Ils absorbent leur attention et changent leur comportement. Les écrans font des ravages sur le cerveau des enfants. Alors que l'on culpabilise largement les parents, la psychologue clinicienne et thérapeute familiale Sabine Duflo a répondu à nos questions à l'occasion de la sortie de son ouvrage Quand les écrans deviennent neurotoxiques aux éditions Marabout.
Article initialement publié le 12 octobre 2018 et mis à jour le 21 novembre.
Mardi 20 novembre, le Sénat a largement adopté la proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans. Cette proposition a été portée par la sénatrice Catherine Morin-Desailly. Selon les auteurs du texte, « les enfants sont exposés de plus en plus tôt et de plus en plus longtemps aux écrans en raison du cumul télévision et outils numériques mobiles ». Ils considèrent « néfaste [la surexposition] pour les enfants de moins de trois ans car elle peut nuire gravement à leur développement. »
Mardi 20 novembre 2018, le #Sénat a adopté, par 333 voix contre 2, en première lecture, la proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans, présentée par @C_MorinDesailly et plusieurs de ses collègues. #ComCultSénat
? https://t.co/Zr8Li5x1iv pic.twitter.com/HvIKzCuqx7— Sénat (@Senat) 21 novembre 2018
Nous avons interrogé la psychologue clinicienne et thérapeute familiale Sabine Duflo en octobre dernier.
Dans votre ouvrage, vous rappelez que les premiers à pointer du doigt les effets néfastes des écrans sur le cerveau des enfants sont ceux qui les ont créés. Avez-vous l'impression, depuis les premiers signaux d'alerte sur la toxicité de la surexposition, que les mentalités ont évolué ?
S.B. : Oui, mais pas de la façon à laquelle je m'attendais. Je m'étais dit qu'il fallait une information des pouvoirs publics. À l'époque je me disais que ce n'était tout de même pas aux médias audiovisuels de le faire ! Pourtant, tout a changé après l'émission « Envoyé Spécial » d'Élise Lucet. Puis la diffusion d'autres émissions sur M6, Arte et plus récemment sur la télé Suisse Romande. Les familles qui viennent me voir sont aujourd'hui plus informées. Je n'ai plus besoin de faire mon petit laïus sur les écrans. Finalement, les moins informés sont ceux qui consomment le plus d'info sur leur téléphone portable...
Quelle a été la réaction des autorités face au problème que vous évoquez ?
S.B. : Nous les avons sollicitées à plusieurs reprises. Mais le résultat est toujours le même. Par exemple, nous avons rencontré Santé Publique France (L’agence nationale de santé publique). Ils étaient ouverts, mais ils n'ont rien entrepris. Nous avons rencontré la conseillère santé d'Emmanuel Macron. Nous avons été écoutés, mais on nous a dit d'alerter les gens qui font de la recherche. Mais nous ne sommes pas chercheurs ! Nous sommes des gens de terrain.
Les instituteurs et institutrices semblent se ranger de votre côté en alertant les parents sur les effets de la surexposition des écrans sur l'attention et le comportement des enfants. Qu'en est-il de l'Éducation nationale ?
S.B. : Là où je suis en colère, c'est que le principe de précaution n'a pas été respecté. D'un côté, l'Éducation nationale a largement équipé les établissements en tablettes. Nous avons donc dû combattre l'idée répandue que la tablette était mieux pour apprendre. Certes, c'est plus interactif, mais c'est aussi plus addictif ! C'est de l'apprentissage par automatisme. Il ne faut pas confondre interaction et relation. Vous pouvez évidemment faire mille choses sur un ordi, une tablette ou un écran nomade. Le problème, c'est que dans la vie, chaque acquisition est un effort. Or, les tablettes apportent de la satisfaction immédiate : de la lumière, du mouvement pour les tous petits, des contenus très pauvres pour les plus grands.
Vous avez évoqué des symptômes graves concernant la surexposition aux écrans. Symptômes que vous comparez à ceux de l'autisme. Est-ce vraiment si grave ?
S.B. : Mon hypothèse est que la surexposition aux écrans ne crée pas d'autisme, mais accentue des faiblesses déjà présentes chez l'enfant. C'est donc très différent. Chez les enfants porteurs de fragilités relationnelles - que je croise depuis des années dans mon cabinet - cela les augmente. L'écran produit de l'isolement, de l'addiction. Il stimule de manière pauvre l'enfant. Le syndrome massif que je vois défiler est un trouble de l'attention. Les coupures de relations régulières avec les membres de la famille provoquent des attitudes de retrait, des retards de langage ou l'incapacité à soutenir un regard. Les diagnostics de TSA (trouble du spectre autistique) et TDAH (Le trouble de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité) ont explosé. Pour moi, il y a un facteur participatif. Sans que, je le répète, les écrans ne créent à proprement parler d'autisme.
Un récent article de L'Obs (Ecrans et "autisme virtuel" : voici ce qu'une fake news peut faire aux gens) prétend que pointer les écrans comme source principale de problèmes comportementaux chez les enfants est source de confusion dans les diagnostics. Qu'en avez-vous pensé ?
S.B. : Il faut se détacher des aspects polémiques ! Ce qui est important, c'est de comprendre que ce qui permet à un enfant sans pathologie de se développer normalement, c'est de bénéficier d'un attachement de bonne qualité. Très concrètement, s'il est suffisamment regardé, et qu'on lui prête assez d'attention, le bébé va apprendre rapidement à faire le tri dans le flux des stimulations sensorielles. Un bébé est naturellement attiré par tout ce qui brille, mais la relation avec les parents l'aide à focaliser son attention sur certaines sources. Comme la voix de Maman, qui attise l'intérêt pour le langage. Elle est sécurisante et oriente les sens et le regard de l'enfant. Le visage de la mère, c'est le premier livre de l'enfant, s'il ne l'a pas, il est perdu.
Ce discours ne risque-t-il pas de culpabiliser les parents ?
S.B. : Dans ma pratique, avec mes collègues, jamais nous n'avons culpabilisé les parents. Je pense au contraire qu'ils sont victimes d'une société qui les encourage à utiliser les écrans. J'entends beaucoup de familles me dire « J'ai du mal à réguler ». Pour beaucoup de familles mal informées, les écrans représentent la modernité. Ça leur est en tout cas présenté comme tel. Rendez-vous compte qu'en 2013, l'Académie des sciences a jugé l'usage de la tablette intéressant dès 6 mois ! Alors quand les parents voient leurs petits fascinés, ils sentent bien qu'il y a quelque chose de pas terrible. Mais, en même temps, l'enfant a l'air d'aimer ça. Donc ils laissent faire.
Les parents peuvent-ils changer la donne ?
S.B. : Moi, j'ai vu des parents vraiment courageux. Des parents dont l'enfant hurlait lorsqu'on lui enlevait l'écran. Pourtant, ils n'ont pas lâché et, malgré les accès de colère, ils ont supprimé l'écran. Ils ont observé des améliorations rapidement. Au lieu de laisser leur enfant 4 heures par jour devant l'écran, les parents ont mis en place 6 heures d'activités, interactions et attention quotidiennes, comme jouer ou aller au parc. Ils se sont alors sentis gratifiés. C'est un cercle vertueux. Le comportement des enfants peut s'améliorer !
Crédit photo : Getty Images
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