Dans un récent article, The New York Times critique le secteur de la mode et sa propension à afficher ses engagements environnementaux de façon outrancière. Un dérivé du greenwashing qui tend à masquer les vrais problèmes au profit d’actions souvent anecdotiques…
« Oubliez le streetwear », assène le New York Times dans un article paru le 10 octobre à propos de la Fashion Week. Cette année, de New York à Milan en passant par Paris, la tendance la plus hype était au développement durable. Sur les podiums, marques et créateurs ont en effet redoublé d’inventivité pour proposer des collections et défilés plus verts que verts. Entre verbiage greenwashé et actions concrètes, il faut dire que le secteur de la mode, deuxième industrie la plus polluante au monde, fanfaronne beaucoup au sujet de ses engagements pour la planète. Pour un résultat… en demi-teinte.
La grande compétition du green
La styliste Gabriela Hearst propose le premier défilé neutre en carbone ? Qu’à cela ne tienne. Burberry s’y mettra aussi. Mieux encore : Kering, maison-mère de Gucci, veut être de la partie et promet d’être entièrement neutre en carbone d’ici 2025. Quoi ? Yves-Saint-Laurent a utilisé des bio-carburants pour alimenter les projecteurs de ses podiums ? On applaudit de plus belle. On frémit aussi. Surtout quand Marine Serre nous parle du cataclysme écologique qui nous attend avec son défilé recyclé Marée Noire, présenté lors de la Fashion Week de Paris.
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À l’heure où parler d’engagement et de transition écologique devient une tendance incontournable, les marques ne craignent plus du tout d’être accusées de greenwashing, commente le New York Times. L’engagement ostentatoire est presque devenu obligatoire. Le hic ? Les marques semblent s’attaquer à n’importe quelle bataille sans formaliser de mission concrète sur le long terme. C’est d’autant plus vrai pour le secteur de la mode, où « tout est en train de tourner à la compétition », commente le consultant en développement durable Burak Cakmak au quotidien new-yorkais. Une compétition stérile qui masque les vrais enjeux du secteur.
« L’écologie n’est pas une tendance »
Certes, communiquer sur ses engagements écologiques peut avoir du bon. « Même si c’est un effet de com, c’est toujours bon à prendre. Cela veut dire qu’il y a une prise de conscience », nous expliquait Stéphanie Calvino, styliste et instigatrice des rendez-vous Anti_Fashion à Marseille. Pour autant, les effets de cette posture peuvent être pernicieux, voire déroutants pour les consommateurs. À force de « glamouriser » l’éthique, c’est le sens des priorités que l’on perd de vue et les vrais problèmes que l’on relègue au second plan.
Exemples. « Le système de compensation carbone n’est-il pas un autre moyen de continuer à surproduire ? », questionne le New York Times. « C’est génial, les matériaux sont fabriqués à partir de fibres recyclées, mais comment est-ce qu’on les recycle maintenant ? Cela ne crée-t-il pas un flot continu de questions sur la capacité de l’industrie à faire passer la planète avant la production ? », poursuit le quotidien américain. Que dire d’une enseigne comme Zara qui promet des « collections durables » d’ici 2025, mais « continue de produire sur un modèle de 52 collections par an ? », ajoute Stéphanie Calvino. C’est à croire que l’on fait exprès de ne pas prendre le problème à la racine…
Quand le bon sens fait défaut
S’attaquer aux mauvais enjeux, préempter une cause qui ne contraint pas au changement pour passer entre les mailles du filet… la mode est loin d’avoir le monopole de « l’éco-bragging » selon les termes du média ( « bragging » = « se vanter » en anglais), ce dérivé du greenwashing qui consiste à étaler ses exploits en matière d’engagement écologique sans réellement se mouiller.
Exemple ? Lorsque Pornhub lance des campagnes militantes pour sauver les abeilles et nettoyer les océans, la marque occulte le problème qui la concerne : la pollution numérique, en particulier celle causée par le streaming à laquelle les plateformes pornographiques contribuent largement. Lorsque Intermarché affirme vouloir modifier 900 de ses produits pour convenir aux standards de l'application de notation Yuka, la pilule passe déjà un peu mieux : la marque balaye devant sa porte et agit sur son propre secteur, quitte à devoir changer.
Alors, les entreprises peuvent-elles communiquer sur leurs bonnes actions sans se faire basher ? Oui, à condition d’avoir du bon sens, d’accepter qu’il existe de mauvaises pratiques et de chercher activement des solutions... aux vrais problèmes.
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