Après plusieurs années passées en tant que community manager chez Netflix, Yassin a raccroché son tablier. Il revient sur son travail et ses évolutions.
Quand il est arrivé en alternance dans une agence de communication en 2016, Yassin s’est vu confier une tâche : s’occuper du community management de Netflix. À cette époque, il s'agit d'une obscure plateforme de streaming comptant à peine 130 000 abonnés sur Twitter. En 2021, le compte cumule 5,8 millions d’abonnés, et celui qui est devenu l’un des CM les apprécié de Twitter se retire pour voguer vers de nouvelles aventures. Comment son métier a changé en 5 ans ? On a voulu en savoir plus.
Pendant 5 ans, vous avez incarné la marque Netflix sur les réseaux. Pouvez-vous nous raconter comment vous êtes arrivé à ce poste et combien de personnes travaillaient avec vous ?
Yassin : Je suis arrivé dans une agence en 2016 au cours d’une alternance en licence de communication digitale et mon premier job était de gérer le compte de Netflix sur Twitter. Au début on était deux à travailler sur ce client, puis rapidement l’équipe a grossi jusqu’à atteindre une dizaine de personnes. Tout ce qui concerne des réponses directes à des questions ou des demandes, c’est 100 % mon écriture. En revanche, pour tout ce qui est annonces de sortie, ou des posts plus créatifs, c’est le fruit d'un travail collaboratif.
Netflix est regardé par des profils très différents : des adolescents fans d’animés japonais, aux mères de familles qui bingent des comédies romantiques. Comment avez-vous fait pour trouver ce ton très spécifique afin de vous adresser au plus grand nombre ?
Y : C'est tout bête, mais on l'a trouvé en testant. On a essayé plein de manières de parler différentes et quand ça ne marchait pas, on abandonnait. Au tout début par exemple, on tutoyait les internautes pour montrer qu'il y avait cette espèce de proximité avec les utilisateurs. Ça fonctionnait bien et on a essayé de garder cet état d’esprit. Cependant, on privilégie plus le vouvoiement maintenant, car on nous a souvent rétorqué que le tutoiement donnait l’impression d’infantiliser les followers.
On doit aussi prendre en considération la spécificité de Twitter qui est un réseau plus hétérogène qu’Instagram. On s’adresse à plus de 5 millions de personnes avec plusieurs communautés bien délimitées. On a les fans de manga, les fans de cinéma d’auteur, les fans de comédies. L’idée est de faire correspondre le bon contenu au bon public et d’avoir le bon ton à chaque fois. On touche également des influenceurs avec qui on développe une relation toute particulière et ils sont hyper importants dans la communication de la marque. Des youtubeurs comme SEB, des streamers comme Ponce ou ChowH1 : il y a un ton qui leur est propre et on essaiera toujours d'utiliser leurs références pour montrer qu'on les connaît comme ils nous connaissent.
Pendant le confinement beaucoup de gens ont regardé Netflix et on a senti une sorte de fatigue à l’encontre de la marque. Est-ce que vous avez ressenti la même chose ?
Y : On l’a surtout ressenti quand on est arrivé sur la fin du premier confinement. On avait tellement été présent pour les utilisateurs pour leur recommander des contenus, pour leur proposer des choses un peu différentes et les gens ont tellement regardé la plateforme que ça a forcément généré de la lassitude. On l'a surtout constaté quand on tentait d’insérer des blagues dans nos tweets. Il y avait une espèce de rejet. En fin de compte ce sont les utilisateurs qui te donnent des retours directs sur la tonalité à avoir au moment présent.
Le compte Twitter de Netflix s’est souvent positionné sur des sujets comme l’homophobie ou le racisme. Vous avez mis en avant du contenu pour soutenir Black Lives Matter et il est arrivé que vous recadriez des internautes faisant preuve de propos haineux. Comment se gère cette communication qui peut être risquée pour une marque ?
Y : Le tweet qui disait à un internaute « T'es pas nécessaire dans nos abonnés » n'est pas de moi, j'étais en vacances à ce moment-là. Mais j'ai trouvé ça fort et ça posait une certaine limite du point de vue de Netflix. Normalement, on ne fait pas ce genre de remarque à ses utilisateurs. Mais on doit aussi comprendre qu’une marque doit tenir une place dans la société et Netflix a beaucoup, beaucoup de poids dans l'inclusivité, la représentation de la diversité, etc. C'était donc une façon de montrer que la marque a des convictions sur ces sujets-là.
C’est quoi la limite de cet exercice ?
Y : Incarner une marque sur les réseaux et mettre en avant des valeurs, c’est très bien, mais il ne faut pas oublier qu’on est surtout là pour vendre du contenu. Donc, quand tu sur-utilises cette incarnation, c’est intéressant pour le business, mais ça peut aussi se retourner contre toi et générer une perte de crédibilité auprès des utilisateurs. C’est d’autant plus compliqué que les réseaux sociaux ont beaucoup évolué en 5 ans. Twitter peut produire des mobilisations très positives, comme c’est le cas lors du Z Event, par exemple (projet caritatif créé par Adrien Nougaret et Alexandre Dachary ayant pour objectif de réunir des streamers francophones afin de récolter des dons qui permettront de soutenir une association caritative). Mais le réseau peut aussi amener des débats stériles, du harcèlement de masse et une violence qu’on n’imagine pas. Quand on est une marque, il ne faut pas être trop humain, parce que ça peut jouer en notre défaveur et conduire à du harcèlement.
Certains community managers sont devenus des espèces de super-héros du web. Est-ce que votre métier est devenu plus glamour en 5 ans ?
Y : Quand j'ai commencé le community management j'aimais la proximité que pouvaient avoir les CM comme ceux de Winamax ou Burger King, avec leur public. Ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est que les CM ont pris beaucoup plus de place et d'importance dans le rôle d'une société parce qu'on sait quel poids peut avoir la communication d'une marque sur les réseaux et sur le business. C'est un rôle nouveau au niveau de la créativité de la marque. On vient souvent nous voir pour nous demander de nouvelles idées de communication. Mais je voudrais raconter une anecdote. Quand j'ai fait un thread pour expliquer que je quittais mon poste, il y a beaucoup de jeunes utilisateurs qui m'ont demandé si mon travail pour Netflix était du bénévolat. Ça traduit bien que beaucoup de gens pensent que ce n'est pas un vrai métier, alors que c'est un job à plein temps et même plutôt intense. Il y a de la stratégie, de la réflexion sur la visibilité que l’on veut donner aux contenus. Le community manager, ce n’est pas seulement celui qui est en slip chez lui et qui fait des tweets.
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