La déclaration est tombée en plein milieu du mois d'août. L'un des plus puissants lobbies américains a fait signer à ses membres une déclaration : les modèles de gouvernance doivent changer. Cap sur l'équité sociale et les enjeux climatiques !
C'est la lutte, point final.
En matière de lobbying, la Business Roundtable ne fait pas dans la production de flûtes à bec. L'association de patrons sait sur quoi elle veut cogner, et ne s'épargne aucun combat. Lancé en 1972, son but était déjà parfaitement clair : lutter contre les avancées syndicales et les réglementations fédérales un peu trop coulantes avec la main d'oeuvre. Aujourd'hui, la BR compte dans ses rangs les 181 plus grosses boîtes américaines et peut s'enorgueillir de jolis succès. L’échec du projet de loi anti-trust en 1975, c'est elle. Celui de la création d'une agence de protection des consommateurs en 1977, encore elle. Le flop de la réforme du droit du travail ? Toujours elle ! Ne cherchez pas, le lobby ultra conservateur, ultra libéral est surtout ultra efficace. On le trouve derrière toutes les actions qui tendent à favoriser la croissance du capital au détriment d'un peu tout le reste.
Dans un document public paru le 19 août 2019, les patrons membres de la Business Roundtable le reconnaissent eux-mêmes : "Depuis 1978, la Business Roundtable a publié périodiquement des principes de gouvernance d'entreprise qui incluent un libellé sur l'objectif d'une société. Chaque version de ce document publiée depuis 1997 indique que les sociétés existent principalement pour servir leurs actionnaires."
Et pourtant, le 19 août 2019, tout change !
Travailleurs de tous les pays, réjouissez-vous ! Vous pouvez marquer le 19 août 2019 d'une croix rouge à pompon. Il s'est passé quelque chose du côté de chez l'oncle Sam. Après des années de déni farouche, la crème de la crème des grands patrons ultra libéraux l'ont admis. Leur croissance est intimement liée à votre bien être. Vous et eux, même combat... à partir de ce jour, ce sera petit coeur avec les doigts.
Courte mais sans ambiguïté, en cinq points, ils ont signé une déclaration qui redéfinit ce que doit être l'objectif d'une société.
Tout juste après la satisfaction clients (souvenez-vous que, souvent, le client c'est vous), ils investiront désormais dans leurs employés. "Cela commence par une rémunération équitable et des avantages importants". Mais ce n'est pas fini, ils s'engagent aussi à "traiter équitablement et éthiquement" avec leurs fournisseurs. Et avant même les actionnaires, pour lesquels les entreprises se doivent de "générer de la valeur à long terme", ils reconnaissent l'importance de "protéger l'environnement en adoptant des pratiques durables dans toutes nos entreprises".
On croit rêver ! Et pourtant, la déclaration est signée, en vrac et sans être exhaustif, par Jeff Bezos, patron d'Amazon, Tim Cook celui d'Apple, Philip Blake de Bayer, Brian Moynihan de Bank of America, James Quincey de Coca Cola... La crème de la crème on vous dit.
À ce stade, on ne peut pas parler d'un signal faible. Cela tient carrément du cri de Rahan un soir au fond des bois. Il faudrait être sourd - ou fort distrait - pour ne pas entendre. La transition écologique est le nouveau défi des grands groupes. Ils l'ont compris. Ils ne pourront pas faire sans.
On applaudit, on encourage...
La grande nouvelle n'a évidemment pas échappé aux patrons déjà écorésilients et social-friendly. En bon camarades, trente dirigeants dont ceux de la marque de vêtements de plein air Patagonia, de Natura, de The Body Shop, ou encore de Ben & Jerry's, ont cru bon de soutenir l'initiative de leurs alter ego. Dans l'édition du New York Times du dimanche 25 aout, ils les encourageaient. "Rassurez-vous les boss, on peut améliorer ses pratiques sociales et environnementales et continuer à faire tourner la boutique" leur disaient-ils en substance.
Doit-on sentir une petite pointe d'acide ? Peut être un peu. Leur porte parole, Andrew Kassoy, cofondateur de B Lab (une ONG qui labellise les sociétés les plus clean d'un point de vue social et écologique), reconnait que l'initiative des 181 de la Business Roundtable est un "moment à célébrer", mais il ne veut pas non plus verser dans l'angélisme. Les interpeller via le New York Times sert à cela."Cette page de publicité les met au défi de prendre des mesures et d'aller au-delà des mots."
Andrew a certainement raison. Le mois de septembre, c'est un peu comme le nouvel an : le moment idéal pour les grandes résolutions. Alors, on est super content, mais on attend de voir.
Ils ne font pas dans la production de flûtes à bec, mais ont l'air plutôt doués quand il s'agit de jouer du pipo.
J'ai ri !
plein de petits cœurs avec les doigts !!