se fait des souvenirs de façon virtuelle.

Partout, on tente de retrouver, en ligne, un semblant de vie normale. « Et ce n’est pas prêt de s’arrêter étant donnée la période d’incertitude qui nous attend encore », commente Axel Bonnichon, fondateur de l’agence d’événementiel black lemon. Cela, les marques l’ont bien compris. « Leur besoin d’exister partout - d’abord en digital, puis en physique - est encore plus fort qu’avant, poursuit celui qui a dû « bricoler » en moins de 10 jours un événement virtuel rassemblant 1 000 personnes pour une grande marque de luxe. Stimulées par la crise, les marques redoublent d’inventivité pour engager leurs publics, notamment via l’interactivité du jeu. Sur Fortnite, la nouvelle offre de streaming pour smartphones Quibi en a profité pour faire la promo d’une nouvelle émission dans le drive-in virtuel de la plateforme. Sur Animal Crossing, Nintendo a célébré la Gay Pride avec une « île » arc-en-ciel spécialement conçue pour l’occasion, tandis que Dior, Balenciaga, Fendi ou encore Louis Vuitton y ont fait défiler des avatars aux couleurs de leurs dernières collections.

Mais la période n’est pas la seule responsable de cet engouement. « Aujourd’hui, le jeu intéresse tous les publics, notamment parce que la culture populaire s’est déportée d’Hollywood aux plateformes de la Silicon Valley, explique Stéphane Maguet. En ce moment, toute une génération d’utilisateurs se forme, sociabilise et se fait des souvenirs de façon virtuelle. Certes, les réseaux sociaux y sont pour quelque chose, mais l’arrivée des jeux free-to-play et massivement multijoueurs a accéléré le phénomène. » Et les chiffres semblent aller dans le même sens. Selon une étude menée cette année dans 12 pays d’Europe sur la solitude et les connexions en ligne, 31% des répondants affirment qu’ils trouvent plus facile de nouer des amitiés virtuelles. De même, 30% déclarent avoir davantage de facilité à se sentir eux-mêmes en ligne.

De gigantesque viviers communautaires

Dans ce contexte, les plateformes de jeu deviennent « de gigantesques viviers communautaires, explique Stéphane Maguet. Sans compter qu’elles sont dotées d’une capacité que même les plus grandes salles de spectacle peinent à assumer. » Événement phare du confinement bien que critiqué pour son ambiance « plan-plan », le concert caritatif Together at Home organisé par la star Lady Gaga a rassemblé des centaines de millions de téléspectateurs dans le monde en avril dernier. Il était en partie diffusé dans la salle de concert du jeu en ligne Roblox. 

Au-delà du simple « concert de salon », certains artistes tentent toutefois d’aller plus loin, note Rolling Stone, à commencer par le Français Jean-Michel Jarre dont le concert en réalité virtuelle Alone Together est considéré comme une performance mondiale. Le 21 juin, le parrain de l’électro française mixait en live depuis son studio tout en se présentant sous la forme d’un avatar sur la plateforme VRrOOm. Face à lui se trouvait un public composé d’avatars lui aussi. Filmée en temps réel grâce à des caméras virtuelles, la performance aux accents psychédéliques était parallèlement retransmise sur YouTube, une première quand on sait que les concerts se déroulant à l’intérieur de jeux vidéo sont généralement pré-enregistrés. 

« L’importance du stream est déterminante dans ce genre d’événement car tout le monde n’a pas de casque de VR, note Stéphane Maguet. Il faut pouvoir toucher tous les canaux et niveaux d’engagement. Pour les marques, c’est l’occasion de s’adresser à des communautés et de lancer des conversations. » Mais attention ici à ne pas faire du « sponsoring à la papa », prévient ce dernier, il faut se fondre dans chaque culture et créer des rendez-vous utiles. Comme sur les réseaux sociaux oui, mais au sein d’univers virtuels... au plus près du réel.

La guerre des métavers est déclarée

Alors que le marché du jeu vidéo pourrait dépasser les 200 milliards de dollars d’ici 2023, les mondes virtuels font déjà l’objet d’une guerre entre éditeurs de jeux et géants des réseaux sociaux. « Fortnite, Facebook, Microsoft : tous ont conscience que le temps passé par les internautes dans un métavers - un monde virtuel et parallèle où chacun peut mener une seconde vie - débouche aussi, et surtout, sur des achats, une économie en tant que telle, et des revenus », note Les Échos

Et Facebook pourrait bien remporter la première bataille avec le lancement de Facebook Horizon, un monde extensible en réalité virtuelle dont la première version devrait être testée courant 2020. « C’est la première fois qu’un acteur rassemble le hardware (Facebook rachetait les casques Oculus en 2014, ndlr), le software (la plateforme et son contenu) et d’autre part une puissance d’engagement énorme avec un bassin de plus de 2 milliards d’utilisateurs mensuels, estime Stéphane Maguet. Malgré tous les griefs que l’on peut avoir contre la plateforme, elle va profondément bouleverser nos interactions... »  

Quant à savoir si cet « exode du réel » survivra à la réouverture progressive des lieux physiques, ce dernier n’est pas inquiet : certes, nous perdons en contact humain, mais paradoxalement, « c’est une autre forme de sociabilité qui naît. »

Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
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