la plus connue des artistes ASMR

ASMR : orgasmes, drogues, fétichisme... Et si on arrêtait les idées fausses sur une vraie tendance ?

C'est l'une des premières subcultures made in Youtube. L'ASMR rassemble des vidéos super bizarres où l'on chuchote, bruisse et vous endort - pour le plus grand bonheur des insomniaques et autres stressés de la vie hyperconnectée. Vous voulez comprendre ? Allez, on vous emmène !

L’ASMR... CET OBSCUR OBJET DU FRISSON

« Cela me produit le même effet que celui de boire du thé avec du miel, c’est tout aussi relaxant, ça me détend immédiatement. C’est comme un papillon dans le cœur », confie Sarah, 19 ans, étudiante en psychologie. « Quand j’ai découvert l’effet réel que ces stimuli sonores produisaient en moi, une réaction que je sentais dans tout mon corps, ce fut un choc. C’est très intime, on ne peut pas poser de mots dessus » , raconte Florian, 36 ans, musicien et lui-même artiste ASMR avec sa chaîne Paris ASMR.

Ils chuchotent. Tapotent. Caressent. Massent. Mâchouillent. Lèchent. La bouche collée à leur micro. Ceux qui les écoutent en éprouvent une sensation étrange de bien-être. Indéfinissable. La sensation serait physique : un frisson dans la colonne vertébrale, un frémissement dans le crâne. On le ressent. Ou pas.

L’ASMR fait un carton. L’acronyme est à traduire de l’anglais : Autonomous Sensory Meridian Response, soit « réponse sensorielle autonome culminante ». Vous trouvez cela obscur ? On vous éclaire. La pratique nous vient de l’Internet. Elle est née sur YouTube, en direct des États-Unis. Seuls ceux qui y sont sensibles peuvent vraiment la comprendre.

 

« J’AVAIS PERDU LE SOMMEIL »

Contrairement à ce qu’affirment certains médias, la chose n’a rien à voir avec l’orgasme ou une quelconque excitation sexuelle. Les amateurs racontent tous un peu la même histoire. Et il serait plutôt question d’insomnies, de stress, d’angoisses...

Ils sont tombés sur l’ASMR par hasard, en surfant, en cherchant un remède qui les calmerait. Jessy l’a découvert il y a cinq ans, elle avait 18 ans et de gros problèmes de sommeil. « Comme beaucoup de monde, je voulais trouver des vidéos pour me détendre. Quand j’ai trouvé une vidéo de relaxation guidée ASMR, dès la première seconde, j’ai ressenti comme de petits picotements. J’ai tout de suite eu envie de dormir et j’ai compris que ces frissons portaient un nom. Depuis, je regarde ce genre de vidéos tous les soirs. » Une habitude prise aussi par Roxane il y a un an et demi : « Je commençais mes études supérieures, et j’étais extrêmement stressée. Je prenais des médicaments mais ils me faisaient aussi dormir dans la journée. Cela devenait dramatique. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je trouve une solution. Quand j’ai découvert l’ASMR cela a été instantané. J’ai retrouvé le sommeil, mais plus que ça, cela m’a redonné confiance en moi. » Geoffrey avait 17 ans l’an dernier. « À l’époque, j’étais en terminale et je me posais beaucoup de questions sur ce que je devais faire plus tard, comment cela allait se passer... J’avais perdu le sommeil. » Il l’a retrouvé et s’est abonné depuis à plusieurs chaînes qu’il visite presque tous les jours. « C’est un instant de détente que je peux m’accorder quand je suis stressé et que je veux tout évacuer. Quand j’ai besoin de calme, de tout laisser aller, ça m’aide vraiment. » Roxane, qui produit maintenant des vidéos sur YouTube, confirme. « Au bout d’un an et demi d’écoute intensive, c’est devenu mon petit rituel à moi. Je peux me l’accorder n’importe où, n’importe quand, c’est gratuit. C’est très pratique. »

 

UN MONDE ÉTRANGE ET PÉNÉTRANT…

Découvrir l’ASMR, c’est comme pénétrer dans un univers parallèle, franchement dépaysant, où tout serait beaucoup plus lent, et nettement plus doux. « Ces vidéos prennent le contre-pied des autres. Elles sont longues, filmées en plan fixe et en une seule prise, tout est calme... », détaille Florian.

Autant prévenir : on ne comprend pas tout tout de suite non plus. On doit se familiariser avec un tas d’anglicismes et leurs pratiques associées.

Le très classique tapping consiste à faire de petits bruits en tapotant sur tout et parfois n’importe quoi avec ses doigts ou ses ongles. Dans l’incontournable whispering, l’artiste ASMR (oui, on ne dit pas youtubeur mais artiste dans l’ASMR) peut raconter ce qui lui passe par la tête, pourvu qu’il le fasse en chuchotant et en te tutoyant comme si ça se passait juste entre elle et toi (oui disons « elle » parce que l’immense majorité des artistes ASMR sont des femmes, et plutôt de jeunes femmes – moins de 30 ans).

