En devenant un phénomène mondial, TikTok a mis en avant une émotion bien connue des réseaux sociaux. On vous raconte le cringe, cette sensation de gêne que l’on ressent en regardant des vidéos embarrassantes...
Regarder une série de vidéos TikTok peut s'apparenter à un étrange trip sous acide. On tombe sur des centaines d’internautes de tout âge, répétant les mêmes challenges en boucle avec plus ou moins de talents. Quelques-uns semblent se démarquer et tentent de jouer dans la cour des grands influenceurs. Mais la grande majorité des vidéastes laisse une sensation de malaise. Il s’agit du cringe, et ses effets sont aussi insoutenables qu’addictifs.
En français, le mot cringe pourrait se traduire par une expression « avoir un mouvement de recul » ou le verbe « se recroqueviller ». Mais sur le web anglo-saxon, le terme désigne surtout un sentiment de malaise ou de gêne que l’on peut ressentir fasse à une situation qui nous parait embarrassante. L’une des meilleures illustrations francophones de ce sentiment reste ce vieil extrait de l’émission « le maillon faible ». La vidéo est récemment ressortie sur Twitter, provoquant stupeur, rire et tremblement.
Cette vidéo du Maillon Faible est absolument terrifiante, on dirait un American Horror Story qui a perdu toute limite, je vais me percer les yeux et les tympans puis me défenestrer pic.twitter.com/igfd5rjO1F
— Untz (@Belharraa) 17 mars 2019
Comment le cringe nous fait du bien… en nous faisant du mal
Dans la culture web, le partage de contenus « cringeworthy » est une vieille tendance que l’on trouve sur de nombreux forums de 4Chan à Reddit. L’idée consiste à trouver la vidéo provoquant le plus de gêne possible. Certains internautes assurent que cette sensation de gêne peut être tellement forte, qu’elle provoque une forme de douleur psychologique. Cette impression est d’ailleurs confirmée par la science. En 2011, le chercheur Soren Krach de l’Université de Phillipps à Marburg, en Allemagne, avait découvert que le sentiment de cringe activait dans le cerveau les mêmes zones que lorsqu’on voit une autre personne se faire mal. En d’autres termes, la gêne face à l’humiliation d’autrui serait une forme d’empathie, et elle serait douloureuse.
Si le cringe nous fait du mal, pourquoi sommes-nous accro aux vidéos qui provoquent ce sentiment ? Sur Reddit, quelques internautes ont tenté de répondre à cette question. « Regarder une situation embarrassante jusqu’au bout provoque un étrange frisson, raconte l’un d’eux. Je ne peux pas vraiment l’expliquer, c’est comme une forme de challenge, pour voir jusqu’où on peut tenir. »
Pour d’autres, l’empathie ressentie permet aussi de relativiser les moments embarrassants que l’on a pu vivre. « À chaque fois que je tombe sur une vidéo cringe, je me rappelle la fois ou j’ai appelé un ami "maman" au lycée. Je me dis alors que ce n’était pas aussi grave que ce que j’ai pu voir sur le web et je ressens du soulagement. »
Pourquoi TikTok est devenu un réservoir de cringe
Pendant longtemps, YouTube a été le principal fournisseur de vidéos cringe. Après tout, la plateforme a permis à de parfaits inconnus d’exposer sur la place publique leurs talents artistiques. Les amateurs de vidéos virales se souviennent sans doute de Tay Zonday, le chanteur du morceau « Chocolate Rain » qui est devenu un mème après une prestation plutôt gênante.
Aujourd'hui, la plateforme s’est professionnalisée. Les vidéos amateurs gênantes ont laissé la place aux youtubeurs rompus à l’art du montage et du scénario. TikTok a donc repris le flambeau du cringe. Avec ses karaokés et ses chorégraphies improbables, cette application permet à n’importe qui d’obtenir ses 15 secondes de gloire. L’amateurisme qui en ressort rappelle justement le web des années 2000 et sa galerie de freaks. TikTok a juste industrialisé le processus.
Comme le fait remarquer la journaliste de The Atlantic, Taylor Laurenz, l’app jouit d’une certaine fraicheur que la plupart des réseaux sociaux ont perdu au fil du temps. « Chaque plateforme qui est devenue mainstream était considérée comme étant "moins cool" à ses débuts, explique-t-elle dans son article. Toutes les personnes qui avaient plus de 18 ans et qui utilisaient MySpace, Facebook, Tumblr ou Instagram étaient considérées comme cringeworthy ». Elle rappelle aussi que l’application sert de refuge et de moyen d’expression à des communautés web qui sont généralement moquées. TikTok semble être effectivement la Mecque des fans de cosplay, de furries, de magiciens de rue et autres adultes portant des couches pour bébés. Ils font généralement l’objet de compilations cumulant plusieurs millions de vues sur YouTube... à leurs dépens.
Cringe is the new cool ?
En étant au sommet du cringe, TikTok semble même redéfinir ce qui est cool et ce qui ne l’est pas. Dans un court essai intitulé TikTok: One person’s cringe is another one’s cool, l’écrivain indien Hardik Rajgor explique que TikTok n’est pas vraiment une application mais plutôt une expérience. « C’est une avenue vers un monde différent, explique-t-il. Il n’est pas peuplé par vos amis ou des gens comme vous ou appartenant au même environnement culturel et économique que vous. TiKTok s’est fait une place dans des endroits très reculés et tout le monde peut créer et partager du contenu de manière massive.
Le medium n’a pas de limitation de texte, de grammaire ou de langue dont souffrent les autres médias sociaux. Personne n’essaye de vous montrer à quel point sa vie est mieux que la vôtre. Il y a une tendance qui consiste à considérer le contenu comme étant trop cringe. Il est clair que les vidéos de TikTok ne s’accordent pas avec la qualité des contenus que nous consommons habituellement. Mais le réseau possède un esprit de rébellion contre les soi-disant gardiens des portes du cool et du cringe sur l’internet. Sur TikTok, il y a de la place pour tout le monde et c’est ce qui le rend beau. »
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SOOOO CRINGE ! YOLOOOOOO