
Techniquement, les agences de communication ont su gérer la généralisation du télétravail de leurs équipes. Mais à présent, c’est tout le télé-management qu’il faut inventer. Témoignages.
Une mise en place technique pas facile, mais souvent bien menée
Pour les agences de communication, le télétravail n’est pas une découverte. Leurs équipes ont une relative habitude de cette pratique et une maîtrise très correcte des outils collaboratifs, sans doute au-dessus de la moyenne des entreprises. De ce point de vue-là donc, « la transition a été fluide », témoignent Sophie Noel et Arthur Kannas, dirigeants de l’agence de communication digitale heaven. Nous sommes en full télétravail depuis vendredi dernier, et on était déjà bien outillés pour le cloud. Nous étions déjà familiers de Slack, Teams, Basecamp, Github. »
Mêmes échos chez l'agence de communication intégrée DDB Paris. « Tous les collaborateurs travaillent de chez eux depuis lundi 16 mars. Tous ont accès via VPN au réseau de l'agence, précise Vincent Léorat, Vice-Président. Les réunions se sont vite organisées, entre collaborateurs et avec nos clients, via les plateformes de type WebEx, Zoom, Skype, et des groupes WhatsApp se sont créés. »
Mais si la maîtrise des outils s'avère essentielle, elle ne fait pas tout, et les équipes techniques ont dû gérer les problèmes individuels de chacun.
« Nous avions anticipé le confinement depuis plusieurs semaines car nos clients luxe étaient déjà très impactés par la Chine, raconte Jean Valentin, CEO du groupe Extrême. Nous sommes tous en télétravail depuis lundi matin y compris les créatifs et la production visuelle et audio-visuelle. Notre team IT a permis aux 180 personnes de travailler à distance et en réseau. » Une performance que Jean Valentin propose de mettre au service d’autres. « Pas facile de mettre en œuvre cette organisation. Du point de vue techno, taille du réseau, bande passante, dimension des infrastructures… Mon équipe IT se tient d’ailleurs à disposition des autres si elles avaient des difficultés en la matière. »
Mais il faut surtout apprendre à renforcer le lien
Bref, peu ou prou, l'intendance semble suivre. Et c'est déterminant. Mais pour le gros des troupes, il faut « tout d’un coup, apprendre à travailler autrement », témoigne Emlyn Korengold, président de l'agence TBWACorporate. Il insiste sur la dimension essentielle du lien. « Il faut continuer à faire vivre la communauté à laquelle nous appartenons, que ce soit en interne avec nos collaborateurs comme en externe avec nos clients. L’émotion doit pouvoir demeurer dans ce qu’on accomplit car c’est aussi à ça que l’on carbure. »
Mais comment entretenir le feu ? Réunions régulières, désignation d'un Happiness Manager, activation des réseaux sociaux internes. « On partage, on phosphore, on tente des choses, on plaisante, tout est mis en œuvre pour renforcer le lien. L’important, c’est que les gens ne se sentent pas isolés, particulièrement ceux qui ne sont pas confinés à plusieurs », poursuit Emlyn Korengold.
Chez heaven, l’objectif est aussi de garder le contact le plus étroit possible, comme si tout le monde était encore à portée de bureau. « On a un groupe WhatsApp avec la direction du Groupe Hopscotch et un point Direction heaven tous les matins à 9:30 via Meet (Google). On se tient au courant en temps réel, ce qui est une des clés de l'agilité. Pour le reste de l’agence, tous les meetings clients ou internes ont été maintenus et convertis en meetings virtuels, en s’adaptant aux outils et contraintes de nos clients également. »
À la découverte du télé-management...
Dans ce contexte incertain, où la pression émotionnelle monte, où les incertitudes touchent tous les sujets – le rôle des managers reprend une importance inattendue. « Soyons vigilants et accompagnons tout le monde ! », souligne Jean Valentin.
Sophie Noel et Arthur Kannas prennent conscience des enjeux. « Le télétravail c’est aussi découvrir le télé-management. Inventer et transmettre la télé-culture. La mise à distance démontre, s'il en était besoin, à quel point la culture d’entreprise et les valeurs partagées sont la clé de voûte de la réussite de toute société, au sens d'entreprise, comme au sens de nation d’ailleurs. »
Chez Emlyn Korengold, même constat. « Le rôle des managers prend tout son sens. La crise recentralise par nature et on a besoin d’eux pour garder le lien et tirer parti du grand sens de l’autonomie qu’on a toujours accordé et qui est notre marque de fabrique. On est au début, on va beaucoup apprendre sur nous-mêmes et nous allons nous réinventer autrement. »
Un “defining moment” dont on ne sait pas encore grand-chose
Évidemment, pour les agences, comme pour leurs clients, la situation est encore très nouvelle, et tout le monde est en état de choc. Il faut parer à l'urgence, mais déjà se projeter dans l'avenir. « Les problématiques client relèvent à la fois de ce qu'il faut faire pour faire face, des arbitrages à faire, des décisions à prendre immédiatement, détaille Vincent Leorat, mais aussi de ce qu'il faut imaginer pour l'après, pour la sortie de crise. Le partnership client - agence se ressent encore plus malgré l'éloignement physique parce que tout le monde est confronté à la même situation inédite, et parce qu'on cherche ensemble les bonnes solutions à mettre en place tout de suite et pour demain. »
Mais après cette première semaine, on commence à envisager qu’il y aura un avant et un après coronavirus.
« On surestime toujours l’impact du court terme et on sous-estime toujours celui du long terme, insiste Emlyn Korengold en citant Bill Gates. Les challenges climatiques et autres qui nous font face vont perdurer..., et vont se surajouter de nouveaux défis en matière d’emplois. C’est un “defining moment”. Pour toute entreprise, c’est le moment ou jamais d’asseoir la réalité de leur contribution à la société. Pour prouver qu’elles font partie de la solution et non du problème. »
Entretenir le feu (nous sommes là, à vos côtés, plus que jamais), s'adapter (repositionner la stratégie de l'entreprise et par la suite son positionnement/stratégie de communication) et faire renaître de l'émotion chez les clients me semblent être les 3 grands piliers et enjeux auxquels nous devons faire face. Nous savons que l'entreprise sera différente, ses acteurs transformés. A nous de les suivre dans ces changements dés maintenant pour être plus en avance dés la reprise. C'est ce que nous activons (via des War Room ou du repositionement organisationnel et stratégique) au cabinet depuis presque deux mois.