
Comment gérer la consommation d'écrans des juniors lorsque nous sommes enfermés entre quatre murs ? Anne-Lise Ducanda, médecin spécialiste de la surexposition aux écrans, nous répond.
Depuis plusieurs années, le Dr. Anne-Lise Ducanda alerte sur les dangers de la surexposition aux écrans qu’elle a observée chez les plus jeunes lorsqu’elle était médecin en centre de PMI. Alors que le confinement nous scotche encore un peu plus à nos écrans, elle a lancé avec l’association Screenpeace une ligne d’écoute à destination des parents pour gérer les écrans pendant cette période. Son objectif : que confinement ne rime pas avec trop d’écrans.
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En février dernier, lors des Assises de l’attention, avec le Collectif Surexposition écrans et 20 autres associations, vous qualifiez d’urgence sanitaire la surexposition aux écrans des plus jeunes. Nous sommes en plein milieu d’une autre crise sanitaire, celle du Covid-19. Est-ce que vous craignez que le sujet des écrans soit relégué à l’arrière-plan ?
Anne-Lise Ducanda : Nous sommes effectivement dans une situation d’urgence sanitaire au niveau physique mais il ne faut pas oublier l’aspect santé mentale dont on parle moins. La surexposition aux écrans a été reléguée en arrière-plan dans un premier temps. Puis c'est devenu un sujet quand on a constaté combien le temps passé par les enfants sur les écrans était difficile à gérer. Ça redeviendra surement un gros sujet au moment du déconfinement.
En période de confinement, les écrans deviennent omniprésents dans notre quotidien que ce soit pour travailler, garder le contact avec ses proches et même se divertir. Comment gérer cette consommation d’écrans, notamment pour les enfants ?
A-L. D. : Chaque parent et chaque enfant vivent le confinement de façon très différente. Dans certains cas, c’est facile. Dans d'autres, comme pour lorsque les parents télétravaillent, c'est quasiment ingérable. Chacun fait comme il peut, mais il y a quelques règles importantes à respecter. Il faut, par exemple, que les parents des tout petits évitent de laisser la télé en arrière-plan plusieurs heures par jour.
Il faut également privilégier les bons usages des écrans. Ils peuvent être utilisés comme des ressources pour trouver des idées d’activités à faire avec les enfants, des défis sportifs, des jeux créatifs… Les outils numériques permettent également de garder un lien avec la famille et les copains, c’est une utilisation positive. Enfin, à partir de cinq/six ans, il y aussi des usages pédagogiques et éducatifs. Le confinement est l’occasion de se dire qu’on va plutôt axer les écrans sur cet usage-là, alors qu'on sait qu’habituellement 90% de l'usage des écrans est récréatif avec des contenus pas forcément très intéressants et très addictifs. Pour les parents, la clé est de regarder ce que font les enfants sur les écrans, et les accompagner.
La situation actuelle est inédite, cela implique-t-il de relâcher un peu la pression vis-à-vis des écrans ou au contraire de redoubler de vigilance ?
A-L. D. : Il ne faut absolument pas céder au relâchement total. Il me paraît important de conserver des règles, de les adapter si besoin mais surtout de les expliquer. Si c’est le cas, il faut dire aux enfants que, pendant le confinement, il peut y avoir des règles différentes. Pour les parents, il faut aussi relativiser. Le confinement représente deux mois dans la vie de l’enfant. Il peut donc avoir un petit peu plus d’écrans pendant cette période limitée si tout le reste du temps c’est bien réglé.
Si jamais on relâche un peu la pression, il faut au moins conserver les règles de Sabine Duflo. C’est-à-dire : pas d'écran le matin avant l'école, pas d'écran pendant le repas qui reste un moment privilégié de partage, pas d'écran une heure et demie avant de se coucher et enfin, pas d’écran seul, donc pas d'écran dans la chambre de l'enfant. Pour les tout petits (avant cinq ans), la situation est différente et les écrans sont proscrits.
Il faut donc prévoir des temps sans écrans, pourquoi est-ce important ?
A-L. D. : Il ne faut pas avoir peur que l’enfant s’ennuie durant cette période. Au contraire, ça peut être positif puisque ça sollicite le « mode par défaut » du cerveau qui permet la réflexion, la créativité, l'imagination. Les enfants peuvent construire plein de choses avec un bout de carton et du scotch. C’est important de leur faire confiance pour s’occuper sans écrans.
Pour de nombreux enfants et adolescents, l’école se fait désormais derrière un écran (lorsque ça fonctionne). Est-ce que ça constitue un obstacle de plus pour la gestion des écrans à la maison ?
A-L. D. : Même si c’est parfois très compliqué à gérer, les classes virtuelles et l'école à la maison via les écrans sont une chance. Mais c'est effectivement possible de tout mélanger vu qu’on utilise les mêmes appareils. Il faut bien expliquer à l'enfant qu’être sur l'écran pour l'école n'a rien à voir avec jouer à Fortnite ou regarder des films sur Netflix pendant trois heures. Il faut donc bien respecter des heures de travail et des horaires pour les activités récréatives encadrées. Le parent garde toujours le contrôle des écrans, qu'on soit en confinement ou pas.
On ne peut pas totalement supprimer l’usage des écrans à la maison mais y a-t-il des applications particulières à interdire ou à limiter drastiquement ? On peut penser à certains réseaux sociaux dont on sait qu’ils sont designés pour être addictifs.
A-L. D. : En période de confinement, la restriction des contenus doit être la même que d'habitude. Si on avait décidé que son enfant n'allait pas sur TikTok parce qu'il a 10 ans, on ne l’y autorise toujours pas. Chaque parent décide des limites mais, il n’y a pas de raison d'autoriser des choses qui étaient interdites avant confinement. Les parents doivent continuer à faire attention aux réseaux sociaux, au harcèlement, aux sites violents, aux sites pornographiques, aux jeux vidéo déconseillés à tel âge. Il faut toujours surveiller que le contenu consommé est adapté à l'âge de l’enfant. Et ça, c'est valable pendant le confinement comme avant et après.
Justement, « l’après » on y pense déjà. Selon vous, risque-t-on d’être face à une aggravation de la situation ?
A-L. D. : On devra peut-être faire face à une augmentation d'enfants surexposés aux écrans et donc on prendra conscience des dangers. Ce sera le côté positif de la situation négative. En revanche, si on se retrouve avec beaucoup d'enfants en situation difficile et qu'on n'arrive pas à limiter les écrans et à revenir à quelque chose de raisonnable, la situation aura empiré. En tout cas, on va forcément s'interroger sur la place des écrans dans la famille et dans le quotidien de l'enfant.
Est-ce qu’il y a un risque que certains comportements soient associés au fait d'être confinés plutôt qu'à l'utilisation des écrans ?
A-L. D. : C’est effectivement une difficulté. Il sera difficile d’attribuer tel comportement à telle pratique ou telle situation. Les pro-écrans, parfois alliés à des lobbies, pourront dire « non, non, il n'y a pas la preuve que ce sont les écrans, c'est la faute du confinement ». Espérons qu'on en tire une analyse la plus objective possible.
La ligne d'écoute gratuite mise en place par l'association Screenpeace est disponible au 0800 736 956.
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