
La Fondation Abbé Pierre alerte : « La précarité énergétique d'été est une nouvelle forme de mal-logement. »
Selon un rapport de la Fondation Abbé Pierre, la précarité énergétique est encore largement associée au froid plutôt qu'aux pics de chaleur, auxquels sont pourtant exposés de plus en plus de gens en été. Un phénomène accentué par le changement climatique et des vagues de chaleur extrêmes de plus en plus fréquentes ayant parfois des effets parfois dramatiques sur la santé. Pour les personnes concernées par la précarité énergétique, l’enjeu n’est pas simplement le confort, mais l’habitabilité même de leurs logements plusieurs mois par an.
La précarité énergétique d’été n’est pas une fatalité
Les 5,2 millions de passoires thermiques impossibles à chauffer en hiver se transforment en bouilloires énergétiques impossibles à refroidir en été. Tel est le constat de la Fondation Abbé Pierre. S'il est difficile d’évaluer avec précision le nombre de personnes concernées, la Fondation liste cependant quelques indicateurs.
En 2022, 59 % des Françaises et Français déclaraient avoir souffert de la chaleur dans leur logement pendant au moins 24 heures (+ 8 points par rapport à 2020), et 90 % blâment la canicule. Parmi eux, 19 % mentionnent une mauvaise isolation de leur logement, et 9 % une mauvaise ventilation). Dans le détail, les locataires sont plus nombreux que la moyenne à souffrir d’un excès de chaleur : 63 % contre 59 % au global. Parmi les plus concernés, les populations précaires urbaines, les jeunes (avec 54 % des 18-24 ans) mais aussi les personnes âgées, plus vulnérables face aux canicules. En cause : isolations peu performantes, expositions ne répondant pas aux principes de l’architecture bioclimatique, absence de protections solaires ou de simples volets… Autant de raisons rendant certains logements quasi inhabitables durant la période estivale.
Un enjeu de santé publique
Comme pour la précarité énergétique en hiver, les conséquences sont multiples : sanitaires, sociales, économiques et environnementales. Rien que pour l'été 2022, le plus meurtrier depuis 2003, les chiffres indiquent un excès de mortalité de plus de 2 800 personnes lors des canicules, soit 16,7 % de plus par rapport aux cinq années précédentes. Un phénomène qui selon les experts continuera de s'aggraver avec le dérèglement climatique, l’urbanisation et le vieillissement de la population. Des conséquences mortifères aggravées par des villes et logements mal adaptés. « J’habite à Montpellier dans un appartement avec 2 colocataires. L’année dernière, la canicule est arrivée dès le mois de juin. Montpellier est une ville du Sud très minéralisée, la chaleur est étouffante. Les conditions de notre logement n’ont rien arrangé et l’ont rendu quasi inhabitable pendant plusieurs semaines. Le thermomètre ne descendait pas en dessous de 35 °C la nuit... Le principal problème de notre logement est la véranda qui est un sas de chaleur, et les fenêtres donnant sur l’espace de vie en simple vitrage et sans protection solaire. Le logement est classé E, et n’est donc pas une passoire thermique au sens du DPE [Ndlr : diagnostic de performance énergétique]. Le confort d’été est quand même indiqué "insuffisant" et il est préconisé d’équiper les fenêtres de brise-soleil. Sauf que, comme ce n’est pas obligatoire, le propriétaire n’est pas contraint de faire les travaux », explique Laure, 24 ans.
Autre facteur aggravant : la pauvreté. Viviane, mère d'une fillette de trois ans, témoigne en août 2022 : « À chaque canicule, on vit un confinement bis. On est comme pris au piège, coincés dans nos logements totalement inadaptés à ces chaleurs. » La mère de famille habite Aubervilliers, où 44 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et où le ratio d’espaces verts par habitant est de 3 m², alors que l’OMS en recommande au moins 12.
Une législation insuffisante
Si les propriétaires ont l'obligation de louer des logements à la température réglementaire minimum de 19 degrés en moyenne (sans quoi le locataire peut demander à son propriétaire d’effectuer les travaux nécessaires), aucune température maximale n’est fixée. Bien que le cadre réglementaire et législatif évolue et devient plus contraignant (norme RE2020, nouveau DPE concernant le parc existant...), les mesures restent insuffisantes selon la Fondation.
En outre, les notions de confort d’été (la capacité d'un logement à maintenir une température intérieure maximale agréable l'été, sans avoir à recourir à un système de climatisation) et de protection solaire n’apparaissent pas dans la définition d’une rénovation énergétique performante et globale introduite par la loi Climat et Résilience. De plus, en dehors de l’isolation par l’extérieur et de l’installation d’appareils de chauffage permettant le refroidissement (PAC air/air réversible), les aides à la rénovation continuent d’exclure les équipements liés à l’atteinte du confort d’été, comme les protections solaires, brasseurs d’air ou revêtements réfléchissants. Un constat alarmant qui nécessite selon la fondation de « systématiser la prise en compte de l’habitabilité thermique en été dans les projets de rénovation énergétique, et faire évoluer le système d’aides à la rénovation pour inclure les équipements et aménagements nécessaires pour y parvenir. »
Sans logement, la chaleur encore plus dure à supporter
Si les températures élevées sont difficiles à supporter dans les « bouilloires énergétiques », les personnes sans abri sont également particulièrement exposées aux périodes de canicule. Isolement, difficultés d’accès à l’eau, exposition aux ICU (îlots de chaleurs urbains), baisse des capacités d’hébergement, diminution du nombre de bénévoles pendant les congés estivaux, impossibilité de trouver des lieux de rafraîchissement… Contrairement à ce que l’on pourrait penser : « la mortalité des personnes sans chez soi survient tout au long de l’année et pas uniquement l’hiver. Une vigilance tout aussi importante est nécessaire l’été comme l’hiver pour cette population particulièrement vulnérable », alerte le Collectif les morts de la rue.
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