
Le sympathique ogre vert de DreamWorks est devenu au fil du temps une figure incontournable de la culture web avec ses mèmes, son fandom et même ses histoires érotiques.
« Vous avez gagné… il a rompu avec moi. » Dans un tweet désespéré posté le 25 octobre 2021, la star du hip-hop Lil Nas X annonçait avec fracas sa séparation avec l’amour de sa vie, Shrek. Les fans découvraient dans une courte vidéo la longue histoire qui liait l’artiste à l’ogre vert et dans la foulée, leur rupture.
Shrek et Lil Nas X, les enfants d'Internet
Blague potache à part, quelle est la signification de cette vidéo qui a engrangé plus de 165 000 likes ? Pourquoi le rappeur a-t-il décidé de s’afficher avec un filtre à l’effigie de Shrek ? Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les mèmes, cette association peut sembler absurde. Elle a pourtant tout son sens quand on situe les personnages au sein de la culture Internet.
De son côté, Lil Nas X est l’archétype de l’artiste qui doit son succès autant à son talent qu'à sa maîtrise parfaite des codes du web. Les morceaux « Old Town Road » et « Rodeo » qui l’ont fait connaître ont d’abord cartonné sur TikTok tandis que son premier clip a été réalisé en machinima (un film réalisé dans un jeu vidéo) dans l’univers de Red Dead Redemption 2. Il fut aussi l’un des premiers artistes à donner un concert virtuel sur la plateforme Roblox, ou à être au centre d'un jeu de twerking, preuve qu’il sait parler aux fans de rap, aux geeks et surtout aux nombreux qui sont l'un et l'autre à la fois. Il est aussi connu pour évoquer librement son homosexualité à travers ses clips et ses morceaux. C’est en partie à ce titre qu’il utilise le personnage de Shrek, devenu au fil du temps une figure mythologique et sexualisée du web.
Pour les enfants des années 2020, l’ogre vert ne fait pas vraiment partie du paysage culturel. Il est en revanche une icône pour la génération Z qui a grandi avec ses films sortis dans la première décennie des années 2000. Comme DreamWorks n’exploite plus vraiment l’univers de Shrek, le personnage a finalement été accaparé par une communauté de fans en ligne qui l’a peu à peu transformé en objet de fétichisme bizarre.
Shrek is love, Shrek is life
« Shrek est un super matériau pour faire des mèmes », explique Laura Goudet, maîtresse de conférences en linguistique anglaise à l’Université de Rouen et spécialiste d’analyse de discours en culture numérique. « Les films étaient super connus dans les années 2010, et contenaient énormément d’éléments qui pouvaient connaître une forme de viralité sur le web. Il y a la musique « All Star » de Smash Mouth, le chat potté qui surfait déjà sur les lolcats de l’époque, les répliques des méchants. Le design de Shrek est aussi très bien pensé. On peut le reconnaître facilement, même s’il est mal dessiné, ce qui permet aux créateurs du web de se le réapproprier très facilement. Cette base de fans s’est constituée en un groupe qui se fait appeler les Brogres, mot-valise constitué des mot « bro » (pour potes) et « ogre ». Leur objectif est de faire vivre le personnage sur les réseaux ».
Un peu à la manière des fans de Sonic qui prennent plaisir à sortir ce personnage enfantin de sa diégèse, les Brogres vont peu à peu subvertir la figure de Shrek. Dès 2013, les internautes qui hantent 4chan (le creuset de la culture web des années 2000/2010) vont pratiquer des jeux de rôles textuel virant très rapidement à des scènes sexuelles crues. Le slogan « Shrek is love, Shrek is life » va faire le tour des campus américains et du web tandis que les fans continuent de réclamer à DreamWorks un 5ème opus à la franchise. Comme l’indique David Sims, journaliste pour le média The Atlantic en 2014, cette ironie constante qui irradie des Brogres est à l’image de ce que représentent les films Shrek, à savoir « toutes ces choses qui paraissaient très cools au début des années 2000 et que l’on a beaucoup aimées avant de réaliser rapidement qu’elles étaient totalement vides. »
No context Shrek
C’est bien cette charge symbolique qui fait de Shrek un mème à la longévité exceptionnelle sur les réseaux. Outre la blague de Lil Nas X, on trouve encore aujourd’hui pléthore de montages vidéo triturant l’univers jusqu’à l’extrême. On peut notamment citer cette version du film qui accélère de 5 % la lecture à chaque pas des personnages ou bien cet autre montage uniquement basé sur la prononciation de la lettre E.
Plus exotique encore, on retrouve dans cette vidéo l’ogre vert qui prend la place d’un petit chien dans un parcours d’obstacles.
Enfin sur Twitter, le compte every shrek frame in order entreprend de poster l’intégralité du film image par image sur le réseau, un geste que l’on peut voir aussi comme un hommage ultime envers le vide. D’ici la fin de ses 129575 images, la figure de Shrek continuera sans doute de hanter le web.
Participer à la conversation