
Un journal allemand décide de « systématiquement révéler l’origine des auteurs d’infraction » . Conséquence : le vote populiste recule.
Lorsque les médias citent la nationalité et l'origine des auteurs présumés d’infractions, les inquiétudes à l’égard de l’immigration se réduisent. C’est la conclusion formulée dans « Immigration et délinquance : réalités et perceptions » par Arnaud Philippe, économiste et enseignant-chercheur à l’université de Bristol, et Jérôme Valette économiste au CEPII, après avoir décortiqué l'expérience menée par un média allemand.
Délinquance et opinion publique
Depuis 1973, le code de presse allemand recommande aux journalistes de ne pas mentionner l’origine des suspects et des coupables, et ce, afin de lutter contre la discrimination. Pourtant, le journal saxe Sächsische Zeitung a indiqué en juillet 2016 son intention de « systématiquement révéler l’origine des auteurs d’infraction, qu’elle soit étrangère ou non ». Ce changement dans le traitement de la délinquance du journal a permis d’étudier l’impact des médias sur la perception d’un lien entre immigration et délinquance. Les résultats montrent que la divulgation de l'origine des suspects et coupables a engendré une amélioration des attitudes des natifs dans la zone de diffusion du Sächsische Zeitung : « Les inquiétudes à l'égard de l'immigration ont ainsi diminué de près de 20 points le semestre suivant le changement éditorial dans la zone de diffusion du journal, par rapport aux zones où le journal ne circulait pas. À partir de cette date, les lecteurs se sont ainsi trouvés exposés à un grand nombre d’articles mentionnant que l’infraction était le fait d’un Allemand », indiquent les auteurs. Un changement de perception qui aurait eu pour conséquence une baisse des intentions de vote pour l'AFD, premier parti anti-immigration en Allemagne.
Traitement médiatique corrosif de l’immigration
Pour comprendre l'opinion publique sur l'immigration en Europe, un groupe de chercheurs s'était déjà penché en 2018 sur le rôle des médias. Dans une étude intitulée « Le discours médiatique européen sur l’immigration et ses effets », l'équipe de chercheurs internationaux avait observé une tendance commune aux médias européens : « Les migrants sont généralement sous-représentés et présentés comme des délinquants ou des criminels. » Ils en avaient conclu que « l’exposition fréquente à de tels messages médiatiques conduit à des attitudes négatives à l’égard de la migration, peut activer les cognitions stéréotypées des groupes de migrants et même influencer le choix de vote. »
Le rôle des mots
Dans le cadre du projet baptisé IMMIGRANTS, projet interdisciplinaire financé par l'Union Européenne, Sylvie Graf et Sabine Sczesny, professeures à l’Université de Berne, en sont arrivées aux mêmes conclusions. Les étiquettes et le langage utilisés pour décrire les personnes, le ton des actualités, la personne prenant la parole (migrants ou experts) ou encore la présence d’images en illustration, influencent les perceptions à l'égard de l’immigration. Dans le cadre de leur étude, l’équipe a créé des « articles de journaux fictifs inspirés de vraies actualités ». Chaque article relatant des événements dits positifs ou négatifs liés à des immigrants italiens en Suisse a été décliné en deux versions : l’une décrivant leur nationalité avec un nom ( « Italiens immigrés » ) et une autre avec un adjectif ( « immigrants italiens » ). L'équipe a constaté que lorsque l’appartenance ethnique ou la nationalité des immigrants était décrite avec un nom, les sentiments des participants à l'étude étaient plus négatifs à l’égard du groupe concerné que lorsqu’ils étaient décrits par des adjectifs.
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