Le consortium de journalistes Forbidden Stories a mis en lumière un incroyable système de désinformation organisé par une entreprise israélienne et passant par le présentateur de BFMTV, Rachid M’Barki.
C'est un scandale comme on en voit peu dans le milieu du journalisme. Après une enquête de plusieurs mois, le consortium de journalistes Forbidden Stories composé de Frédéric Métézeau de France Inter, Gur Megiddo, journaliste israélien pour The Marker et Omer Benjakob, journaliste israélien pour Haaretz, a dévoilé l'existence d'un vaste réseau de désinformation impliquant le présentateur Rachid M’Barki de la chaîne de télévision BFMTV ainsi que Jean Pierre Duthion, un lobbyiste et intermédiaire bien connu des journalistes. Décryptage
Que reproche-t-on à Rachid M’Barki ?
D'après cette enquête intitulée « Story Killers, au cœur de l'industrie mortelle de la désinformation », Rachid M’Barki aurait diffusé durant les journaux de nuit des brèves qui n'auraient jamais été validées par la rédaction de BFM. Ces informations prenant la forme d'un texte factuel d'une quarantaine de secondes accompagné d'images d'illustrations évoquaient différents sujets : critique des saisies de yachts russes, attaque de l'ancien procureur général du Qatar Ali Bin Fetais Al-Marri, ou bien évocation du « Sahara marocain », une dénomination utilisée par le Maroc pour revendiquer la souveraineté très contestée de certaines terres. Passées une seule fois à l'antenne, ces brèves discrètes avaient surtout vocation à être reprises sur les réseaux sociaux afin d'influencer les opinions dans différents pays.
Jean Pierre Duthion, le mercenaire intermédiaire
Suspendu le 11 janvier dernier par sa direction, Rachid M’Barki a reconnu qu'il avait fait passer ses brèves pour « rendre service à un ami » et n'aurait jamais reçu d'argent en échange alors que ce type d'arrangements peut se monnayer dans les 3 000 euros la brève. Ce mystérieux ami qui fournit textes et images clés en main, c'est Jean Pierre Duthion, un personnage que les internautes et les journalistes ont pu croiser sur Twitter au début de la guerre civile en Syrie en 2012 avec son compte @halona. Ce Français expatrié à Damas racontait à l'époque la drôle d'ambiance ainsi que les bombardements qui frappaient la ville. Devenu un incontournable fixeur auprès des médias français, il rentrera en France avec un carnet d'adresses plein de noms de journalistes. Il mettra à profit ces contacts pour une tout autre carrière, celle de lobbyiste. Concrètement, son travail consiste à jouer les intermédiaires entre des journalistes plus ou moins influents et des officines voulant faire passer de la désinformation incognito. Et c'est l'une de ces officines qui est au cœur de l'enquête de « Story Killers ».
La société israélienne qui influence les élections
Surnommée « Team Jorge » et basée dans la zone d'activité située entre Jérusalem et Tel-Aviv, cette structure sans existence légale fabrique de l'influence et de la désinformation pour les plus offrants. Composée d'anciens militaires et d'experts en opérations psychologiques (psyops) et manipulation des réseaux, cette équipe a été montée par Tal Hanan, un ex-militaire israélien qui se dit spécialiste dans la manipulation d'élections (il aurait travaillé sur 33 cas, notamment en Afrique). Team Jorge aurait aussi servi de sous-traitant pour l'entreprise Cambridge Analytica, bien connue pour avoir influencé les scrutins du Brexit et de la présidentielle américaine de 2016. En plus de fournir de fausses informations à des journalistes, ces hackers ont développé des méthodes pour créer près de 40 000 faux profils sur les réseaux sociaux jugés indétectables. Reste à savoir quelle sera la réponse de Meta face à cette nouvelle accusation de faiblesse vis-à-vis d'officines de barbouzes numériques.
Participer à la conversation