Pour rendre compte des traces indélébiles de l'Homme sur la planète, les artistes donnent l'alerte. Ils nous parlent de l'Anthropocène soit « l’âge de l’Homme », peut-être le plus sinistre des parcs d’attraction.
Nous sommes en 2015 à Fukushima. Quatre ans après la catastrophe nucléaire, le collectif d'art japonais Chim-Pom investit la zone. La ville n’a pas bougé depuis que ses habitants l’ont désertée et reste inaccessible au public. Eux viennent là pour monter « Don’t Follow the Wind » , une exposition dont personne ne pourra voir les œuvres. En ligne, le site est aussi condamné. Il affiche un simple enregistrement audio intégré sur une page vierge. La prophétie ? Viendra un jour où nous ne pourrons plus rien voir… du tout. Changement climatique, acidification des océans, dégradation des sols, disparition de la biodiversité… Nous le savons, les activités humaines ont des impacts dévastateurs et marquent désormais d’une indélébile empreinte les couches géologiques de la Terre. Bienvenue dans le plus sinistre des parcs d’attraction : l’ère de l’Anthropocène, soit « l’âge de l’Homme ».
L'Anthropocène ou la sidérante laideur de notre œuvre
Popularisé à la fin du XXème siècle par le chimiste Paul J. Crutzen, « le terme Anthropocène s’est depuis répandu dans la littérature scientifique et au-delà », explique Nathalie Blanc, artiste et directrice de recherche au CNRS, spécialisée en environnement. « Dans les années 60, en opposition à la société de consommation, des artistes prenaient déjà le pouls du désastre écologique » . Ils cherchaient à sublimer la catastrophe. « Alors, tout un corpus théorique s’est développé oscillant entre le sacré, la terreur, l’impuissance et la fascination. Il s’agissait de qualifier des événements dont la magnitude dépasse la compréhension humaine. » Les cataclysmes – naturels ou pas – nous captivent autant qu’ils nous pétrifient. Ils iraient même jusqu'à provoquer une « forme de jouissance » chez l'humain. Ainsi, nous assisterions, sidérés et impuissants, à l’écroulement du monde.
De l'art pour nous sortir du marasme ?
Du côté des artistes, la prise de conscience environnementale s’intensifie. « Tout artiste environnemental a à voir avec l’Anthropocène », explique Nathalie Blanc tout en insistant sur la diversité des écritures.
Quand certains s’intéressent à la surface du globe – comme le photographe canadien Edward Burtynsky, pendant sombre de Yann Arthus-Bertrand, qui capture de sinistres paysages industriels vus du ciel – d’autres explorent les fonds marins. Celia Gregory, artiste britannique, sculpte des statues qu’elle immerge dans les océans. Echouées au fond de l'eau, elles se transforment, se couvrent d’algues et de coquillages jusqu’à devenir l’habitat de poissons et de coraux.
Avec son Museo Atlantico formé par des dizaines de silhouettes humaines reproduites en béton au pH neutre, et plongées à 12 mètres de profondeur au sud de l’île espagnole de Lanzarote, Jason deCaires Taylor crée un grand récif artificiel. Ce musée immergé devrait servir à augmenter la biomasse et faciliter la reproduction des espèces de l’île.
« Les artistes ont cette capacité à révéler la poésie de tous ces phénomènes, explique Lauranne Germond, directrice de l’organisme COAL, une association et un commissariat d’exposition mobilisant des artistes et des chercheurs au service de l’écologie. Selon moi, l’enjeu de la reconnexion avec la nature doit passer par là. Certains sujets, comme la biodiversité et le vivant en général bénéficient d’une tradition artistique forte. D’autres sont cependant plus techniques et moins faciles à appréhender pour le grand public ».
La fin du monde ? Je like !
Mais peut-on réellement faire de l’environnement un sujet « sexy » ? Après tout, certains y arrivent.
Sur les réseaux sociaux, les photos sombres et pop du jeune canadien Benjamin Von Wong ont un énorme potentiel viral. Il invite sa communauté à participer à ses projets, souvent vus comme « impossibles à réaliser ». À l’aide d’une cinquantaine de bénévoles et du programme de recyclage de la marque Dell, l’artiste a par exemple sensibilisé l’opinion publique au gaspillage électronique en transformant deux tonnes de e-déchets – câbles, circuits intégrés, souris, claviers – en magistrales œuvres futuristes.
« C’est une question de témoignage, de mise en visibilité de la catastrophe » , ajoute Lauranne Germond. Pour que ça rentre, il faudrait donc jeter un pavé dans la mare de nos fils d’actu ? Déjà, mais pas seulement. « Après, il s’agit de travailler sur le développement de solutions, de se demander comment la pratique artistique peut transformer nos usages », faire de la « sculpture sociale », selon ses termes. De quoi nous faire passer de la sidération à l’action ?
Cet article est paru dans la revue de L'ADN consacrée aux tendances 2019. Pour acheter ce numéro, c'est tout simple, et c'est par là...
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Sur cette problématique, je me permets de vous suggérer la série de dessins que je suis en train de réaliser pour le Muséum d’histoire naturelle de Grenoble Intitulée "Anthropocène" : https://1011-art.blogspot.com/p/planche-encyclopedie.html
Mais aussi par la série « Panta rhei » sur ce même sujet https://1011-art.blogspot.com/p/ordre-du-monde.html