
Trois experts analysent le futur du travail et de l'entreprise. Et ça se complique pour les managers.
À l’horizon 2030, 38% des emplois aux États-Unis seront menacés par l’automatisation, 35% en Allemagne et 21% au Japon. Dès 2025, la plupart des travailleurs auront un emploi « non traditionnel » ou occasionnel. Quant à la notion de bureau, elle semble déjà obsolète. De quoi s’interroger : est-ce la fin du sacro-saint CDI et du travail tel que nous le connaissons depuis le siècle dernier ? Comment travaillerons-nous demain ? Nous avons posé la question à trois expert·e·s.
Alban Guyot, directeur général de l’Entreprise du Futur
« La prochaine révolution sera celle du phygital, c’est-à-dire la fusion parfaite entre le monde physique et le monde numérique au service d’une expérience client unique. Cette fusion fera la compétitivité de demain. À l’avenir, le physique ne pourra plus vivre seul, et le numérique non plus. Ce monde phygital est l’opportunité de remettre l’humain à sa place réelle, où il peut apporter la valeur qu’une machine ne peut pas produire. Quelle est la valeur ajoutée de l’homme ? La stratégie, la hauteur, l’interaction sociale, l’émotion. Il a une sensibilité et une expérience que la machine ne remplacera jamais.
Au niveau technologique, l’industrie en 2030 verra forcément plus de robotisation, plus de numérique et plus de digital. Mais l’industrie du futur sera aussi plus consciente de son impact social et environnemental. Comment améliorer son empreinte carbone ? Comment limiter les transports ? Comment produire de manière responsable ?
L’enjeu clé des années à venir, c’est l’excellence opérationnelle, c’est cette capacité à produire plus et mieux. Comment on industrialise, voire automatise, toutes les tâche répétitives et sans valeur ajoutée pour aller plus vite ? Comment on replace l’humain sur les tâches à valeur ajoutée et comment il va travailler avec la machine ? La mutation de demain se joue là-dessus. »
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Laëtitia Vitaud, spécialiste des organisations et du futur du travail
« On externalise de plus en plus d’activités, y compris des activités stratégiques ou centrales. La production même de l’entreprise est parfois confiée à des prestataires externes. Résultat : l’entreprise devient un écosystème de relations, en interne ou entre l’interne et l’externe, une plaque tournante qui permet ces échanges. L’entreprise est aussi un lieu d’accueil physique. Le boom du freelancing ne signifie pas la fin du bureau, car être en télétravail à 100% présente aussi des inconvénients. En revanche, l’éclatement de l’espace de travail, avec un mélange de présentiel, de rendez-vous clients et de télétravail, est de plus en plus important.
Le recours aux prestataires a créé une nouvelle forme de relation. Nous ne sommes plus dans un rapport de subordination, comme c’est le cas dans le salariat. Les freelances travaillent différemment et donnent des idées aux salariés de l’entreprise. Cela crée des attentes nouvelles, comme le télétravail. Je pense que c’est de là que vont venir les nouvelles transformations. Certaines choses aujourd’hui imposées, comme les horaires et un certain présentéisme, ne seront plus acceptées à l’avenir, car elles seront devenues trop insupportables. Le lien de subordination est en crise, et il le sera encore plus en 2030. Le management va continuer d’exister mais tournera davantage autour des notions de leadership, de coordination des groupes, de collaboration. Le management par les algorithmes existe déjà, il est donc tout à fait imaginable d’être demain recruté par une intelligence artificielle.
On parle toujours de l’IA au futur, comme si on attendait une singularité, c’est-à-dire une forme d’IA radicalement différente de ce que l’on a connu jusqu’ici. En vérité, l’humain cohabite déjà avec la technologie. Parler de l’IA au futur est dangereux, c’est un discours qui sert à dire à tous les travailleurs : “attention, tu ne vaux plus rien, tu vas être remplacé par la machine, donc accepte n’importe quelles conditions de travail, accepte d’être payé toujours moins”. Finalement, la grande question de l’humanité en 2030, c’est : quel genre de rapport de force allons-nous réussir à maintenir entre les travailleurs et leurs employeurs ? »
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Frédéric Petitbon, directeur associé chez PwC, responsable People & organizations
« L’entreprise de demain est une plateforme. C’est un modèle où la distinction entre interne et externe, entre salariés et freelances, ne fait plus sens. On jongle sur des compétences. Mais le modèle de l’organisation taylorienne n’est pas mort. On a encore un besoin d’organiser certaines tâches, et ce modèle traditionnel continuera de coexister à côté des nouveaux modèles.
Un certain nombre de tâches sont amenées à disparaître car elles seront faites de manière plus efficace et plus rapide grâce à la technologie. Attention : qui dit tâches ne dit pas métier ! Mais cela demande qu’on réassemble autrement les tâches dans les métiers. Cela me permet, moi artisan dans une industrie 4.0, de ne plus faire des tâches répétitives et sans valeur ajoutée, mais de me concentrer sur l’expérience de mon client, et sur la valeur que je crée.
Avec toutefois une difficulté pour les emplois non-qualifiés, qui risquent d’être dégradés. L’économiste Bernard Gazier parle de « limit jobs », soient des emplois sous-qualifiés, de plus en plus précaires, de plus en plus mal payés. Ces limits jobs ont une place essentielle dans un monde où le consommateur est roi, où il n’attend pas et a besoin de services de proximité et de services immédiats. Ils ne vont donc pas disparaître, mais l’écart avec les emplois protégés va encore se creuser. Il y a un vrai enjeu sociétal derrière, pour ne pas faire de ces personnes la dernière roue du carrosse.
Les trois principaux enjeux du travail en 2030 ? La confiance ouverte avec ses équipes et ses parties prenantes externes ; le développement des soft skills comme l’empathie, la curiosité, la collaboration et, enfin, savoir créer et faire vivre un environnement collaboratif innovant, avec ce que cela demande de diversité, d’expérience et de compétences. »
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