
Voitures incendiées, bâtiments dégradés, magasins saccagés... Après la mort de Nahel, une partie de la France s'est embrasée. Analyse du discours tenu sur les réseaux.
Fin juin, Nahel, 17 ans est tué par un policier après un refus d'obtempérer lors d'un contrôle routier. Depuis, la France ne décolère pas et le sujet enflamme les réseaux : 15,2 millions de tweets ont été publiés à ce jour au sujet des émeutes, et 666 millions de vues ont été générées par le hashtag #nahel sur TikTok. Et les prises de paroles dépassent les frontières françaises : 25 % des messages sont publiés en anglais. Décryptage*.
La vidéo au cœur du récit
#lapolicetue, #lapoliceestraciste, #lapolicement... Plus de 470 000 posts dénonçant les violences policières ont été recensés à ce jour. Parmi ceux ayant rencontré le plus d'écho : celui de Kylian Mbappe, capitaine de l'équipe de France de football, celui de Jules Koundé, joueur de l'équipe, qui n'a pas hésité à parler de « bavure policière », ou encore celui d'Omar Sy, qui réclame une « justice digne de ce nom ».
La France a déjà connu des émeutes en 2005 suite à la mort de deux adolescents, électrocutés alors qu'ils cherchaient à échapper à un contrôle de police. Aujourd'hui, un élément change la donne : la vidéo. Filmée en direct par une passante, la scène décrite par la police est remise en cause par les images. À cette vidéo du drame s'ajoute un flot ininterrompu d'images montrant les émeutes sur les réseaux : aux quatre coins de la France, de petits groupes se filment en mentionnant le nom de leur ville comme signe d'appartenance.
Massivement récupérées, ces images alimentent aussi bien les chaînes d'information en continu que des comptes de tous bords, ouvertement opposés à l'immigration ou enclins à dénoncer les violences policières. Pour limiter le flux, Emmanuel Macron a demandé aux plateformes de supprimer les « contenus les plus sensibles », et de collaborer pour identifier ceux « qui utilisent ces réseaux sociaux pour appeler au désordre ou pour exacerber la violence. » De son côté, le garde des Sceaux Éric Dupont Moretti, se veut plus frontal : « [...] si vous balancez des trucs sur Snapchat, le compte on va le péter et vous serez retrouvés et sanctionnés ».
Soutien aux forces de l'ordre
#SoutienFDO, #JeSoutiensLaPolice ou encore #SoutienaupolicierFlorianM... On compte plus de 577 532 messages de soutien aux forces de l'ordre. Parmi eux, de nombreuses publications qui estiment justifiée l'intervention de la police au nom de la sécurité publique. Au-delà du soutien au policier (Florian M) ayant tiré sur Nahel, de nombreux tweets remercient les forces de l'ordre pour leurs interventions au cours des émeutes urbaines.
D'autres tweets plus polémiques se distinguent. À l'image du message de Bruno Attal, syndicaliste d'extrême droite, qui a déclaré le 29 juin : « Je préfère voir une racaille morte, qu'un policier mort. Chacun son électorat. » Un message dénoncé, entre autres, par Gérald Darmanin, qui a condamné des propos inacceptables « faisant l'apologie de la violence ». Le ministre de l'Intérieur a indiqué avoir saisi la justice et demander la dissolution du groupuscule « France Police » crée par le syndicaliste.
Très relayé également, le communiqué de presse publié le 30 juin par les syndicats de police Alliance et Unsa-Police pour dénoncer les « minorités violentes » qualifiées de « hordes de sauvages » et de « nuisibles » : « Aujourd'hui les policiers sont au combat car nous sommes en guerre. Demain nous serons en résistance et le gouvernement devra en prendre conscience. » Un communiqué salué par Jordan Bardella (RN) ou encore Marc Eynaud de Boulevard Voltaire, un site qui se présente comme le « quotidien de la France de droite et fière ». D'autres, à l'image d'Emmanuel Bompart (LFI), accusent le syndicat de « tenir le gouvernement ». Sandrine Rousseau y voit quant à elle une « menace de sédition ». Pour Marine Tondelier, cette déclaration est la preuve qu'il y a un « problème structurel dans la police ». D'autres syndicats de police, comme la CFE-CGC et l’UNSA, se sont depuis désolidarisés du communiqué d’Alliance et de l’Unsa-Police.
La loi de 2017 sur l’usage des armes à feu par les policiers remise en question
Au cœur du débat, une loi, celle du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, loi qui a assoupli l'usage des armes à feu et la notion de légitime défense de la police, et un chiffre, 13, le nombre de personnes tuées en 2022 par un policier après un refus d'obtempérer. Si le ministère de l'Intérieur et les syndicats de police attribuent ce chiffre à une hausse des comportements dangereux au volant, la gauche dénonce quant à elle une loi « trop laxiste et sujette à interprétations ». LFI parle même d'un « permis de tuer ». Un collectif de personnalités appelle à la révision de cette loi, qualifiée de « perverse » par Henri Leclerc, avocat et ancien membre du Conseil de l'Ordre. Interrogé sur France Inter, le ministre de la Justice ne s'est pas montré fermé à sa révision. « Il est toujours très mauvais de légiférer sous le coup de l'émotion. La loi de 2017, certains la critiquent. Moi, je ne suis contre rien. Je suis un ministre qui consulte beaucoup. On peut envisager, pourquoi pas, de la modifier. Mais je pense que le temps n'est pas venu », a déclaré Éric Dupont Moretti.
La guerre des cagnottes
Sur fond de cagnottes, deux camps s'affrontent. La cagnotte de soutien au policier de Nanterre a dépassé 1,5 million d'euros. Lancée par Jean Messiha, figure emblématique de l'extrême droite, ancien membre du RN et ancien porte-parole d'Éric Zemmour, la cagnotte est présentée comme un référendum pour montrer de « quelle côté est la France ».
Une initiative vivement critiquée, interprétée par certains citoyens et élus comme une « légitimation de la violence ». Une pétition pour demander son annulation a été créée : depuis, le hashtag #CagnotteDeLaHonte prend de l'ampleur sur Twitter. Parmi ceux condamnant la démarche, nombreux rappellent qu'en 2021 une cagnotte Leetchi en soutien à Christophe Dettinger, boxeur accusé d’avoir frappé un gendarme lors d’un samedi de mobilisation des Gilets Jaunes, avait été interdite. À l’époque, les membres du gouvernement n'avaient pas hésité – à l'image de Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l'égalité femmes-hommes ou de Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur – à déclarer que soutenir la cagnotte constituait une forme de « complicité et d'encouragement », voire de procédé visant à « subventionner la violence ».
D'autres internautes encore s'interrogent sur le profil des donateurs. Si la majorité des dons proviennent de Français qui montrent leur soutien à la police, Tristan Mendès France, spécialiste des cultures numériques et de l'extrémisme en ligne, affirme qu'une partie des dons proviendrait de groupes d'extrême droite. La souscription a été clôturée dans la nuit de mardi à mercredi.
*Données obtenues via Visibrain, plateforme de veille du web et des réseaux sociaux.
Participer à la conversation