Femme cheveux au vent à la fenêtre d'un train

Tendance mobilités : ceux qui aiment la planète prendront le train... s'il y en a !

© Oleh Slobodeniuk

Devant l'impératif écologique et la nécessité de désenclaver les territoires, redonner une nouvelle jeunesse aux infrastructures ferroviaires du quotidien, longtemps négligées, devient une priorité. Analyse.

100 milliards. C’est le budget promis par la Première ministre pour moderniser le réseau ferroviaire français à horizon 2040 et faire du train « la colonne vertébrale de nos mobilités ». Ex-ministre des Transports, Elisabeth Borne est aussi en charge de la planification écologique – et en effet, il faudra en passer par un minimum de méthode, de vision sur le temps long et pas mal d’argent, si l’on veut agir de façon significative sur la transformation des transports. Ceux-ci constituent la première source émettrice de GES en France (30 %) – et le seul secteur qui continue d’augmenter depuis les années 90.

Nouvelle donne ferroviaire

Outre la décarbonation, la « nouvelle donne ferroviaire » revendique aussi l’objectif de résorber les fractures du territoire. Cette annonce, faite le jour de la remise officielle du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), est en ligne avec les préconisations de ce dernier – ou plus exactement avec le scénario médian de « planification écologique » proposé par le COI, entre les scénarios « cadrage budgétaire » et « priorité aux infrastructures ».

Le COI, collège consultatif créé comme structure pérenne par la loi d’orientation des mobilités (LOM) et placé auprès du ministère des Transports, réunit élus et experts pour conseiller le gouvernement sur la programmation des investissements en matière de mobilités. Mandaté par le gouvernement fin 2023 pour déterminer les priorités d’investissement d’ici 2032 dans le cadre contraint du budget de la LOM (scénario « cadrage budgétaire » ), le COI a choisi de s’en écarter pour se projeter jusqu’en 2042 avec deux autres scénarios, dans ce travail intitulé « Investir plus et mieux dans les mobilités pour réussir leur transition » .

20 milliards d’euros pour un réseau « saturé et vieillissant »

Que propose alors cette « planification écologique » ? Avant tout, prioriser la régénération et la modernisation du réseau ferré. Le Monde le rappelle, l’âge moyen des voies françaises était de 28,6 ans en 2021, contre 17 pour le réseau allemand et 15 en Suisse. Il faudra donc accélérer la régénération des infrastructures, une « dette grise » accumulée depuis des années, et notamment celles avant 2011, où l’effort privilégiait les nouvelles lignes à grande vitesse au détriment des voies classiques et des « trains du quotidien » … Résultat ? 20 milliards d’euros environ seront nécessaires d’ici à 2040 si l’on souhaite « rajeunir » de deux à trois ans les voies principales du réseau. Sans parler de la dizaine de milliards d’euros nécessaires pour moderniser la signalisation et généraliser la commande centralisée des aiguillages… Car de fait, du côté des usagers, la demande est là : preuve en est, les 10 000 billets OuiGo Train Classique mis en vente à 1 euro qui ont trouvé preneurs en quelques minutes le 23 mai, malgré des serveurs cédant sous la charge des 600 000 connexions / minute. Un « drop » qui a suscité la colère des internautes, provoquée non seulement par les bugs mais aussi par une offre pour le moins courte, se résumant à des Paris-Lyon et des Paris-Nantes...

Ces nouveaux engagements d'investissements viennent après « de nombreux cris d’alerte sur la dégradation du réseau ferroviaire », selon l’ONG Réseau Action Climat, qui estime que ce plan est « un strict minimum ». Le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou lui-même avait tiré le signal d’alarme en juillet 2022, qualifiant le réseau de « saturé et vieillissant » . La démonstration, encore une fois, que le peu de crédit porté par notre société à la maintenance et au soin des choses – surtout quand elles ne servent pas des impératifs de rentabilité et performance court terme – finit toujours, le temps venu, par se rappeler à nous. En creux, la situation raconte aussi une politique d’infrastructures dans laquelle orgueil et électoralisme jouent un rôle non négligeable : en 2018 déjà, un cadre de la SNCF confiait au quotidien du soir : « C’est vraiment un choix politique. C’est beaucoup plus glamour d’inaugurer une ligne à grande vitesse qu’un poste d’aiguillage. »

La Société du Grand Paris récompensée par Harvard

Plus de 40 ans après le lancement du TGV, inaugurer un RER métropolitain saura-t-il alors satisfaire l’hubris de nos dirigeants ? Annoncé en novembre 2023 par Emmanuel Macron et repris par le COI sous le terme moins « parisien » de « Service Express Régionaux » (SER), le rapport dénombre onze projets : Strasbourg, Bordeaux, Grenoble, Nancy-Metz-Luxembourg, Lyon, Marseille-Toulon-Nice, Nantes-Rennes, Bâle-Mulhouse, Toulouse et Lille-Hauts-de-France. Une proposition de loi vient d'être déposée en ce sens.

Il s’agit avant tout de se fonder sur l’existant et de miser sur l’intermodalité, avec un « projet d’organisation des services et de choc d’offre avant d’être un projet d’infrastructure », selon les recommandations du COI. L’objectif est de réduire la fracture territoriale entre les villes et les zones périurbaines, avec une « offre ferroviaire (…) offrant une fréquence à l’heure de pointe inférieure à 20 minutes et en heure creuse inférieure à une heure ». À la manœuvre aux côtés de SNCF Réseau pour le déploiement des SER, la Société du Grand Paris – qui par ailleurs vient de recevoir le Veronica Rudge Green Urban Prize, un prestigieux prix d’urbanisme décerné par Harvard, pour le pilotage du Grand Paris Express.

Nouvelles sources de financement

L’État pour sa part devrait mettre 25 milliards au pot, et s'appuiera sur différentes parties prenantes, comme les collectivités, l’Union européenne ou les opérateurs de transports. Même si le rapport du COI propose de nouvelles sources de financement, par exemple issues de la valeur générée par l’arrivée de nouveaux moyens de transport, il faudra faire avec la baisse de certaines recettes. Ainsi, sept concessions autoroutières arriveront à échéance entre 2031 et 2036. Selon un rapport du Sénat, la fiscalité issue de ces concessions a rapporté à l’État quelque 50 milliards d’euros entre 2006 et 2018.

Et comment remplacer la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) qui ira de pair avec l’électrification du parc automobile et la fin du moteur thermique ? Selon la Gazette des Communes, son montant s’est élevé à 33 milliards d’euros en 2022, dont 18,4 milliards pour l’État, 1,4 milliard à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France et 11,1 milliards aux collectivités territoriales. Dans son discours, Elisabeth Borne ne s’en est pas cachée : « Nous souhaitons mettre à contribution les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre comme l’aérien, et ceux qui dégagent des profits importants, comme les sociétés d’autoroute. » Il faudra maintenant mettre ces bonnes intentions sur les rails.

Carolina Tomaz

Journaliste, rédactrice en chef du Livre des Tendances de L'ADN. Computer Grrrl depuis 2000. J'écris sur les imaginaires qui changent, et les entreprises qui se transforment – parce que ça ne peut plus durer comme ça. Jamais trop de pastéis de nata.
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