Capture d'écran du jeu vidéo Animal Crossing

Mais pourquoi est-ce que tout le monde joue à Animal Crossing ?

© Animal Crossing

Dix-huit ans après la sortie du premier opus, le jeu vidéo Animal Crossing profite du confinement pour faire un retour en force.

« Bonjour, le taux de navets chez moi est à 592. J'ouvre mes portes mais le passage sur mon île se fera 1 par 1. Je ne demande rien en retour mais si vous voulez laisser quelque chose, libre à vous. Envoyez moi un message que je vous donne le code Dodo. Mais attention à mes fleurs ! Il y a des pavés. Marchez dessus, pas sur les fleurs. » Hein ? Quoi, des navets, des fleurs et même de la distanciation sociale ? Mais de quoi parle-t-on ? Du jeu vidéo Animal Crossing, évidemment.

Sur les groupes Facebook dédiés à New Horizons, le nouvel opus de la franchise de Nintendo, des centaines de messages comme celui-ci sont postés chaque jour. En sortant cette nouvelle version le 20 mars – trois jours après le début du confinement en France – l’entreprise nippone a fait fort. Très fort. Et Animal Crossing est devenu le gros phénomène du confinement.

Le jeu vidéo phénomène du confinement

L’engouement pour Animal Crossing est mondial. Avec près de la moitié de la population obligée de rester chez elle, le confinement est évidemment l'ingrédient principal de ce succès. Pour Tracy, 25 ans, c’était même un élément déterminant puisqu’elle nous confie qu’elle n’aurait pas « acheté le jeu, s’il n’y avait pas eu le confinement. » À temps partiel à cause d’une baisse d’activité de son entreprise, elle consacre désormais ses après-midi à progresser dans le monde bariolé d’Animal Crossing.

Mais que fait-on au juste dans Animal Crossing ? Hé bien, pas grand-chose et beaucoup à la fois. Chaque joueur se retrouve propriétaire d’une île peuplée de drôles d’animaux anthropomorphiques. Il doit ensuite la développer comme bon lui semble – malgré un prêt immobilier obligatoirement contracté auprès d’un raton-laveur nommé Tom Nook. Certains, comme Tracy, préféreront s’adonner aux plaisirs de la pêche. D’autres iront faire un tour au musée, s’occuperont de leurs parterres de fleurs ou étofferont leur collection de papillons. La magie d’Animal Crossing, c’est qu’on peut tout y faire. Mais, on n’est obligé à rien non plus.

Le jeu vidéo « doudou » pour faire face à l’incertitude de la crise

Même si les animaux multicolores et dotés de la parole nous donnent parfois l’impression d’être en plein trip de LSD, dans le contexte actuel, on se laisse volontiers porter par l’ambiance naïve et kawaï (mignon, en japonais) du jeu. Pour Flore, 25 ans, qui a joué aux éditions précédentes quand elle était plus jeune, c’est aussi une « madeleine de Proust ». Avec déjà 55 heures de jeu au compteur, elle apprécie cette « projection dans un autre monde où son seul problème est d’avoir des fleurs de couleurs différentes pour créer des parterres multicolores. » Des préoccupations simples, qui rappellent les heures insouciantes de l’enfance.

S’échapper virtuellement du confinement

Animal Crossing permet de s’extraire virtuellement de notre situation de confinés. New Horizons permet même de jouer avec d’autres joueurs. Un vrai plus pour Tracy qui affirme qu’en temps normal, elle n’aurait « jamais payé pour pouvoir jouer en ligne. » De son côté, Flore apprécie le fait de pouvoir interagir avec ses amis dans le jeu « même si ça consiste essentiellement à se montrer mutuellement l’aménagement de nos îles. »

En dehors du jeu, Animal Crossing génère aussi des interactions comme en témoignent les nombreux groupes Facebook où l’on s’échange et se vend toutes sortes d’objets. Sur certains groupes, on spécule même sur le prix des navets afin d’amasser le plus de clochettes, la monnaie locale. Hé oui, il faut de tout pour faire un monde, même virtuel.

En ce moment, l’intérêt de ce monde-là est surtout de nous permettre de nous échapper de notre situation de confinés. Dans les colonnes de Wired, le journaliste Darryn King note que le monde virtuel d’Animal Crossing ressemble plus à ce que nous considérons comme « normal » que ce que nous vivons quotidiennement en temps de confinement. Même les marques se sont prises au jeu. ŠKODA a donc investi l’univers d’Animal Crossing en s’associant avec le Youtubeur Laink.

Et si le « monde d’après » existait déjà sur Animal Crossing ?

Pour Ian Bogost, chercheur en jeu vidéo au sein du Georgia Institute of Technology, l’intérêt d’Animal Crossing n’est pas du tout de s’extraire de notre quotidien pour retrouver nos repères du monde d’avant. Au contraire, Animal Crossing pourrait être ce fameux « monde d’après » que nous tentons tous d’imaginer.

Dans un long article publié par The Atlantic, le spécialiste défend cette thèse en montrant que, dans le jeu, capitalisme et pastoralisme cohabitent sans problème. De même, le bien commun et le bénéfice personnel se s’excluent pas. Tom Nook, le raton-prêteur n’a rien d’un usurier et les joueurs n'ont aucune obligation d'honorer leur emprunt.

Dans ce monde, ceux qui préfèrent amasser les clochettes en exploitant les ressources de leur île ont une expérience tout aussi acceptable que ceux qui n’ont d’autre occupation que de regarder la mer. « On peut faire ce qu’on veut. Chaque action est valide et a la même valeur », résume Ian Bogost.

Animal Crossing serait donc la Terre – virtuelle – de tous les possibles. Et ça, ça fait du bien, quand dans la réalité, nos possibles se trouvent confinés entre les quatre murs de notre salon.

 

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