Certains amateurs préfèreront le scratching qui gratte – le brushing et ses bruits de brosse et de cheveux –, l’eating candy et sa mastication lente de bonbons. D’autres se régalent de roleplay quand l’artiste prend le rôle d’une infirmière, d’un barbier ou d’un héros Marvel en chuchotant bien sûr, et en ponctuant sa mise en scène de toute sorte de petits bruits.

Une créativité étonnante et qui peut dérouter. Voire dégoûter.

Sur Instagram, on passe d’une découpe de savons archi esthétisée (un must see de l’ASMR), à des mains soigneusement manucurées plongeant sensuellement dans de la pâte à modeler, ou finir sur une bouche filmée en gros plan d’un glouton avalant consciencieusement des dizaines de nuggets à grand renfort de bruits de bouche...

 

Dans ce foisonnement, chacun doit découvrir le « déclencheur » auquel il est le plus sensible. « On ne perçoit pas les sons de la même manière. Mais il s’agit toujours de regarder une personne qui est totalement concentrée sur ce qu’elle fait, totalement connectée à l’instant présent, dans le flow. L’instant vous happe et ralentit toutes vos pensées. On ne pense à rien d’autre » , selon Florian.

 

TOUT SEUL… MAIS ENSEMBLE

Au-delà du réconfort solitaire, cet étrange acronyme a permis à ses pratiquants de mettre un nom sur une sensation qui n’en n’avait pas, et de découvrir dans la foulée qu’ils n’étaient pas seuls à la ressentir. Le premier blog à y faire référence a été créé par Andrew MacMuiris en 2010, le bien nommé The Unnamed Feeling (la sensation sans nom).

Depuis, la pratique n’a fait que croître.

Aux États-Unis, Maria a créé sa chaîne Gentle Whispering ASMR dès 2011. Avec plus de 500 millions de vidéos vues, elle est devenue la star de la discipline. Elle en a fait son activité à temps plein. « J’ai des centaines de messages de personnes : des anciens combattants parlent de leurs terreurs nocturnes, des adolescents me disent qu’ils ne savent pas encore comment gérer leur vie, qu’ils sont stressés parce qu’ils ne savent pas comment faire face à la pression, des gens de tous les horizons, y compris des pompiers, des avocats, des enseignants, des mères célibataires... », raconte-t-elle dans une interview en 2016.

Comme Ashton Kutcher ou Jeff Goldblum, quelques stars ont popularisé la pratique en déclarant y être elles-mêmes sensibles et certaines, comme Eva Longoria ou Cara Delevingne, ont carrément réalisé une vidéo. En France, la communauté ASMR reste nettement plus discrète, et les amateurs n’osent pas toujours en parler.

« Ce n’est pas hyper répendu et c’est très différent de ce que l’on nous propose d’habitude. Les gens sont intrigués encore », avoue Geoffrey. Sarah préfère n’en parler à personne. « D’abord, c’est un peu mon jardin secret mais en plus les autres ne comprennent pas. J’ai déjà essayé avec mes proches mais ils me disent que d’écouter des gens qui font des bruits avec leurs salives, c’est dégoûtant. Leur expliquer que cela fait beaucoup de bien à certains ne change rien. »  

 

ASMR BIENTÔT EVERYWHERE ?

Quoi qu’il en soit, la pratique s’installe. « L’audience francophone est de plus en plus importante, je n’ai jamais eu autant de vues que cette année », témoigne Florian qui a lancé sa chaîne en 2015, et qui est sans doute l’une des plus populaires en France. Les vidéos se multiplient maintenant sur Instagram, plus courtes, mais à regarder en boucle pour un effet hypnotique garanti.

Depuis quelques mois, Tingles (à traduire par picotements), une application dédiée, a été lancé : « Elle est très pratique. Quand je révise à la fac et que je ne veux pas que les autres voient que j’écoute de l’ASMR, je peux écouter les vidéos en gardant mon téléphone verrouillé », confie Sarah.

Clairement, la communauté s’organise. Roxanne confirme : « La communauté des artistes a beaucoup évolué en l’espace d’un an. Les gens trouvent cela de moins en moins bizarre. Il y a de plus en plus de youtubeurs qui s’y intéressent et voient le potentiel en termes d’audience. Du coup, ils s’y mettent. Récemment, une youtubeuse beauté qui a plus d’un million d’abonnés a fait la bascule. Elle veut développer ce type de vidéos parce qu’elles génèrent une communauté plus sympa. »

Effectivement, les commentaires laissés dégoulinent de bienveillance : on remercie, on complimente, on encourage, on explique ce qui a plu, on donne des idées, on raconte ce que l’on a ressenti... « En ASMR, les gens sont là pour aller bien, et l’on a peu de propos néfastes. Tout repose sur une relation de confiance » , selon Florian.

