À l’heure où le monde bascule entre anxiété écologique, disparités économiques ou sociales et crise sanitaire, un souhait se fait entendre : plonger dans le monde de demain, et vite. Mais qu'en sera-t-il ? Difficile de l’imaginer. Néanmoins, certains signaux faibles permettent d’en faire une anté-photographie.
À l’occasion du Mastercard Innovation Forum du 26 novembre 2020, Erica Orange, vice-présidente de The Future Hunters, nous indique les quatre grandes tendances qui dessineront le monde de demain.
Évolution de la perception du temps
« Il faut donner du temps au temps », écrivait Miguel de Cervantès dans Don Quichotte. Mais le faisons-nous vraiment ? Notre relation au temps a évolué parallèlement aux mœurs, à la société, à l’innovation… Pourquoi ? « Il est important de comprendre que nous avons été catapultés dans une toute nouvelle économie, alimentée par une notion variable du temps. Cette transformation économique majeure est le fruit de la convergence rapide des technologies qui nous font passer d’une ère à une autre », indique Erica Orange. Toutefois, la relation au temps reste personnelle. Albert Einstein l’a d’ailleurs démontré par sa théorie de la relativité. Ces changements de paradigmes posent donc une question : comment mesurons-nous les changements du temps ? « Jusque-là, répond la vice-présidente de The Future Hunters, le temps était mesuré de manière géométrique, linéaire, séquentielle… aujourd’hui, il est mesuré de manière exponentielle. Et le temps est devenu notre ressource la plus précieuse et notre plus grand luxe… le temps est la nouvelle monnaie ».
Personnelle, la relation au temps se juxtapose toutefois à une vision plus macro. Plus rapprochés, les grands événements tendent à accélérer ce vécu temporel. « Nous appelons ce phénomène la “templosion” ou implosion temporelle du temps. C'est-à-dire que les plus grands événements de l’humanité se produisent sur des périodes de plus en plus courtes », déclare Erica Orange. Et cette implosion temporelle a des conséquences sur nos usages : « cela s’applique également à la manière traditionnelle de travailler et à la durée de vie des entreprises », ajoute l’experte.
Proxyisme : évolution de la relation de l’Homme au robot
Si notre rapport au temps évolue, notre rapport à la technologie aussi. Cela commence d’ailleurs par le fait de déléguer aux machines des tâches que l’être humain ne souhaite ou ne peut pas faire. Cela se retrouve donc dans le concept de « proxyisme ». Mais qu’est-ce donc ? « Le proxy est une personne qui a le pouvoir ou l’autorité de faire quelque chose ou d’agir au nom de quelqu’un d’autre. Mais les mandataires traditionnels ont tendance à évoluer. Les humains ont de plus en plus tendance à déléguer leur pouvoir et leur autorité à des mandataires robotisés et automatisés », établit l’experte.
Cette relation s’est fortement ancrée dans les usages contemporains. Parfois sous des formes inattendues, plus émotives, plus adaptées… « La relation entre les humains et les robots a évolué rapidement. Elle n’est plus marquée par la désintermédiation du travail mais se tourne vers de nouvelles valeurs et attitudes », continue Erica Orange, et d’ajouter : « nous voyons naître de nouveaux mandataires en santé et médecine, dans le retail… c’est le monde sans contact où la Corée du Sud fait office de pionnier. Cela a également un impact sur l’avenir de l’éducation. Des robots de téléprésence Newme, par exemple, ont récemment pris la place d’étudiants au Japon lors d’examens à cause du coronavirus ! », s’étonne-t-elle.
Le leadership bleu : comment les entreprises vertes peuvent devenir bleues
Phénomène grandissant, la question écologique est inévitable. Toutefois, parallèlement à la réponse verte qu’apportent les entreprises, une autre tendance tend à s’imposer : l’entreprise bleue. Pour l’experte en prospective et analyse de signaux faibles, « il faut voir le développement durable comme un continuum de Vert se transformant en Bleu. L’avenir sera de plus en plus « bleu ». Ce qui consiste à rendre plus à l’écosystème que ce qui en a été extrait ». Oui, mais comment les entreprises peuvent-elles devenir bleues ?
La réponse est claire pour Erica Orange : « L’éthique de la technologie d’entreprise sera un des grands défis de la décennie. Des technologies avancées comme l’IA, l’apprentissage automatique, les algorithmes, la surveillance, la réalité augmentée ou virtuelle, la cryptomonnaie, la blockchain ou encore l’impression 3D, sont déjà inextricablement liées à tous les aspects des opérations de l’entreprise », analyse-t-elle. Et de conclure ce sujet sur la responsabilité des dirigeants : « Tout se résume à une chose : la confiance. La confiance demande un leadership éthique et durable. Un leadership qui tienne bien compte de l’empreinte environnementale de l’entreprise, sachant que tout cela va devenir plus important que la réussite financière ».
Le féodalisme algorithmique
Aujourd’hui, les algorithmes régissent nos usages, nos façons de s’informer, de communiquer, de nous déplacer. Malgré leur rôle de facilitateur, ces lignes de codes ont toutefois une responsabilité, notamment sociétale. « Les entreprises, celles qui fonctionnent sur des plateformes, développent et exploitent toujours plus d’algorithmes pour diriger, contrôler et gérer le comportement humain, le font avec peu ou pas de concurrence directe et peu ou pas de surveillance. Ces omni-algorithmes forment une grande partie de l’infrastructure sur laquelle le monde s’appuie », analyse l’experte.
Ces IA sont d’ailleurs omniprésentes, s’inquiète Erica Orange : « elles présentent des journaux télévisés en Chine, accueillent des clients dans des hôtels de luxe ou témoignent devant les Parlements ! ». Et la question de la responsabilité de surgir : « de plus en plus d’employés de ces entreprises exigent davantage de franchise. Ils veulent en savoir plus sur la manière dont leurs entreprises déploient la technologie qu’ils ont construite. Cela soulève la question de l’intensification de la réglementation, de la transparence, de la distorsion et de la discrimination. En protégeant les concepteurs des algorithmes, le système laisse à penser que nos algorithmes sont impartiaux et justes. Cette notion de « féodalisme algorithmique » va donc continuer à s’étendre ».
Pour accéder au replay de cette keynote "Le temps, nouvelle devise dans un monde d'incertitudes ? " :
Participer à la conversation