Et en MP, sur Instagram, les artistes échangent et répondent. Jessy, qui a lancé sa propre chaîne en 2013, raconte : « J’ai énormément de messages en privé auxquels j’essaie de répondre... Ils me parlent de leurs déclencheurs préférés. Ils sont très sensibles, il y a beaucoup de personnes atteintes de dépression ou de troubles de l'anxiété, ou des gens qui font écouter à leurs enfants hyperactifs… Quand ils me parlent de leurs problèmes, cela peut être un peu plus compliqué. Si cela me met mal à l’aise, je leur dis, et cela s’arrête là. Je ne remplace pas un médecin, mais j’assure une sorte de présence, comme une relation d’amitié mais virtuelle. »

 

L’ASMR – LA THÉRAPIE DIY (DO IT YOURSELF)

En France, les experts en psychologie et autres praticiens du paramédical restent perplexes ou muets... et les amateurs ne cherchent pas spécialement à connaître leur avis. La pratique est née sur Internet, se développe sur Internet et ne cherche pas forcément à être adoubée. Pour Jessy, c’est clair. « Je sais ce que je ressens. Je sais ce que cela me fait, je sais que cela m’aide à dormir, et je n’ai pas besoin qu’un médecin me dise le contraire... » Sarah conçoit que « certains psychologues puissent penser qu’il faut être habilité pour prétendre aider les autres. Mais je pense aussi que quand on peut détendre les autres, on n’a pas besoin de diplômes ».

Florian, qui entreprend depuis peu une formation en sophrologie, imagine que la pratique pourrait tout à fait rejoindre d’autres techniques, et se mettre éventuellement à leur service. « L’ASMR pourrait aider à mieux entrer dans une séance de psychothérapie par exemple. C’est pour moi un laboratoire, une expérimentation. La question reste de savoir si elle va sortir de YouTube. » Bonne question…

 

VOUS L’AIMEZ EN LIGNE ? L’AIMEREZ-VOUS IRL (IN REAL LIFE) ?

Est-ce que l’ASMR restera une curiosité de l’Internet, ou parviendra-t-elle à sortir des écrans ? Aux États-Unis, certains œuvrent dans ce sens. Le Dr Craig Richard, spécialiste en biologie cellulaire, se passionne pour le sujet depuis 2013. L’année suivante, considérant qu’environ 20 % des personnes pourraient être sensibles à cette pratique, il lançait un projet de recherche alimenté via son blog University ASMR « afin que le monde puisse en savoir plus sur les aspects sociaux ou biologiques de l’ASMR ». Il vient d’autoéditer un ouvrage qui vante les mérites de la pratique.

Au-delà de l’Internet, les amateurs peuvent désormais pratiquer in real life. Melinda Law et Andrew Hoepfner proposent de créer des sessions de « traitements individuels ou en groupe conçus pour détendre le corps et l’esprit, augmenter la conscience et renforcer les sens ». À New York, San Francisco et Los Angeles, on peut louer leur service, seul ou en groupe, et même dans le cadre d’événements – festivals ou réunions d’entreprises. Ils présentent leurs prestations comme une sorte de jeu de rôle à prendre très au sérieux. La plupart de leurs scénarios proposent une atmosphère de soin. Dans un spa, un salon de coiffure ou de massage. Melinda et Andrew, en soignants bienveillants, caressent les dos aux pinceaux, massent très doucement les oreilles… et surtout ne disent rien que l’on ne puisse souffler à l’oreille, et toujours dans un chuchotement.

 


Cet article est paru dans le numéro 16 de la revue de L'ADN consacrée aux nouveaux rituels. On ne vous promet pas qu'il vous endorme... mais on espère qu'il vous inspirera... Votre exemplaire à commander ici.


 

À VOIR

La chaîne YouTube de Florian : PARIS ASMR (142 600 abonnés)

La chaîne YouTube de Roxane : Roxane ASMR (110 600 abonnés)

La chaîne YouTube de Jessy : Jessy Relaxation ASMR (47 500 abonnés)

L’appli Tingles

 

À LIRE

Dr Craig Richard, The Secret to Triggering Autonomous Sensory Meridian Response for Improved Sleep, Stress Relief, and Head-to-Toe Euphoria, Adams Media, septembre 2018.

Crédit Photo :  Gentle Whispering ASMR

Béatrice Sutter

J'ai une passion - prendre le pouls de l'époque - et deux amours - le numérique et la transition écologique. Je dirige la rédaction de L'ADN depuis sa création : une course de fond, un sprint - un job palpitant.
commentaires

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  1. Avatar Tumtum dit :

    Merci. Ca fait plaisir de voir qu il y a de vrais journalistes compétents qui parlent enfin de l asmr de facon juste et interrogent les personnes concernées. L asmr a changé ma vie,j en suis très reconnaissante à ces créateurs de chaines avec lesquels je m.endors chaque soirs.

  2. Avatar elodie dit :

    Bravo pour l'article, moi j'aime bien ASMR Elodie comme artiste ça me relaxe bien : https://www.youtube.com/channel/UCIFN-5VYJWJksdubu3-Qq2g

  3. Avatar Taninia ASMR dit :

    Vraiment sympa votre article,
    De très bonnes pistes pour mes débuts après plusieures années d'écoutes et de visionnages.
    ( n'hésitez pas à venir voir ma chaine youtube TANINIA ASMR : https://www.youtube.com/channel/UCZ3acklKD3wTjIKjsw3uVow )

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